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Le blog d'Ariane Beth - Page 198

  • Et quand personne ne me lira (1/17) De bonne foi

    J'entreprends un petit parcours sur le rapport de Montaigne à l'écriture, à ses Essais. Montaigne encore ? Ben oui. Il me fait du bien, pourquoi m'en priver ?

    Et pourquoi ne pas espérer qu'il t'en fasse aussi, lectrice-teur ?

     

    « C'est ici un livre de bonne foi, lecteur. » (Essais. Au lecteur)

    Par cette phrase toute simple, Montaigne formule un pacte avec son lecteur. De fait, il y toujours un pacte entre auteur et lecteur, même si la plupart du temps il reste implicite.

    Il porte différents accents selon les différents genres.

     

    Par exemple un livre documentaire posera le pacte : moi auteur je m'engage à t'apporter, lecteur, les infos que tu cherches sur tel sujet. Un thriller posera : je vais essayer de te donner le frisson dont tu as envie. Et ainsi de suite.

    Le couple auteur/lecteur, Montaigne l'unit en nouant l'alliance sincérité/confiance. Elle est caractéristique de l'autobiographie, ce que sont en partie les Essais.

    « Je te donne ma parole que j'écris de bonne foi, dans la sincérité : tu peux donc me donner en échange ta bonne foi à toi, ta confiance. »

     

    Oui mais, dira le lecteur, un tel pacte est-il sérieusement crédible ?

    N'y a-t-il pas la toujours la tentation d'enjoliver les faits quand on parle de soi, de se donner le beau rôle ? Ou tout simplement de se conformer aux attentes supposées du destinataire ?

    « Je n'y ai eu nulle considération de ton service ni de ma gloire. (…) Si c'eût été pour rechercher la faveur du monde, je me fusse mieux paré et me présenterais en une marche étudiée.

    Je veux qu'on m'y voie en ma façon simple, naturelle et ordinaire, sans contention et artifice : car c'est moi que je peins. (…)

    je t'assure que je m'y fusse très volontiers peint tout entier, et tout nu. »

     

    Je souligne le mot car, pour la raison qu'il est paradoxal dans ce contexte.

    Se peindre soi-même crée logiquement une tension, voire un conflit, entre objectif et subjectif, perception interne et personnelle (qui risque de manquer de lucidité) et perception par l'extérieur, par les autres.

    Conflit qu'aurait dû marquer, non pas un car, mais un bien que.

     

    Or Montaigne renverse les choses : c'est bien sa place subjective qui sera garantie d'objectivité. Tel est le paradoxe fondamental de son livre.

    Dans les Essais l'analyse radicale d'un ego en subvertit le narcissisme, et la revendication de singularité de la parole en libère la potentialité universelle.

     

    Quant à se peindre tout entier et tout nu, eh bien il le fera, dans un élan à la fois osé et émouvant. Tu peux aller voir, lecteur-trice : livre III chap. 5 Sur des vers de Virgile.

     

  • (21/21) L'art de l'enfance

    La vieillesse est souvent associée (et d'abord par notre grand Totor avec qui nous avons commencé le parcours) à l'art d'être grand père, grand mère.

    À vrai dire je ne vois aucun art là-dedans : c'est d'une facilité déconcertante.

    Le grand parent n'est pas soumis aux fatigues et aux contraintes du soin et de l'éducation des enfants. En tous cas pas dans l'usure du quotidien. Il peut ne prendre que le bon, se contenter de s'émerveiller de ces petits enfants dont la vie le gratifie.

    Si la relation parent/enfant nous convoque à toutes sortes de responsabilités, l'art d'être grand parent, lui, est d'être juste un répondant. De se tenir, simplement, face à l'enfant qui est là, face à la vie en lui.

     

    L'art serait plutôt de se laisser enseigner par leur enfance. L'enfance dans laquelle j'admire pour ma part de grandes qualités.

    Je suis toujours amusée (et émue) de voir mes petits enfants facilement à fond dans ce qu'on leur propose (faut savourer quand ils seront ados ce sera une autre histoire).

    Il me semble que c'est au-delà de l'enthousiasme, de l'ouverture, du plaisir de participer.

