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Blog - Page 494

  • Pas capital (1)

     

    Pas capital (1)

     

    Montaigne était un propriétaire terrien, qui parle plusieurs fois dans les Essais de son domaine comme d'une entreprise à gérer. Tâche pour laquelle, dit-il, il ne se sent ni goût ni aptitude. Capitaliste moyen au regard des performances, donc, tel un vulgaire J4M ou AL (les magouilles et les parachutes dorés en moins). Mais en revanche remarquable analyste du phénomène capitaliste dans ses dimensions matérielles, morales, existentielles.

    Je m'en vais vous livrer l'affaire franco de port en quatre citations choisies dans quatre chapitre du livre I des Essais.

     

    Commençons au chapitre 14 du livre I, intitulé non sans nuances Que le goût des biens et des maux dépend en bonne partie de l'opinion que nous en avons.

    Les maux en question : Nous tenons la mort, la pauvreté et la douleur pour nos principales parties (= adversaires dans un procès, parties adverses).

     

    Je passe sur la première partie du chapitre, l'examen de la question de la mort et de la douleur. Les propos stoïciennement compatibles (« oui c'est comme ça on est mortel, mais faut voir que c'est une liberté en un sens, tout ça tout ça ») ne méritent pas vraiment le détour. Sauf dans le rappel que les plus courageux face à la mort ne sont pas nécessairement les grands hommes & philosophes labellisés comme tels, mais souvent les personnes populaires, (ou même les viles âmes de bandits ou de bouffons) qui l'abordent par simplesse naturelle, voire y mêlant quelques fois des mots pour rire. Un mal pour mort, des mots pour rire, comme dirait Desproges, bouffon sans une once de vilénie.

     

    Il y a là deux pages bien marrantes de bons mots de mourants ou condamnés à mort. Genre Un qu'on menait au gibet, disait que ce ne fût pas par telle rue, car il y avait danger qu'un marchand lui fît mettre la main sur le collet, à cause d'une vieille dette. Ou l'histoire de ce gars à qui on propose d'épargner la pendaison contre le mariage avec une donzelle (oui je sais on voit pas bien le rapport et puis ce n'est pas d'un féminisme échevelé mais bon) : lui, l'ayant un peu contemplée, et aperçu qu'elle boîtait « Attache, attache, dit-il, elle cloche ». De moins en moins féministe, ça fait un peu penser aux histoires de marieurs que Freud rapporte dans Le mot d'esprit et son rapport avec l'inconscient. (En parlant d'inconscient, on peut aussi épiloguer dans l'histoire précédente sur l'association que fait le condamné entre mort et réclamation d'une dette impayée, ce qui nous approche de notre sujet).

     

    La question de la douleur dans son articulation avec la mort, deuxième temps du chapitre, est envisagée selon un fonctionnement en « double quoique » que Montaigne pratique souvent. Le doublequoique c'est le dilemme bien connu du capitaine Haddock (dans Coke en stock je crois. Quoique ? Le Crabe aux pinces d'or ?) : barbe sur ou sous les draps ? Insomnie garantie. Ici : est-ce qu'on craint la mort parce qu'elle est cause de douleur, ou la douleur parce qu'elle peut annoncer la mort ? Passons, déjà qu'il pleut ici aujourd'hui, et venons-en à la partie clairement économique du chapitre.

     

    Que notre opinion donne prix aux choses, il se voit par celles en grand nombre auxquelles nous ne regardons pas seulement pour les estimer, mais à nous (pas pour en faire une estimation générale, mais relativement à ce qu'elles peuvent nous apporter) ; et (nous) ne considérons ni leurs qualités, ni leurs utilités, mais seulement notre coût à les recouvrer (à entrer en leur possession) ; comme si c'était quelque pièce de leur substance ; et appelons valeur en elles non ce qu'elles apportent, mais ce que nous y apportons. Sur ce quoi je m'avise que nous sommes grands ménagers de notre mise. Selon ce qu'elle pèse, elle sert de ce même qu'elle pèse. Notre opinion ne la laisse jamais courir à faux fret (métaphore maritime : c'est une cargaison dont l'affrètement doit être rentable). L'achat donne titre au diamant, et la difficulté à la vertu, et l'âpreté à la médecine (le goût dégueu au médicament).

     

    Oui, d'accord, c'est assez dense. Reprenons pas à pas. Nous ne regardons pas les choses pour les estimer, mais à nous. Nous ne les considérons pas juste pour ce qu'elles sont, mais en fonction de la possibilité ou pas d'en augmenter notre « nous » – chacun son soi pour soi. Autrement dit nous avons dans la vie un positionnement spontanément capitaliste.

    Qui plus est, ce capitalisme n'est pas motivé par la valeur d'usage des choses (disons un capitalisme naïf de consommateur) : et ne considérons ni leurs qualités, ni leurs utilités.

    Notre coût à les recouvrer, à les agréger à notre capital, c'est comme si c'était quelque pièce de leur substance. A ce qui serait la valeur intrinsèque, la substance des choses, s'ajoute la valeur dont nous les affectons, ce que nous y apportons, notre mise. Nous ne consommons pas la chose brute, mais la chose assortie de sa valeur ajoutée.

    Montaigne alors s'avise du pot aux roses : cette valeur ajoutée, notre mise, nous en devenons grands ménagers, c'est à dire gestionnaires limite spéculateurs. Nous nous occupons à la faire valoir pour elle-même. C'est alors le saut dans le primat de la valeur d'échange sur la valeur d'usage : selon ce qu'elle pèse, elle sert de ce même qu'elle pèse. Nous voici au principe du capitalisme financier et spéculateur.

     

    Dans cette réflexion générale, la valeur est considérée de même, au double sens moral et concret. Mais Monsieur des Essais n'aime pas se payer pas de mots et passe constamment le moral ou l'abstrait au crible du concret (c'est toute la différence entre produire des sentences ou des essais). Il n'esquive donc pas ici la réalité sous-jacente, la question de l'argent lui-même, de son propre rapport à l'argent. Je veux dire mon expérience autour de ce sujet.

