Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Le blog d'Ariane Beth - Page 169

  • La passion de la raison (7/22) Le besoin des récompenses de l'opinion

    « C'est en méditant sur l'ambition que je parlerai de tous les succès éphémères qui peuvent imiter ou rappeler la gloire ; mais c'est d'elle-même, c'est à dire de ce qui est vraiment grand et juste, que je veux d'abord m'occuper. »

    (G de Staël. De l'amour de la gloire)

     

    Le mot important est imiter. Il donne le critère du parallèle que G. de Staël établit entre l'amour de la gloire et l'ambition. Les deux procèdent du même désir mais la seconde n'est qu'une pâle imitation du premier, sa contrefaçon.

    L'orgueil qui sous-tend ces deux passions n'est pas condamné au plan moral par Germaine. Ce qui la gêne davantage est que le désir de reconnaissance qui les caractérise vienne contrarier le bonheur.

    « Je ne cherche point à détourner l'homme de génie de répandre ses bienfaits sur le genre humain ;

    mais je voudrais retrancher des motifs qui l'animent le besoin des récompenses de l'opinion ;

    je voudrais retrancher ce qui est l'essence des passions, l'asservissement à la puissance des autres. »

    (De l'amour de la gloire)

     

    L'asservissement à la puissance des autres va servir d'échelle pour classer les trois déclinaisons de l'orgueil.

     

    En haut, l'amour de la gloire, qui, dit-elle, « est aussi rare que le génie, et presque jamais il n'est séparé des grands talents qui font son excuse. » Des talents qui portent à leur mise en œuvre.

    Cette passion est donc active, elle recherche un effet réel et « ne peut être trompée sur son objet ; elle veut, ou le posséder en entier, ou rejeter tout ce qui serait un diminutif de lui-même. »

     

    Un cran (ou plusieurs) au-dessous, l'ambition.

    « Par l'ambition, je désigne la passion qui n'a pour objet que la puissance, c'est à dire la possession des places, des richesses ou des honneurs qui la donnent »

    (De l'ambition)

     

    Résultat l'ambitieux « a besoin de la première, de la seconde, de la dernière place dans l'ordre du crédit et du pouvoir, et se rattache à chaque degré, cédant à l'horreur que lui inspire la privation absolue de tout ce qui peut combler, ou satisfaire, ou même faire illusion, à ses désirs. »

    Cette accroche à la moindre parcelle ou apparence de pouvoir signe la médiocrité de l'ambitieux. Et son illogisme : la soif de pouvoir pour le pouvoir aboutit à un asservissement à la puissance des autres de le lui donner ou pas. On a ici la clé du comportement démagogique.

     

    Au bas de l'échelle enfin, l'orgueil sous sa forme de vanité. On verra la prochaine fois avec quelles verve et pertinence G de Staël l'analyse.

  • La passion de la raison (6/22) Le moins d'égoïsme

    « Tout le monde croit avoir eu de l'amour, et presque tout le monde se trompe en le croyant ; les autres passions sont beaucoup plus naturelles, et par conséquent moins rares que celle-là ; car elle est celle où entre le moins d'égoïsme. »

    (G de Staël. De l'influence etc. Note qu'il faut lire avant le chap De l'amour)

     

    On va lui laisser la responsabilité de la première partie de cette affirmation. Quoique. Si l'amour est la passion où entre le moins d'égoïsme, qui peut dire sincèrement qu'il a vraiment aimé ?

    La définition de l'amour comme contraire de l'égoïsme m'évoque surtout la conception freudienne de la dynamique psychique : elle se joue dans la tension entre pulsions d'auto-conservation et pulsions libidinales.

    Pour schématiser, disons que la libido travaille à investir le territoire occupé par le souci de soi (d'abord angoisse primitive devant le monde-non-soi, puis de là narcissisme) pour y faire entrer l'intérêt pour l'autre, le goût des autres.

    Dans Malaise dans la culture, Freud considère que la libido est ainsi, de proche en proche, une force d'association, qui permet d'initier la construction d'ensembles de plus en plus vastes.

    On peut donc dire que l'amour a d'emblée un rapport avec le fait politique au sens large. Ce qui donne raison à la perspective staëlienne qui lie fermement les niveaux individuel et collectif des passions.

