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Blog - Page 493

  • B.attitude

    Cher Monsieur l'Abbé Attitude, Mon Révérend,

    Je vais me faire un devoir de répondre à votre pertinente question, mais franchement ça va pas être de la tarte. Car j'ai bien peur qu'il ne s'agisse ni plus ni moins que de résumer l'Ethique, si on y regarde bien.

    Naturellement je pourrais pour m'épargner cette peine vous renvoyer aux excellents travaux d'un mien parent, l'Abbé Beth (étoile montante de la philosophie spinoziste), ou encore au colloque organisé récemment par l'Abbé Gayant. On y vit s'affronter la thèse classique de l'Abbé Nédiction et les propositions novatrices de l'Abbé Ration. Mais j'aime autant revenir direct au texte de notre bon vieux Baruch.

    Je vais donc réfléchir à la question et entamer un petit parcours sur le sujet, un de ces jours.

    Veuillez agréer, Mon Révérend, ma révérence distinguée,

    A.B.

  • Pas capital (2)

     

    Fair play

     

    Montaigne conclut son chapitre 39 du livre I, intitulé De la solitude, par ces mots :

    Ayant entendu les vrais biens, desquels on jouit à mesure qu'on les entend, s'en contenter, sans désir de prolongement de vie ni de nom. Voilà le conseil de la vraie philosophie, non d'une philosophie ostentatrice et parlière.

     

    Le verbe entendre s'entend au double sens de comprendre et tendre vers, tendre à réaliser.

    Avec comprendre, le jeu se joue à l'atout « vrai ». Pour cela, choisir comme partenaire une philosophie ni ostentatrice (pas du genre à frimer ou bluffer) ni parlière (pas du genre qui ergote et se paye de mots).

    Avec le sens de tendre vers, on joue à l'atout « volonté » avec son horizon d'effectivité, d'action sur la réalité, les choses concrètes. Ce que Spinoza appelle l'agir. Cette partie se joue à l'atout éthique (ethos =comportement).

     

    Mais là où ça tique avec l'éthique, c'est que l'équipe adverse (celle que Spinoza appelle le pâtir) passe son temps à bluffer en balançant à tout va des représentations qui floutent la réalité. Résultat on peut faire du mal en croyant qu'on fait du bien, et vice versa, c'est le cas de le dire. C'est d'ailleurs ce que dit Spinoza, histoire de se justifier de faire un si gros bouquin pour enfoncer des portes que pour sa part il voit ouvertes.

     

    La question est donc de sortir du flou. Mais comment ? Monsieur des Essais pose ici un critère : Desquels on jouit à mesure, s'en contenter, sans désir de prolongement de vie ni de nom. Le critère c'est la jouissance.

     

    Qui dit jouissance dit usufruit. L'enjeu de l'éthique est là, et non dans l'appropriation des biens en question, leur constitution en capital, en assurance vie (terrestre ou éternelle), ou, à défaut, en célébrité posthume, prolongement de vie ou de nom.

    L'éthique, c'est tout au comptant.

     

    Qui dit jouissance dit aussi, surtout, joie. Les vrais biens on s'en contente.

    L'éthique c'est tout au content.

     

    Ce qui donne du côté de chez Spin :

    La béatituden'est pas la récompense de la vertu, mais la vertu-même ; et ce n'est pas parce que nous réprimons les désordres du désirque nous jouissons d'elle, c'est au contraire parce que nous jouissons d'elle que nous pouvons réprimer les désordres du désir.

    Spinoza, Ethique 5°partie (et dernière) : De la puissance de l'intellect, autrement dit de la liberté humaine, Proposition 42 (et dernière).

     

    Et de conclure, un rien narquois : Si maintenant on trouve très difficile le chemin, du moins peut on y aller en repérage …

    Dont acte.

     

    A suivre.

  • Salut à Fukushima

    Si une coupe d'eau ne suffit pas à éteindre un incendie, il ne faut pas en déduire que l'eau est impuissante contre le feu.

    Ceci est une pensée chinoise de Mong-Tseu. Cette image de la coupe d'eau m'est revenue l'autre soir en regardant sur Arte un documentaire tourné auprès des habitants de la région de Fukushima il y a environ un an, pour le premier anniversaire de la catastrophe (K. Watanabe 2012).

    Les gens mettent contre les murs des bouteilles d'eau qui sont censées piéger les radiations, en restreindre la diffusion dans les maisons. Pensée magique ? Réalité scientifique ? Image en tout cas dérisoire et magnifique à la fois. Cette installation de bouteilles alignées : image de transparence et de pureté, comme s'inscrivant en faux contre l'opacité du système nucléaire, contre la contamination invisible mais omniprésente. Toutes ces bouteilles figuraient aussi, pour moi, le bataillon courageux des habitants de Fukushima qui sont là debout, ensemble, qui persévèrent à vivre dans l'invivable.

    Certes ils étaient pour la plupart brisés, parfois au bord des larmes devant la caméra (on mesure ce que ça signifie dans la culture japonaise toute de réserve, de pudeur d'expression). On le serait à moins, brisé, dans cet environnement où tout est doute. On doute de la parole des autorités, qui ont accumulé depuis deux ans mensonge sur mensonge, de celle des médias, des scientifiques aussi parfois. La défiance s'étend à l'eau, au vent, à la terre, à la nourriture, tous potentiellement meurtriers et non plus bienfaisants.

    Ainsi on emporte son compteur de radioactivité au supermarché, les pêcheurs attendent son verdict pour savoir si la pêche sera vendable. Et sinon, on rejette à la mer le poisson radioactif - que faire d'autre ?On voyait des enfants le compteur autour du cou comme d'autres portent un talisman ou une médaille miraculeuse. Et qui sait si à Fukushima désormais on ne sort pas son compteur avant de s'abandonner dans les bras de l'amoureux, de l'amoureuse ?

    Malgré tout, dans ce monde d'une hostilité radicale, dans ce monde prescripteur de paranoïa, les gens tiennent bon, coopèrent, mutualisent leurs infos et leurs efforts, s'emploient jour après jour à réparer leur corps, leur âme, leur environnement. Le reportage montrait un poète qui poétisait, une femme qui cueillait les fleurs radioactives de son jardin tout en couvrant de malédictions l'irrationalité et l'irresponsabilité des apprentis sorciers qui vivent, eux, si loin de Fukushima (croient-ils ...). Il y avait encore un paysan qui pensait avoir un truc pour "diluer" le poison : multiplier les labourages. Il y avait surtout, fragiles et puissantes à la fois, des mères courage luttant pied à pied, sans faire d'histoires, pour protéger leur progéniture de l'imprégnation des becquerels.

    Les dérisoires bouteilles en plastique le long des murs de Fukushima, sont la misérable petite coupe d'eau, et n'éteindront pas facilement l'incendie du malheur, mais elles nous adressent un message. Une coupe n'éteint pas un incendie, d'accord, mais beaucoup de coupes ensemble, ça en fait des mètres cubes pour noyer la folie, le cynisme, la connerie suicidaire ...