     

    Trois périodes de sa vie, explique-il, ont impliqué trois rapports distincts à l'argent. Une première période où, n'ayant pas encore pris possession de son héritage, il le dépensait pourtant – voire le dilapidait - à crédit. Il expliquera ailleurs que le fait était coutumier aux jeunes gens de bonne maison, dont les parents étaient jusqu'à leur mort les seuls possesseurs, et parfois peu partageux, des biens du domaine. On me dira qu'aujourd'hui c'est pareil. Oui, sauf que les jeunes ont un métier et peuvent gagner leur vie (oui OK lorsqu'ils ne sont pas chômeurs ou stagiaires sous ou non payés ...), ce qui n'était pas le cas de ces gentilshommes.

    Le jeune Montaigne était plutôt nul dans sa gestion du crédit : Et si, empruntais avec désavantage ; car n'ayant point le coeur de requérir en présence (du mec qui lui devait), j'en renvoyais le hasard au papier, qui ne fait guère d'effort, et qui prête grandement la main au refuser.

    L'expression prêter la main, signifie « s'employer à, se mettre au service de ». Il lui rend la force du sens propre pour aboutir à l'absurde (prêter à ne pas prêter). Ironie souriante envers ce jeune homme qu'il était. C'est en effet une période dont il garde le souvenir d'une heureuse insouciance envers l'argent.

     

    Deuxième période, il a de l'argent comptant, qu'il se met à compter, il devient inquiet, (tout en ayant vergogne à l'avouer et à le laisser paraître). Tout compté il y a plus de peine à garder l'argent qu'à l'acquérir. L'inquiétude, dans cette deuxième période, le mène à une véritable avarice, dit-il, dont il sera libéré grâce à son coûteux voyage en Italie (1580-81), qui lui a apparemment permis de combiner déplacement physique et psychique (cf le chapitre III, 9 De la vanité où il analyse, entre autres, les tenants et aboutissants de ce voyage). Voyage qui fut une césure très fructueuse, à mi-parcours exactement de l'écriture des Essais. Au retour de ce voyage, il a conscience d'entamer « la dernière ligne droite » de sa vie, et veut vivre très exactement selon son désir le plus profond, en laissant de côté l'accessoire, le secondaire, tout ce qui n'est pas le bonheur.

     

    Ce qui l'amène à la troisième période au regard de l'argent : Par où je suis retombé à une tierce sorte de vie (je dis ce que j'en sens) certes plus plaisante et beaucoup plus réglée : c'est que je fais courir ma dépense quand et (au même rythme que) ma recette ; tantôt l'une devance, tantôt l'autre ; mais c'est de peu qu'elles s'abandonnent. Je vis du jour à la journée, et me contente d'avoir de quoi suffire aux besoins présents et ordinaires ; aux extraordinaires toutes les provisions du monde n'y sauraient bâter.(…) Si j'amasse, ce n'est que pour l'espérance de quelque voisine emplette : non pour acheter des terres, de quoi je n'ai que faire, mais pour acheter du plaisir. (…) Et me gratifie singulièrement que cette correction me soit arrivée en un âge naturellement enclin à l'avarice, et que je me vois défait de cette maladie si commune aux vieux, et la plus ridicule de toutes les humaines folies.

     

    Jouissance ou capitalisation. Confiance ou angoisse. Avarice laide et grincheuse, ou sens gracieux de la grâce. Vivre en temps réel la valeur d'usage des choses, ou chercher à faire de l'argent avec le temps. La proximité et le temps réel du plaisir de la valeur d'usage ou la projection, l'anticipation de la valeur d'échange. Monsieur des Essais a choisi : il ne sera pas capitaliste. Capitaliser c'est échanger son plaisir de vivre contre ce dont on n'a pas besoin. L'avarice, vice des vieux rats, ne passera pas par moi, dit Monsieur des Essais, indéfiniment jeune. Le voici rendu à la réalité et au présent. Exactement à la bonne heure. A l'heure exacte du bonheur.

     

    A suivre.

     

     

  • Chapitre 10 ( les meilleures choses ...)

     

     

    Chapitre 10 : Au fait, comment va la guerre ?

     

    Si vies pas s'aiment ...

    Friedrich Nicht : Généalogie de l'Amoral

     

    • La guerre ? Là, maintenant au dernier chapitre ? Tu es sûre que ça s'impose, pour finir ? Tu recrutes pour le club des lecteurs maso ou quoi ?

    • Je sais pas tout à coup j'ai eu une prise de conscience : on peut pas faire l'impasse sur la guerre si on veut rester dans la vraie vie même qu'on déménage. Globalement la vraie vie c'est quand même un peu la guerre pour beaucoup de vrais gens, non ? Mali, RDC, Mexique, Syrie, Israël-Palestine, Afghanistan, déjà ça fait du monde, et c'est juste la partie émergée de l'iceberg. Parce que t'as un paquet de guerres hyper discrètes mais largement aussi efficaces. Et tous ces gens qui guerroient ou sont guerroyés, moi je me sens pas de les ignorer, voilà. C'est une question de conscience politique, humaine, spinoz ...

    • Bon, bon, c'est bien. Mais est-ce le lieu ? Le premier devoir de conscience n'est-il pas, pour un auteur, de s'en tenir au sujet qu'il s'est proposé ? Or là tu es censée traiter du déménagement. Donc si tu entres dans la guerre, tu contractes un engagement moral envers ton lecteur : lui prouver le rapport entre guerre et déménagement. Et après libre à toi d'aborder toutes les guerres que tu voudras.

    • Ça marche !

     

    Alors. Nous disons donc le rapport entre guerre et déménagement. Attendez, je cherche le dossier … Ah voilà : ouh là, il est pas guère épais ! (Bon écoutez une bonne fois pour toutes je le confesse j'aime les calembours puérils, d'accord c'est mon côté cour de récré. Mais attention pas de celles où on joue à pan t'es mort. Curieusement ça m'éclate moins). Alors « les spécialistes blabla sources concordantes blabla n'ont pas tranché la question de la proportion exacte des guerres qui ont eu pour cause un déménagement. Mais ils s'accordent sur un fait, rares sont celles qui n'ont pas eu pour conséquence de nombreux déménagements ». D'accord avec les spécialistes concordants. Qui dit guerre dit et vas-y que je t'exile, que je t'exode, te déporte, te bannisse, te colonise, te replie, t'évacue, te réfugie … Pour déménager, ça déménage.