    Ils sont témoins de l'énergie de la vie en eux, au sens où un voyant qui s'allume est témoin du passage du courant.

     

    Autre qualité, la plupart des enfants sont adaptables, tolérants.

    Quand ils ne le sont pas, s'ils font (systématiquement j'entends) (car il faut bien qu'âge du non se passe) dans le caprice, la provocation, la fuite, c'est qu'il y a eu un bug relationnel, un événement traumatique (on va pas entamer ce chapitre).

    C'est que nécessité fait loi. Ainsi les enfants (sauf réserves ci-dessus) commencent leur itinéraire par la philosophie, le stoïcisme particulièrement, dans une sorte d'équanimité devant les actions et décisions des adultes, ces dieux insondables

    (du coup on se demande comment le monde n'est pas plus sage, qu'est-ce qui se perd en route ...).

     

    Enfin, l'enfant n'ayant pas la force de son côté (pas encore), il lui faut miser sur l'intelligence, la souplesse.

    Chaque enfant commence son itinéraire dans la peau d'Ulysse aux mille ressources.

     

    Le vieux pourrait utilement s'en inspirer, lui qui s'affaiblit irrémédiablement. Et pourtant que de vieux capricieux et infantiles. Des vieux qui retombent en enfance, dit-on.

    Disons qu'en fait ils tombent dans un pathétique infantilisme (rare au contraire chez les enfants).

     

    En vieillissant j'espère ne pas retomber en enfance. 

    Je voudrais bien, je voudrais simplement, apprendre à toujours mieux me retrouver dans l'enfance, à m'y reconnaître.

    Je voudrais simplement apprendre à marcher de plain-pied sur la terre de l'enfance.

     

     

  • (20/21) Pas grand miracle ?

    « Tant de remuements d'état et changements de fortune publique nous instruisent à ne faire pas grand miracle de la nôtre. Tant de noms, tant de victoires et de conquêtes ensevelies sous l'oubliance, rendent ridicule l'espérance d'éterniser notre nom par la prise de dix argolets et d'un pouillier qui n'est connu que de sa chute »

    (Montaigne Essais I,26 De l'institution des enfants)

     

    Montaigne a longtemps caressé l'espoir de se faire un nom, et plus encore de trouver emploi comme il dit, de faire de sa vie une chose utile. À un moment il a admis qu'il lui fallait abandonner cet espoir.

    L'ironique, c'est qu'il s'en est fait un, de nom, vraiment mémorable. Et qu'il aura été non seulement utile, mais précieux pour l'humanité entière, à travers tant de générations.

    Seulement ça ne s'est pas fait de la façon qu'il espérait, ni dans les domaines qu'il visait.

     

    Toutes choses égales par ailleurs (ça va sans dire) moi c'est sûr, je n'aurai pas fait grand chose de ma vie. Ou en tous cas, pas comme je le rêvais à 20 ans : être utile et en prime que cette utilité soit reconnue (on est bien vaniteux quand on n'a que 20 ans).

    J'ai vécu un temps avec le vague espoir qu'un jour sait-on jamais.

    Espoir forcément déçu, déception assortie d'amertume, amertume assortie d'auto-exhortation à m'en défaire.

    Mais maintenant, là où j'en suis rendue de ma vie, plus besoin de m'exhorter. Plus d'espoir, donc plus d'amertume.

     

    « Si j'avais à (me) façonner de nouveau, je (me) ferais vraiment bien autre que (je ne suis). Mais huy c'est fait ». (III,2 Du repentir).

    J'entends ces derniers mots comme une constatation très apaisante dans sa simplicité.

    J'ai fini par comprendre ce que certains savent d'emblée (mais mieux vaut tard que jamais) : on ne vit pas « pour » ceci ou cela. On vit pour rien, juste « parce que » on est vivant.

    La vie c'est un truc gratuit, un bonus, personne ne nous demande rien en échange. Et tout vivant est un sacré veinard au moins pour ça (dit Épicure)

    (bon après, y en a des plus ou moins veinards on est d'accord).

     

    Et puis il y a un vrai super bonus dans la loterie : l'occasion de transmettre la vie reçue. Cette chance m'a été donnée.