     

    Elle poursuit en signalant les confusions possibles sur la définition de l'amour, avec des exemples littéraires, des Anciens jusqu'à Goethe ou Rousseau.

    Par rapport aux autres affections du cœur, poursuit-elle

    « L'amour seul nous est représenté, tantôt sous les traits les plus grossiers, tantôt comme tellement inséparable ou de la volupté, ou de la frénésie, que c'est un tableau plutôt qu'un sentiment, une maladie plutôt qu'une passion de l'âme. »

     

    Germaine de Staël, on le sait, a eu une vie amoureuse intense, aussi intense que sa vie littéraire et politique. Comme en politique, elle a tenté de la vivre en associant l'engagement et la lucidité (ne s'aveuglant ni sur ses défauts ni sur ceux de ses maris et amants).

    En fait elle a synthétisé en théorie comme en pratique les trois composantes de l'amour repérées depuis Platon :

    éros (amour sensuel, passion au sens courant), agapê (amour oblatif où entre le moins d'égoïsme), et philia (amour-amitié, compagnonnage, collaboration).

    Une philia qui serait peut être le plus exact opposé de l'esprit de parti.

     

    Bon, cela étant, l'amour sera pour plus tard.

    ... Non non pas d'angoisse, lectrice-teur, je veux juste dire plus tard dans notre lecture (au n°12 si tu veux tout savoir).

     

  • La passion de la raison (5/22) Poisons et pharmakon

    Au titre De l'influence des passions sur le bonheur des individus et des nations il faut donc retrancher et des nations (cf 3).

    Le plan global du livre, je l'ai dit la dernière fois, correspond à une logique thérapeutique : analyser le poison des passions, et donner la formule des ressources-antidotes.

    Commençons par le commencement

    Section première. Des passions

    Chap 1 De l'amour de la gloire.

    Chap 2 De l'ambition.

    Chap 3 De la vanité.

    Chap 4 De l'amour (précédé de Note qu'il faut lire avant le chap De l'amour).

    Chap 5 Du jeu, de l'avarice, de l'ivresse, etc.

    Chap 6 De l'envie et de la vengeance.

    Chap 7 De l'esprit de parti.

    Chap 8 Du crime.

     

    Une question vient immédiatement à l'esprit : comment Germaine a-t-elle décidé de cette liste ? Elle ne s'en explique pas, sinon pour souligner le caractère imposant de certaines des passions sélectionnées. Des passions qui ont tendance à s'imposer, à imprégner la personnalité.

    Deux regroupements s'imposent.

    Amour de la gloire, ambition, vanité jouent sur des ressorts communs dont on peut discerner les articulations.

    De même envie, vengeance, esprit de parti procèdent d'une même logique qui culmine dans le crime.

    Restent à part l'amour et le chap 5 dont Germaine souligne elle-même le côté flottant par son « etc. »

     

    Les deux autres sections exploreront les ressources contre le malheur passionnel. Deuxième section (dont on verra le plan au n°13) : affectivité, aide mutuelle, consolation venue des proches (ou de Dieu), ce qu'elle nomme sentiments. Disons les bénéfices de l'amour sans ses emmerdes.

    Faux espoir : ces ressources ramènent souvent à la dépendance d'autrui, la passion évacuée par la porte peut revenir par la fenêtre.

    D'où la troisième section (plan au n°17) : les ressources, les consolations, on peut les chercher en soi : c'est peut être même le plus sûr.

     

    Revenons à la partie I : j'y repère un intrus. L'amour est le seul de la liste non connoté négativement d'emblée. Que vient-il donc faire dans cette galère ?

    C'est que le propos de Germaine n'est pas une morale idéaliste mais une éthique du bonheur. Il ne s'agit pas de décréter ce qui est « bien » ou « mal », mais de regarder comment les passions font du bien ou du mal.

    Or l'amour peut les deux. Non pas poison comme les autres passions (du moins celles considérées ici), mais pharmakon, tantôt poison tantôt remède selon l'usage qu'on en a.

    N'empêche, Germaine a senti qu'il fallait justifier sa place dans sa liste, d'où la Note qu'il faut lire avant le chap De l'amour. Note que nous regarderons la prochaine fois.