    De notre côté nous avions conclu peut être hâtivement, au chapitre 6, qu'un déménageur est rarement serial killer. Certes quelqu'un qui est déménageur, au départ, a peu de chance de devenir, ensuite, serial killer, comme nous l'avons démontré. Mais nous avons négligé d'examiner la réciproque, à savoir : peut-il arriver que quelqu'un qui s'est déjà lancé dans le serialkillisme en vienne à embrasser ensuite la profession de déménageur ? C'est en répondant à cette question que nous arriverons à celle de la guerre.

    • OK mais comment ?

    • Comment ?

    • De quelle façon tu t'y prends pour traiter la question ?

     

    Oui. C'est cela. De quelle façon. Voilà qui risque de créer quelques tensions sur la zone frontière entre le sens commun et la logique. Bon, je crains de n'avoir plus le choix, c'est le moment où jamais de sortir la grande artillerie. On va y aller more geometrico, les gars, je vois que ça. Ça tombe bien on a the spécialiste de la question dans notre think tank, j'ai nommé Spinoza.

    • Non sans blague ! On va encore s'embarquer Dieu sait où ...

    • Pas de panique. Tu vois ce que ça veut dire more geom ...

    • Ben oui, quand même, je suis pas complètement naze : c'est utiliser une méthode mathématique de raisonnement.

    • Et qui dit mathématique dit … ?

    • Dans mon cas, pas mal de zéros, des profs barbants ou sadiques ou les deux …

    • Dit : la Mathématique, laquelle s'occupe non des fins mais seulement des essences et propriétés des figures, pour montrer aux hommes une autre norme de la vérité. C'est dans l'Appendice de Dieu. Fais pas cette tête, c'est la fin de la partie 1 qui cause de Dieu si tu préfères. Une autre norme de la vérité ... Trop génial ce côté rock and roll de l’Éthique ! Juste t'essaies voir si on pourrait jouer la partoche autrement. Et hop, tout se met à swinguer, la religion, la philo, la science. T'arrêtes de te prendre la tête, au lieu de stresser genre qui suis-je où vais-je dans quel état j'erre et qu'est-ce que j'ai fait au Bon Dieu pour être si con, juste tu t'en balances et tout ce que tu cherches c'est bouger en rythme, enchaîner les pas : et je considérerai les actions et appétits humains comme s'il était question de lignes, de plans ou de corps.

    • Et si tu te prends les pieds dans le tapis ? Y a des lignes brisées, des plans sécants, des corps en interactions …

    • T'inquiète ! Tu laisses s'installer le groove, une étape après l'autre, pas toutes évidemment, mais seulement celles qui peuvent nous conduire comme par la main à la connaissance de l'esprit humain et de sa suprême béatitude. J'adore trop comme par la main, t'as envie de lui dire OK on se lâche pas on danse jusqu'au bout de la nuit !

    • Ben dis donc il te fait presque autant d'effet que ton Chéri Bobi …

    • Euh bon bref tout ça pour dire que le more geometrico, en pratique j'ai vu comment il quadrille le terrain. Il balise avec une ou deux définitions, quelques axiomes, genre je dessine les figures comme je veux. Après y a plus qu'à déduire des propositions qui sont déjà là mais qu'on voyait pas, genre le lapin qu'on sort du chapeau comme on a fait à notre chapitre 2. Un ou deux scolies pour avoir l'air d'expliquer, et hop roule ma poule. Tu veux un petit extrait histoire de visualiser, quelques petits coups de sonde dans le début de la partie 2, par exemple ?

    • Je dis pas non, ça doit se manger sans faim …

     

    Définition 1 : Par corps, j'entends une manière qui exprime de manière précise et déterminée l'essence de Dieu en tant qu'on le considère comme chose étendue (voir coroll prop25 partie1). Là tu sens le mec qui sait où il va, qui s'est affiché au coin de l'écran le post it avec son plan.

     

    Axiome 1 : Tous les corps sont soit en mouvement soit au repos. Là tu dis oui d'accord, mais bon, ça fait avancer le schmilblic ?

    Axiome 2 : Chaque corps se meut tantôt plus lentement, tantôt plus rapidement. Là tu dis ça dépend, non ? Mais comme il a l'air sûr de lui, tu suis. Surtout que si commences à tout discuter, t'es pas rendu.

     

    Lemme 1 : Les corps se distinguent entre eux sous le rapport du mouvement et du repos, de la vitesse et de la lenteur, et non sous le rapport de la substance. Et là, tu dis OK je vois où tu voulais en venir mon pote. Sauf, ajoutes-tu, que c'est une affirmation gratuite. Mais alors tu vois qu'il faut pas le chercher, parce qu'il enchaîne :

     

    Démonstration. Je suppose que la première partie va de soi. Mettons. Et que les corps ne se distinguent pas sous le rapport de la substance, cela est évident tant à partir de la prop5 que de la prop8 partie 1. Mais c'est encore plus clair à partir de ce qu'on a dit dans le scol prop15 partie 1. Et là tu te dis de deux choses l'une : ou il se fout de ta gueule et il dit n'importe quoi ; ou il te reproche implicitement de pas suivre assez attentivement. Alors ou tu laisses tout tomber, ou tu fais demi-tour dès que possible et tu retournes à la prop5 voir si t'aurais pas raté un embranchement.

     

    • Voilà les gars, z'êtes briefés, c'est ça le more geometrico. Got it ?

    • Chef ! Affirmatif Chef !

    • Soldat Ariane ?

    • Chef ! A vos ordres Chef !

    • Quelle est notre mission ?

    • Notre mission est de vérifier l'identité du déménageur et du serial killer, Chef !

    • Bien. Les gars ! Si t'es pas un vrai bourricot …

    • T'es more geometrico !

    • Quand t'en as dans le haricot …

    • T'es more geometrico !

    • OK, les gars, go !

     

    Définition 1 : Un fauteur de guerre est quelqu'un qui culpabilise de faire l'amour mais pas de faire la guerre.

