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Le blog d'Ariane Beth - Page 238

  • Satisfaction de soi

    « La joie qu'accompagne l'idée d'une cause intérieure, nous l'appellerons gloire (gloria) et la tristesse qui lui est contraire, honte (pudor) : entendez, quand la joie ou bien la tristesse naît de ce que l'homme se croit loué ou bien blâmé ;

    autrement, la joie qu'accompagne l'idée d'une cause intérieure, je l'appellerai satisfaction de soi (acquiescentia in se ipso), et la tristesse qui lui est contraire, repentir (penitentia). »

    (Spinoza Éthique part.3 scolie prop.30)

     

    Le tableau des affects continue à se remplir en fonction du double paramétrage sujet/objet/tiers et joie/tristesse.

    Ce qui différencie gloire et satisfaction de soi, et en parallèle leurs versions « attristées » honte et repentir, c'est l'intervention supposée d'un tiers par qui on se croit loué ou blâmé.

    Voilà qui nous ramène au phénomène spéculaire fondamental de l'inter-subjectivité humaine, illustré par deux voyageurs dans un train et un enfant très malin (cf Spéculation).

    Le mot gloire, dans ses connotations optiques (cf rayonnement), dit bien cette spécularité.

     

    Arrêtons-nous sur les autres termes.

    L'acquiescentia in se ipso est un affect fondamental dans le système spinoziste. Il exprime la ratification personnelle de chacun au conatus, une reconnaissance de soi :

    « ça c'est vraiment moi, je peux persister et signer ».

    Le terme latin en rend compte plus clairement que sa traduction satisfaction de soi, qui fleure un peu son petit Narcisse. Je l'ai déjà dit (et souvent) acquiescentia, formé sur la racine quies (repos), exprime le fait de trouver sa pleine assise, de pouvoir se poser sans in-quiétude.

    Le fait que ce soit in se ipso, en soi-même, assure cette assise en la soustrayant à la dépendance du regard d'autrui.

    Elle est ainsi un bon antidote aux flottements d'âme dont rend passible l'intersubjectivité. Cet antidote doit son efficacité, sa vertu, à l'effet-puissance porté par l'affect joie. Une joie (qu'accompagne l'idée d'une cause) intérieure.

    Intériorisation source d'autonomie, car elle libère du (supposé) regard évaluateur de l'autre, de sa louange ou de son blâme.

     

    Quant aux tristesses aux noms déconcertants de pudor et penitentia, on en parle la prochaine fois. Et avec en prime la fin bien marrante de ce scolie.

     

  • Habituellement humanité

    « Nous nous efforcerons également de faire tout ce que nous imaginons que les hommes considèrent avec joie, et au contraire nous aurons de l'aversion à faire ce que nous imaginons que les hommes ont en aversion. »

    (Spinoza Éthique part.3 Prop.29)

     

    De l'imitation des affects découle logiquement le conformisme social, l'effet Panurge. Il peut être négatif ou positif.

    « Cet effort pour faire quelque chose, ainsi que pour nous en abstenir, pour la seule raison de plaire aux hommes, s'appelle ambition, surtout quand (…) notre effort pour plaire au vulgaire est à notre détriment, ou à celui d'autrui ; autrement on l'appelle habituellement humanité. »

    (Scolie prop.29)

     

    L'humanité est ici définie, hors toute norme morale, comme le simple comportement par lequel on tend à se conformer, se configurer aux critères d'appartenance à l'espèce humaine.

    Besoin humain fondamental : être reconnu par ses semblables comme un des leurs.

     

    Ce scolie, de façon fort subtile, décèle dans l'ambition un éventuel leurre du sentiment d'appartenance et de reconnaissance. Il désigne le mécanisme de ce leurre : pour plaire au vulgaire.

    Le vulgaire (latin vulgus) c'est la masse, un ensemble humain considéré de façon globale, ce qui tend à faire de ses membres des éléments relativement interchangeables, stéréotypés.

    L'ambitieux qui veut plaire au vulgaire veut plaire à Monsieur Tout le monde, façon de plaire sinon à tout le monde, du moins au plus grand nombre.

    Mécanisme de l'ambition du politicien en démocratie (ce qui la rend passible de populisme), du facebooker en quête effrénée de toujours plus de popularité ...

    Mais voilà, dit Spinoza : c'est à son détriment, à ce pauvre ambitieux. Il renonce à sa manière d'être personnelle (cf Affirmation) pour gagner l'approbation de n'importe qui.

    Bon on dira tant pis pour lui. Mais, plus grave, l'ambition est souvent au détriment d'autrui.

     

    À la fin du parcours, juste avant la récapitulation de tous les affects qui clôt la partie 3, Spinoza donnera une solution pour éviter ce leurre et construire un « faire humanité » satisfaisant  : cultiver sa force d'âme (fortitudo).

    « La force d'âme que je divise en vaillance et générosité.

    Par vaillance (animositas, d'animus = souffle personnel), j'entends le désir par lequel chacun s'efforce de conserver son être sous la seule dictée de la raison.

    Et par générosité (generositas, de genus = race), j'entends le désir par lequel chacun, sous la seule dictée de la raison, s'efforce d'aider les autres hommes et de se les lier d'amitié. »

    (Scolie prop.59)

     

    Sous la seule dictée de la raison … Si seulement, hein ?

     

  • Raccord

    « Cette imitation des affects (…) rapportée au désir, s'appelle émulation, laquelle, partant, n'est rien d'autre que le désir d'une certaine chose qu'engendre en nous le fait que nous imaginons que d'autres, semblables à nous, ont le même désir. »

    (Spinoza Éthique part.3 scolie prop.27)

     

    Du phénomène de spéculation précédemment décrit découle l'importance de l'imitation dans le comportement.

    L'émulation, telle qu'elle est ici définie, n'est autre que la rivalité mimétique théorisée en son temps par René Girard.

     

    Le fait que nous imaginons. Chacune des propositions depuis la prop.18* se situe dans le cas où c'est une imagination, une mise en images, qui est le moteur d'un affect.

     

    La servitude humaine, autrement dit la force des affects (titre de la part.4 d'Éthique) provient du pouvoir de ces images. À ce pouvoir Spinoza oppose en contre-pouvoir la puissance de l'intellect autrement dit la liberté humaine (titre part.5).

    On l'a vu plus haut (Esprit de corps), cette puissance consiste à raccorder le mécanisme des affects (sensations et sentiments), s'inscrivant dans le corps, à sa reconstruction logique en affects-idées. 

    Logique rendue possible parce que

    « La substance pensante et la substance étendue sont une seule et même substance, que l'on embrasse tantôt sous l'un, tantôt sous l'autre attribut (…) Que nous concevions la nature sous l'attribut de l'étendue ou sous l'attribut de la pensée ou sous n'importe quel autre, nous trouverons un seul et même ordre, autrement dit un seul et même enchaînement des causes. »

    (Scolie du corollaire de la prop.7 part.2)

     

    Seul ce raccordement logique permet à l'être humain de (se) penser adéquatement, c'est à dire « en toute connaissance de cause » (ou presque toute, ne rêvons pas).

    Et pour Spinoza la clé de la liberté humaine est exactement là, et pas ailleurs : dans la pensée adéquate.

     

    *L'homme, suite à l'image d'une chose passée ou future, est affecté du même affect de joie et de tristesse que suite à l'image d'une chose présente. (Cf Même si elle n'existe pas.)