Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Le blog d'Ariane Beth - Page 170

  • La passion de la raison (4/22) Me faire juger par mes écrits

    Faute de 2° partie sur la politique (qui eût été du plus grand intérêt, mais bon) nous allons parcourir la 1ère partie sur la recherche du bonheur par l'individu.

     

    La logique en est simple. La passion est, au moins en partie, ennemie du bonheur, pose Germaine. Pour vivre heureux il faut tenter de se prémunir de ses dégâts potentiels, chercher des pare-feu, qu'elle nomme des ressources.

    Position éthique classique, que modifiera l'époque romantique, valorisant l'intensité au détriment de la maîtrise, dissociant le bonheur du calme. Genre levez-vous vite orages désirés* ...

     

    Germaine vit au tournant de ce virage culturel. Femme passionnée, engagée, dans sa vie privée comme publique, elle en a payé le prix, a éprouvé ce qu'il en coûtait de s'investir sans retenue.

    Bref pour le dire élégamment elle en a pris plein la gueule plus souvent qu'à son tour.

    On peut le lire parfois entre les lignes, ainsi dans ces mots de l'avant-propos du livre :

    « Condamnée à la célébrité, sans pouvoir être connue, j'éprouve le besoin de me faire juger par mes écrits. »

     

    Me faire juger par mes écrits, quiconque écrit avec sincérité peut le dire, en ajoutant même peut être

    « tout ce qu'une longue connaissance et familiarité pourrait avoir acquis en plusieurs années, (le lecteur) le voit en trois jours de ce registre, et plus sûrement et exactement. »

    (Montaigne Essais III,9 De la vanité)

     

    Et en effet, à bien des égards, ce livre donne la clé du caractère et des actes de Germaine de Staël. S'y découvre une femme qui n'a pas renié la passion, mais qui a travaillé à en limiter les dommages, en elle et autour d'elle, par goût de la liberté et du bonheur. Une femme qui a sublimé la passion par la raison, et la raison par la passion.

     

     

    *S'exclame le René de Chateaubriand

     

  • La passion de la raison (3/22) La durée et le bonheur

    Comme le dit le titre à rallonge, Germaine prévoit au départ deux parties pour De l'influence des passions sur le bonheur des individus et des nations : l'une sur le bonheur individuel, l'autre sur le bonheur politique.

     

    On verra la prochaine fois le plan de la première partie. Dans la seconde

    « je compte examiner les gouvernements anciens et modernes sous le rapport de l'influence qu'ils ont laissée aux passions naturelles des hommes réunis en société

    (…) je traiterai des raisons qui se sont opposées à la durée et surtout au bonheur des gouvernements, où toutes les passions ont été comprimées. (...)

    je traiterai des raisons qui se sont opposées au bonheur et surtout à la durée des gouvernements, où toutes les passions ont été excitées. » (De l'influence etc. Introduction)

     

    Parallèle qui est déjà une argumentation.

    Le régime politique qui comprime les passions est un tue-bonheur des citoyens, ce qui à terme le condamne : elle pense encore à la Terreur bien sûr. (Depuis d'autres exemples n'ont pas manqué).

    À l'inverse le régime qui compte durer en excitant toutes les passions fait un mauvais calcul. Passions des uns égale malheur des autres, et vice-versa. Résultat à terme : insatisfaction de tous.

    Et forcément c'est au gouvernement que tous s'en prennent, dans une belle symétrie de raisons inverses.

     

    Dans ces conditions, comment concilier durée et bonheur du gouvernement ? Germaine ne fait pas mystère de sa solution :

    « Je terminerai par des réflexions sur la nature des constitutions représentatives, qui peuvent concilier une partie des avantages regrettés dans les divers gouvernements. »

    Une démocratie représentative, république ou monarchie constitutionnelle, selon le mieux adapté au contexte du pays.

     

    Pour des raisons pas vraiment élucidées, elle n'écrira que la 1ère partie du livre, sur le bonheur individuel.

    D'une certaine manière elle le pressent : « Si les accidents de la vie ou les peines du cœur bornaient le cours de ma destinée, je voudrais qu'un autre accomplît le plan que je me suis proposé. »

     

    Quant à la deuxième partie :

    « Il faudrait mettre absolument de côté tout ce qui tient à l'esprit de parti* ou aux circonstances actuelles ; la superstition de la royauté, la juste horreur qu'inspirent les crimes dont nous avons été témoins, l'enthousiasme-même de la république, ce sentiment qui, dans sa pureté, est le plus élevé que l'homme puisse concevoir. Il faudrait examiner les institutions dans leur essence même. »

     

    Autrement dit son projet était de reprendre, après le tumulte révolutionnaire, celui de Montesquieu dans l'Esprit des lois.

    Mais voilà : les accidents de la vie en auront décidé autrement.

     

    *dont on a vu les caractères et les dégâts dans la lecture précédente (Staël l'impartiale).

  • La passion de la raison (2/22) On est d'accord je pense

    « Quelle époque ai-je choisie pour faire un traité sur le bonheur »

    (G. de Staël De l'influence des passions sur le bonheur des individus et des nations. Introduction)

     

    On pourrait lui répondre que c'est surtout son époque qui l'a choisie, une de ces époques chaotiques qui assignent à penser sous peine d'y perdre la raison. À supposer qu'on ait réussi à sauver sa tête (ce que Germaine a fait – de peu).

    (On me répondra à moi que ce genre d'époque n'a pas manqué dans l'Histoire avec sa grande hache, avant comme après la Révolution française, et j'en conviens).

     

    Comme un grand nombre des élites de l'époque, lecteurs enthousiastes des philosophes des Lumières, Germaine a vu naître avec joie la Révolution française, convaincue que l'Histoire y trouverait la possibilité de « concilier ensemble la liberté des républiques et le calme des monarchies » (cf 1).

     

    Sauf que. Les acteurs de la Révolution n'ont pas tous eu cette sagesse, et le démon de l'esprit de parti (qui n'a plus de secret pour vous mes lecteurs) s'est emparé de certains. Et il a travaillé à disjoindre, à rendre irréconciliables, ces deux éléments, liberté et calme, dont la complémentarité construit l'harmonie civile.

     

    « On est d'accord, je pense, sur l'impossibilité du despotisme, ou de l'établissement de tout pouvoir qui n'a pas pour but le bonheur de tous ; on l'est aussi, sans doute, sur l'absurdité d'une Constitution démagogique* qui bouleverserait la société au nom du peuple qui la compose. »

     

    Impossibilité : elle ne veut pas dire que ça n'ait pas existé (certes) ni que ça ne puisse exister (hélas), mais juste que ce n'est pas la bonne option.

    *« J'entends par Constitution démagogique, celle qui met le peuple en fermentation, confond tous les pouvoirs, enfin la constitution de 1793. » dit-elle en note.

    En clair : honte à toi Maximilien. Voilà, ça c'est fait …

    Mais de fait elle ne pourra s'empêcher d'y revenir à plusieurs reprises dans le livre, si intense fut le trauma de la Terreur pour «nous, les contemporains, les compatriotes des victimes immolées dans ces jours de sang »

     

    Néanmoins, signature de sa force d'intellect et de caractère, autant que de la sincérité de son désir démocratique, Germaine l'impartiale ne se laisse pas entraîner à jeter le bébé avec l'eau du bain (de sang).

    « C'est donc en écartant cette époque monstrueuse, c'est à l'aide des autres événements principaux de la Révolution de France et de l'histoire de tous les peuples, que j'essaierai de réunir des observations impartiales sur tous les gouvernements. »