    Axiome 1 : Une guerre est le fait d'au moins deux fauteurs de guerre.

    Scolie : Pour la guerre, comme pour l'amour, il faut, en rigueur de termes, être deux. Quand on est seul à s'aimer on parlera plutôt de narcissisme. Quand on se fait la guerre tout seul c'est un suicide.

    Définition 2 : Un serial killer est l'auteur de plus d'un meurtre.

    Scolie : « Plus d'un » signifie au moins deux, et plus si affinités.

     

    Théorème 1: Le comportement du serial killer se caractérise par la recherche d'affinités potentielles entre ses victimes putatives, dans le but d'élaborer sa série de killés.

    Démonstration : Elle est évidente à partir du scolie de l'axiome 1 et de la définition 2.

    Axiome 2 : Le désir de tout serial killer est de s'efforcer de serialkiller un max.

    Scolie 1: Un max ne présume aucunement du prénom de ses victimes, mais signifie « autant qu'il lui est possible ».

    Scolie 2 : Ah au fait pendant que j'y suis, au lieu de récrire sans cesse le mot en entier, je désignerai désormais le serial killer par le mot skill.

     

    Lemme 1 : En serialkillant un max, le skill épuise vite son stock de meurtres de proximité.

    Scolie 1 : J'entends meurtres de proximité au sens propre, en parlant donc d'espace. Les meurtres de proximité sont ceux que mène à bien le skill dans son quartier, sa ville etc.

    Scolie 2 : Je pourrais également considérer la proximité au sens figuré, c'est à dire des personnes proches. Mais non, je vais pas le faire. Car qui dit personnes proches dit lien affectif, positif ou négatif. Or l'affect positif, c'est pas trop le style du skill. Mais à vrai dire le négatif non plus. Il fait dans le non-affect, ainsi que l'affirment les spécialistes de la question, et ma foi pourquoi ne pas les croire ?

    Lemme 2 : Le stock de meurtres de proximité une fois épuisé, le skill reste contraint par sa pulsion meurtrière (cf axiome 2) à poursuivre sa série.

     

    Théorème 2 : L'activité du skill le conduit à étendre son champ d'action meurtrière, étant donné la nécessité de compléter sa série.

    Démonstration : Elle est évidente à partir de l'axiome 2 et du lemme 1.

    Corollaire : La mesure d'extension du champ est proportionnelle au nombre de killés que se fixe le skill pour sa série.

     

    Théorème 3 : Au-delà d'un certain seuil dit critique, le nombre fixé pour la série conduira le skill à déménager.

    Démonstration : Évidente à partir du théorème 2 et son corollaire.

    Scolie 1 : Le seuil critique est très variable, dépendant du rapport du skill aux chiffres, de sa vitesse de déplacement etc. Il ne peut donc être appréhendé facilement. Je parle du nombre.

    Scolie 2 : Mais c'est vrai qu'on peut le dire aussi du skill. C'est ce que dit la police et je veux bien la croire.

     

    Théorème 4 : Tout skill est un déménageur en puissance.

    Démonstration : Évidente à partir du théorème 3 et de l'axiome 2.

     

    Lemme : Tout skill est un loup solitaire.

    Démonstration : D'après le scolie 2 du lemme 1 théorème 1, les skills sont déconnectés de l'affectif, le genre humain n'est pas leur genre. Et ainsi le skill est un loup pour l'homme. Ce qui était le premier point. Deuxième point, plus un skill persévère dans son être, plus il skille, par conséquent plus il réduit le nombre potentiel de personnes aptes à lui tenir compagnie, plus par conséquent il est solitaire.

    Corollaire : Le skill n'aime pas se faire aider et tente de se débrouiller tout seul.

    Scolie : Un loup-pour-l'homme fait rarement confiance aux autres loups-pour-l'homme, comme il est assez visible dans les situations de compétition dont les exemples abondent, style les paranoïaques des salles de Marché.

     

    Proposition 1 : Pour déménager le skill se fait lui-même déménageur, ainsi qu'il se déduit du théorème 4 et du corollaire du lemme adjoint.

    Proposition 2 : La multiplication des meurtres nourrit celle des déménagements, qui nourrit à son tour celle des meurtres, et ainsi de suite, d'où un accroissement exponentiel du nombre des killés.

    Proposition 3 : Très beaucoup de killés sur le plus d'espace possible ça s'appelle une jolie guerre. Et ainsi tout fauteur de guerre est assimilable à un serial killer qui lui-même est par le fait déménageur.

    Et voilà le travail. Enfin, je veux dire CQFD.

     

    • Alors, qu'est-ce que t'en penses ? On tient le bon bout, non ?

    • Euh … C'est pas un chouïa comment dire, euh abstrait ? T'as pas peur de traumatiser les derniers lecteurs qui ont tenu jusqu'ici ? Les pauvres, si près de la quille, leur faire ça … Tu as prévu la cellule d'écoute psychologique ?

    • Ah voilà je l'attendais celle-là !

    • Je plaisante ! Je voulais dire que tes lecteurs, si ça se trouve, ils ont juste envie de se détendre un moment. Et puis, comment dire, il y a une sorte de désinvolture …

    • Désinvolture ?

    • Oui le fond de ma pensée pour tout dire c'est que ça frise la manipulation. Bon tu es l'auteur OK tu fais ce que tu veux. Mais les autocrates manipulateurs finissent mal en général.

    • Quoi !!! Attends, j'ai pas bien compris, c'est à moi que tu parles ? You're talking to me ? You're trayeting me d'autocrayette ? C'est pas à mon âge qu'on commence une carrière de dictatrice, figure-toi.

    • Oui, enfin, excuse-moi, on est obligé de s'étonner : pour quelqu'un qui se pique d'éthique, infliger au lecteur un traitement aussi …

    • Quoi, piquée ? Vas-y, dis-moi que je délire, tant que t'y es !

    • Non, je disais piquée … d'éthique, faut pas prendre la ...

    • Vaut mieux être piquée d'éthique que pas piquée des vers, et toc !

    • Mais oui, mais oui. Je voulais juste dire que passer comme ça du coq à l'âne sans crier guerre, euh gare, c'était pas raccord raccord avec ta DT. En fait tu as bien manœuvré pour dénoncer unilatéralement le traité en cours et le remplacer par un autre ...

    • Et tu vas faire quoi, rappeler ton ambassadeur pour consultation ?

       

    Oui je sais cette dernière phrase n'était pas très gentille, mais les négociations bilatérales vous savez ce que c'est. Je vous passe le détail des échanges, l'essentiel est que nous ayons abouti à un compromis acceptable pour toutes les parties.

    • Voyons … Et si tu donnais un ou deux petits exemples de guerres, histoire que les lecteurs aient un truc pour se raccrocher ?

       

    Des exemples. OK. C'est pas ce qui manque. J'en tire un du tas au hasard. « Deuxième guerre mondiale ». Bonne pioche, ma foi. Guerre globalement initiée par un serial killer nommé Hitler. Voilà un skill qui a commencé par bien rentabiliser ce qu'il avait sous la main comme possibilité de séries de proximité en Allemagne. Démocrates résistants, handicapés etc. Et bien sûr il a entamé sa série fétiche. Série, soit dit en passant, qui est une convaincante illustration de notre théorème 1 ci-dessus. Franchement l'antisémitisme c'est d'enfer pour un serial killer. Logiquement sévir en Allemagne ne pouvait lui suffire (cf théorème 2) il cherché plus de Lebensraum et ce qui s'ensuit (cf théorème 3). Et ensuite forcément on tombe sur nos propositions 1 et 2. D'où un paquet de déménagements pour plein de gens et pas toujours dans de bonnes conditions, d'où un nombre correspondant d'incendies, et tant de feus consumés dans la terrifiante abjection des fours crématoires ...

    Euh finalement je suis pas sûre que ce dernier chapitre sur la guerre soit une bonne idée, je crains d'avoir cassé l'ambiance. Peut être puis-je rattraper le coup en mentionnant les magnifiques feux d'artifice qui vinrent conclure les festivités début août 45 ?

     

    • Non, arrête ! Finir comme ça, c'est juste pas possible ! T'as pas plutôt une petite chose sympa, histoire de rasséréner ton lecteur avant de le démobiliser et le renvoyer à ses foyers ?

    • Une chose sympa ? Pas de problème. Une petite phrase genre pêchue et zen à la fois par exemple ?

    • Voilà ! Exactement ce qu'il nous faut ! C'est quoi ?

    • Montaigne, forcément. Il a une phrase fabuleuse sur …

    • T'as pas autre chose ?

    • De mieux, non, j'ai pas, c'est comme ça.

    • Bon tant pis. De toutes façons au point où on en est. Vas-y, balance-le nous ton Montaigne.

     

    Et certes la guerre a naturellement beaucoup de privilèges raisonnables au préjudice de la raison. (Essais I,6 L'heure des parlements dangereuse = le moment craignos des négociations). Phrase choc et chic. Aphorisme imparable de logique et humour pince sans rire. Monsieur des Essais, quoi.

    Sûr que le mec qui vous braque il a comme qui dirait un argument massue raisonnable, c'est à dire dont un rapide calcul vous apprend qu'il est en sa faveur. Et alors devant la massue, la machette, le cocktail Molotov, la kalachnikov, le missile, le fissile, reste plus qu'à penser avec ses tripes. Bien naturel, c'est le mot.

     

    Dans le genre tuerie décomplexée, les guerres de religion, faut dire, c'était d'un bon niveau. Certes en ce temps-là ils étaient pas encore à fond dans l'explosif en free lance comme n'importe quel attentiste suicidaire de nos jours, si bien que le rapport sur investissement n'était pas si bon. Mettons cependant à leur actif les excellentes percées réalisées sur les marchés d'Amérique latine, à peine émergents à l'époque. On comprend que Montaigne ait essayé de signaler que c'était pas le meilleur plan de se skiller mutuellement au nom du king, du pape, de Luther ou de Dieu sait qui. De faire remarquer que le débat sur la religion se faisait quelque peu au préjudice de la raison. A vrai dire, depuis … C'est un domaine où la lucidité et la bonne foi ne font guère recette. Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais tout ça commence à bien me foutre les boules. Sale temps pour les Lumières. En parlant de boules, le bon vieux Marx il avait pas tout à fait tort : la religion c'est l'opium du peuple. Ça l'aurait bien fait marrer, je pense, de constater qu'en plus y a des coins, style Afghanistan, où l'opium est bel et bien le nerf de la guerre.

     

    Côté économie puisqu'on en parle, ça roule gentiment. Globalement on a trouvé la vitesse de croiseur et de sous marin nucléaire. Décidément oui, il y a plein de privilèges raisonnables à mettre à l'actif de la guerre. Santé de fer des industries d'armement, sans compter les sous-traitants. Quant aux dégâts matériels, les guerres actuelles font rarement moins bien en termes de rentabilité qu'un séisme disons 5 ou 6 sur l'échelle de Richter. Très bon pour le secteur du bâtiment qui quand il va tout va. Sans compter les dégâts collatéraux en matériel humain, morts, blessés, traumatisés, toujours bon à prendre pour faire grimper le PIB mondial.

     

    Il convient donc d'acquiescer sans flottement d'âme à la sagesse des nations : Si vis pacem para bellum. Charmant proverbe qui reste bien attesté en deçà comme au-delà du Rubicon. De nos jours la traduction généralement adoptée à l'heure craignos des négociations est « processus de paix ». Formule présentant l'avantage d'offrir un côté plus vendeur, avec juste la touche humoristique qu'il faut. Le processus de paix est toujours au point mort. Le processus de guerre entre dans le vif du sujet. Toutes ces luttes tribales ou intestines, ces étripages fratricides, cette connerie suicidaire depuis la nuit des temps. La connerie suicidaire, en voilà une énergie renouvelable d'un fabuleux rendement en termes de gaspillage de bonheur et de corps vivants ! Comment va la guerre ? On fait aller, Dieu merci, on rafle un max de parts de marché à l'entreprise concurrente, le machin, là, oui c'est ça : l'humanisme.

     

    Voilà, je voulais dire tout ça dans ce dernier chapitre et je vois pas bien qui aurait pu m'en empêcher. A part ça, j'ai peur de devoir écrire une conclusion, c'est le genre de truc sur lequel un traité philosophique digne de ce nom ne fait pas l'impasse.

     

    Conclusion

     

    Au regard de tant de déménagements de si grande envergure et de si déterminante conséquence pour l'humanité, le nôtre fut si peu remarquable qu'on pourrait se demander s'il valait la peine d'en faire l'objet d'un traité philosophique.

    J'ai ma réponse.

     

    Qui ne voit que j'ai pris une route par laquelle, sans cesse et sans travail, j'irai autant qu'il y aura d'encre et de papier au monde ? (Et d'électricité nucléaire pour brancher l'ordi avant l'accident majeur impossible au pays des centrales les plus cartésiennes du monde). Je ne puis tenir registre de ma vie par mes actions : fortune les met trop bas (en ce qui me concerne je sais pas si c'est la fortune ou si c'est plutôt moi, mais le fait est là, pas grand chose à inscrire au registre) ; je le tiens par mes fantaisies. (…) Il semble que ce soit la saison des choses vaines quand les dommageables nous pressent (Oui la saison d'échapper juste un instant au temps lourd et oppressant, et contre la connerie suicidaire se donner un peu d'air et de légèreté). En un temps où le méchamment faire est si commun, de ne faire qu'inutilement il est comme louable.

    (Essais III, 8 De la vanité)

     

     

     

  • Chapitre 9 (ça sent l'écurie ...)

     

    Chapitre 9 : Tout poêle est-il nécessairement cartésien ?

     

    L'ego en vaut-il la chandelle ? Descartes pour les nuls

    Qui dit déménagement, dit toujours plus ou moins à l'arrivée maison, home sweet home, ce genre de choses. Foyer quoi. Et qui dit foyer peut dire beaucoup de choses : bûcher, Jeanne d'Arc, autodafés, Inquisition, marrane, Spinoza (y a pas, on y revient toujours). Mais aussi, dans un registre plus quotidien, cheminée, pommes de terre sous la cendre, marrons grillés. Ou bien poêle. Ce qui est notre cas. Car, dans notre nouveau home issu de notre déménagement, nous nous chauffons au poêle. Ce qui, est-il utile de le préciser (peut être oui), est en totale adéquation avec notre positionnement cartésien.

    En effet, d'après des sources proches et concordantes, il paraît que Descartes vécut assez longtemps dans un poêle. Faut-il en déduire qu'il aspirait à se faire réduire en cendres de son vivant, de façon à accéder directement au Panthéon dès le début de sa mort ? Évidemment non. La raison c'est que n'étant pas un jouisseur du style de Charly Bod, Descartes méprisa les vastes portiques dans le soleil marin et tout ce qui s'ensuit, et squatta courageusement dans des bleds assez frisquets, du style Amsterdam ou Stockholm. Or dans ces contrées nordiques, aussi étonnant que cela paraisse, on pratique comme chez nous la métonymie. Du moins on la pratiquait à l'époque. Et ainsi on nommait du même nom, parméton, l'objet chauffant et la pièce où il officiait. C'est à dire poêle. Appellation homologuée dans le port d'Amsterdam aussi bien que dans les rades de La Haye.

     

    • Ça alors !

    • Quoi ? Ne me dis pas que t'as encore bugué ! Euh, que ton ordi …

    • Non, l'ordi ça va.

    • Qu'est-ce qui t'arrive encore alors ?

    • Si je te dis La Haye, tu penses à qui ?

    • Au voisin qui est censé tailler la sienne qui commence à bloquer la fenêtre de la salle de bains. Tu prépares une feuille de route pour le processus de normalisation dans le cadre de la définition d'une zone de sécurité ?

    • Non, pas cette haie-ci, l'autre. Là-bas aux Pays Bas, enfin là-haut. Tu devineras jamais ce que je viens de trouver dans le concurrent direct de Bob !

    • Sur la Haye ?

    • Non, sur Descartes, enfin dans son entrée, page 1596. Figure-toi … T'es bien assis là ?

    • C'est à ce point ?

    • Carrément dément, je te dis ! Bon. Spinoza est mort à la Haye, tu te souviens ?

    • A vrai dire, je n'ai plus que des images assez floues de son enterrement ... Tu comprends c'était il y a un moment déjà, y avait pas mal de brouillard, normal vu la saison, et puis on a fait ça assez discrètement, rien de très marquant genre funérailles nationales ou transfert des cendres au Panthéon …

    • C'est vrai c'est fou quand on y réfléchit des gens de cette pointure inhumés à la sauve qui peut, je veux dire à la va comme je te pousse, comme Mozart tout ça, c'est scandaleux, quand il y a tant de nuisibles qu'on a embaumés, ou mis dans des mausolées …

    • Et donc, La Haye ?

    • Oui, donc Spinoza est mort à La Haye, et tu sais où Descartes il est né ?

    • Tu sais ou tu sais pas ?

    • Non, mais ça m'étonnerait que ce soit en Hollande, c'est quand même notre génie national, emblématique de la rationalité bien française. Il nous aurait pas fait ça.

    • Oui, pas de lézard, de hasard, enfin bref oui il est né en France. En douce France de Touraine, en Indre et Loire exactement dans un bled qui s'appelle Descartes, pour tout dire.

    • Ah bon, comme Montaigne alors ?

    • Oui, si tu veux, sauf que c'est dans l'autre sens. Le bled s'appelle Descartes, aujourd'hui. Comme Ferney s'appelle Voltaire, comme Cabourg s'appelle Proust, enfin Balbec, non je veux dire comme Guermantes … Enfin, tu vois ?

    • Oui, ils ont donné au bled le nom du grand homme.

    • Voilà. Et tu sais comment ça s'appelait quand Descartes y est né ?

    • La Haye ?

    • Comment t'as deviné ???

    • Au terme d'un raisonnement more geometrico qui m'a fait inférer des effets aux causes, et voir l'unité substantielle de la nature naturée et de la nature naturante.

    • Oui, c'est logique. Mais bon, tu trouves pas ça trop génial ? Comme un signe du destin ? Que forcément à un moment quelque chose les unirait – tout en les séparant aussi si on veut ...

    • Et qu'ils échangeraient quelques propos transitionnels de bon voisinage de part et d'autre de la haie, à propos de leurs domaines respectifs de spéculation.

    • Ben. Oui. En fait c'est ça.

     

    Enfin la haie, c'est Spinoza qui l'a sautée, pour aller inspecter le domaine de Descartes. Parce que malheureusement les lois de la chronologie et de la biologie réunies font que si Descartes, lui, avait voulu aller sur les plantes-bandes de Spinoza, il lui aurait fallu une sacrée pratique du kung-fu, pour faire comme Uma Thurman dans Kill Bill. Le temps a joué contre lui. Trépassé comme il était quand Spinoza se mit à penser, il lui aurait fallu salement ramer pour remonter jusqu'à La Haye.

    Les grands esprits se rencontrent (comme dit Roberto) : peut être, mais souvent le match reste indécis. Par bonheur Spinoza était très fair-play, il n'a pas profité outre mesure de l'avantage stratégique que lui conférait le hasard de sa position postérieure, même si çà et là il a laissé entendre que Descartes l'avait parfois joué petit bras.

     

    A propos de postérieur, Spinoza posait-il le sien aussi près d'un poêle que le faisait Descartes, personnellement je n'en mettrais pas ma main au feu. Tout laisse à penser qu'il supportait avec équanimité les hivers humides et glaciaux, sans se plaindre de n'avoir pas l'opportunité de cocooner douillettement dans le confort d'un mobilier suédois. La preuve, il est mort de la tuberculose ou un truc du genre, pas à dire c'était vraiment un dur à cuire.

    Toujours est-il que d'autres grands esprits se rencontrent puisque nous aussi nous disposons d'un poêle. Un poêle à granulés de bois, et par conséquent honnêtement écologique. Pas autant naturellement que si nous utilisions l'électricité nucléaire. Mais nous pouvons dire pour notre défense que Descartes ne le fit pas non plus. Il avait peut être ses raisons ?

     

    Bon nous disons donc poêlepodzoliser, poecile, poecilotherme … ah, therme, on approche, et voilà :

    1 poêle n.m. 1 vieux. Drap recouvrant le cercueil, pendant les funérailles. « Tenir les cordons du poêle » 

    Il commence fort, ce sacré Bob, sur ce coup-là : si on voulait échapper aux questions existentielles, c'est raté. Je me demande si je vais pas plutôt retourner à poecilotherme ?

    Poecilotherme v.poïkilotherme ah oui quand même. Poïkilotherme : se dit des animaux dont le sang a une température variable (reptiles, poissons, etc.). Oui. Bon. Je suis pas sûre que ça nous éloigne tant que ça du sujet, parce que le vieux mec sous le poêle 1 il est comme qui dirait passé du chaud au froid, lui aussi. Bon tant pis, on n'y peut rien, on est embarqué.

     

    2 anciennement. Ouais, vieux, anciennement, il le fait exprès ou quoi ? On dirait que du point de vue de Bobus, le poêle c'est pas l'actualité brûlante. Voile tenu au dessus de la tête des mariés, dans la liturgie catholique. Ah bon ? Catholique ? « Après avoir été à genoux coude à coude sous le poêle de moire blanche » Hugo. Bon, alors catholique, OK. Quoique. Aussi bien il l'invente la citation, Bobard. Trouvez pas ça louche, vous, « Hugo » sans précision ? Franchement ça sent l'arnaque. Parce que je suis sûre que c'est pas dans Notre Dame de Paris. Alors, catholique, je veux bien … Enfin, je vais pas polémiquer, j'ai un Précis sur le feu, moi.

    Au passage, hein, feu, en voilà un mot fourre-tout, pas un mot valise, mais carrément un mot malle des Indes, un mot container de déchetterie, un mot silo de têtes nucléaires. Pour n'en rester qu'au plan technique dira-t-on feu mon père, feu ma mère ou bien feue ma mère, en voilà une colle, hein ? En fait moi je sais. Et y en a à qui je pourrais dire que c'est pas tout à fait inutile de compulser compulsivement les dicos et autres grammaires. Suivez mon regard. Bref. C'est le verbe être. Au passé simple. Feu égale fut. Donc, vous n'écrirez pas feue ma mère. CQFD. En revanche, si vous intercalez du feu entre un nom et son déterminant, alors vous êtes obligé de le traiter en adjectif, et donc de l'accorder. Exemple vous direz feu la marquise, mais la feue marquise.

    La feue marquise avait un jour rougi sous le poêle de moire blanche, moi aussi je peux pasticher Hugo si je veux …

     

    2 Poêle 1 Appareil de chauffage clos où brûle un combustible. Sobre et technique. Trop, non ? Franchement il manque d'oreille, ce pauvre Petitrob : il nous supprimait clos qui sert trop à rien et on avait un bel alexandrin Appareil de chauffage où brûle un combustible, genre C'est un trou de verdure où chante une rivière.

    Ou alors tant qu'à renoncer à l'alexandrin, il aurait pu mettre clos dans la Haye, là OK ça avait du sens.

    2 vieux Chambre chauffée. Et là, attention les yeux : « Je demeurais tout le jour enfermé seul dans un poêle » Descartes. Et voilà le travail. Deux déménagements valent un incendie  et tous les poêles mènent à Descartes. CQFD.

     

    Au fait, que faisait Descartes tout seul dans son poêle ? D'après des sources proches et concordantes, il commençait par se chauffer les neurones avec un petit problème algébrique avant de poursuivre sa correspondance avec différents savants penseurs & philosophes. Un peu comme moi si je faisais un sudoku avant de me remettre à ma grille de mots croisés. Mais le sudoku je trouve ça lassant, j'aime mieux les trucs à mots, il y a plus de surprises. Après quoi, histoire de se détendre un moment, il se livrait à quelques cogitations sur des sujets existentiels autant que pratiques.

     

    C'est ainsi qu'un jour de l'hiver 1636-37 il se décida à réaménager son poêle de fond en comble. Il commença par déblayer sa table de travail encombrée de vieilles paperasses, de façon à y remettre à plat de manière aussi rigoureuse que possible l'ensemble de ses perceptions (essentiellement constituées par les subventions en espèces octroyées par ses mécènes). Ensuite il envisagea de classer avec méthode l'ensemble des objets de son environnement, ou, pour le dire en termes moins anachroniques, son ménage. Un mini-déménagement sur place, en quelque sorte, dans l'enceinte de son foyer. Il regroupa donc tous les objets perçus en petites piles, par catégories : les bougies de cire avec les bougies de son, les assiettes plates avec le livre d'heures creuses, le chapeau de feutre avec les plumes d'oie, les bottes de cuir avec les livres brochés etc. Vous me direz que ça ne ressemble pas vraiment à un rangement méthodique. Bien vu. En effet, ses petites piles se cassèrent la gueule.

    C'est pourquoi les spécialistes nomment ces éléments de son œuvre « châteaux-Descartes ». Si je signale ce fait, ce n'est pas par goût de l'anecdote, mais parce qu'il est en rapport direct avec nos propres conceptualisations. En effet, les tas instables de Descartes dénotent chez cet éminent penseur le manque criant de cartons & étiquettes. Mais il ne fit pas immédiatement l'analyse du problème en ces termes, malgré sa relative pratique des déménagements. La chute de ses châteaux-Descartes l'abattit trop radicalement, lui fila un trop sale coup au moral, si bien que le doute s'empara de lui. Un doute carrément hyperbolique, assez proche, toutes choses égales par ailleurs dans les conditions normales de température et de pression, de la méthode paranoïaque critique.

     

    Il était si déprimé qu'il pensa tout foutre au feu une bonne fois. « Âtre ou ne pas âtre ? », soliloquait-il dans son poêle, ce qui commençait à faire craindre aux sources proches et concordantes des atteintes pour sa santé mentale. Heureusement une servante qui passait par là l'entendit, entrouvrit la porte et demanda :

    • Monsieur n'a plus assez de feu ?

    Or la servante était assez accorte. Descartes, qui pour être cartésien n'en était pas moins homme, ne la renvoya pas illico à ses chères études, mais saisit le premier prétexte qui lui vint à la pensée pour la retenir :

     

    • Euh, en fait, eh bien, ma chandelle est morte …

    • Ah mais ça c'est pour sûr, que Monsieur n'aye plus les idées si claires, toujours à cogiter tard, au bout d'un moment la chandelle elle se met à fumer, et les concepts à Monsieur itou.

    • Oui, voilà, répondit Descartes du tac au tac, avec, on s'en doute, une idée derrière la tête.

    • Je m'en vas vous chercher des provisions de chandelles afin qu'on aye de quoi voir plus clairement et consécutivement rayaisonner plus méthodiquement, poursuivit la servante dans son parler moliéresque, ce qui était normal vu l'époque.

    • Écoutez, Toinette, la démonstration que vous venez de produire ne manque pas de rigueur. Néanmoins, cherchez bien, il y a une solution alternative au renouvellement du stock de chandelles.

    • Une bougie de cire ?

    • Non. J'entends une solution qui nous ferait changer de paradigme, si vous voulez, un peu comme quand on passe de la physique newtonienne à la physique des quanta, vous me suivez, Toinette ?

    • Si Monsieur cherche à me vanter ici les mérites de la fission nuclayère pour résoudre les questions énergétiques, je préfère lui opposer immédiatement une fin de non recevoir par principe de prayecaution. Car j'avons lu il y a quelque temps dans les gazettes, aussi bien Le Mercure françois que L'Uranium hollandois (qui disposent de sources concordantes et bien informées) le récit d'un événement effroyable dans des contrées extrême-orientales …

    • Comment, Toinette, vous savez donc lire ?

    • Mais oui, j'avons appris toute seule en vidant vos brouillons de votre corbeille à papiers. Et c'était pas gagné parce que si je peux me permettre qu'est-ce que Monsieur écrit mal ! Mais ne détournez pas la conversation. Vous avez été lobbyé par qui pour cautionner le nuclayère hein ?

    • Mais enfin Toinette pour qui me prenez-vous, j'ai juste étudié avec soin l'équation de Monsieur Einstein …

    • Celle qui met en relation l'énergie, le carré de la vitesse de la lumière et le coefficient de masse ?

    • Celle-là même, Toinette. Et mon propos était seulement d'attirer votre attention sur l'application possible de l'équation à notre situation actuelle. Vous serez d'accord avec moi pour dire que nous présentons l'un et l'autre une certaine masse ?

    • Je trouve Monsieur un peu mayegrichon en ce moment, mais bon, comme je compense ...

    • Vous serez toujours d'accord pour dire que si j'allume ma chandelle, la lumière ainsi produite pourra …

    • Avoir quelque effet sur notre masse, la transformant en énergie, oui. A condition de placer la chandelle au bon endroit … ajouta Toinette avec un sourire coquin qu'elle tenait de sa formation moliéresque.

       

    Descartes trouva la réponse adéquate, propre à accroître leur puissance d'exister dans l'addition de leurs affects positifs de même sens.

    Il prit la main de Toinette, l'entraîna dans le poêle, referma la porte, et souffla la chandelle.

     

    Cette nuit-là, exceptionnellement, Descartes ne fut donc pas seul dans son poêle. Et le lendemain, ayant retrouvé la jouissance de toutes ses facultés, il se remit à l'élaboration de son œuvre philosophique avec un certain enjouement. Et la réussite que l'on sait.

    Réussite qui n'a d'égale que celle des lobbyistes du nucléaire auprès de décideurs que l'on aurait pu souhaiter moins mous du cogito. Je trouve que les premiers sièges sont communément saisis par les hommes les moins capables et que les grandeurs de fortune ne se trouvent guère mêlées à la compétence. (Essais I,26 De l'institution des enfants) Je sais pas dans quel poêle était Montaigne quand il a écrit ça, mais moi, dans le mien, c'est ce que je me dis souvent : la lucidité en matière de choix énergétiques, curieusement, n'est pas proportionnelle au carré de la vitesse de la lumière. Einstein y avait-il songé ?

     

    Enfin ! Il faut rester zen, car, comme on dit à Fukushima : oui, on a parfois quelques petits soucis, mais vous savez, tout est relatif ...