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Le blog d'Ariane Beth - Page 242

  • De cela seul

    « De cela seul que nous imaginons qu'une chose a une ressemblance avec un objet qui affecte habituellement l'esprit de joie ou bien de tristesse, et quoique ce en quoi la chose ressemble à l'objet ne soit pas la cause efficiente de ces affects, pourtant nous aimerons cette chose ou nous l'aurons en haine. »

    (Spinoza Éthique part.3 prop.16)

     

    Avec cette proposition l'effet double affect (note précédente) se complexifie. On voit se multiplier l'entrelacement des différents fils, tel un tissu neuronal qui se densifierait peu à peu.

    Après l'association d'affects résultant de la concomitance de perception, entrent maintenant dans le schéma :

     

    1) l'imagination de cette concomitance, autrement dit le fait de se la figurer comme présente, de l'actualiser. Pas nécessairement de façon volontaire, où l'on peut supposer le choix des éléments joyeux/actifs (conatus oblige).

    Le problème sera l'imagination fortuite qui risque de charrier de la tristesse.

     

    2) la ressemblance entre deux choses, qui (à la complexité comme à la complexité) ne porte pas nécessairement sur un aspect déterminant dans la provocation de l'affect (n'en est pas cause efficiente).

     

    Tous ces fils t'embrouillent un brin, lecteur-trice ? C'est un peu normal, alors n'hésite pas à suivre le conseil géométrique de Spinoza : revenir en arrière (dans ces notes, ou mieux, dans l'Éthique) et relire autant de fois qu'il le faudra pour raccorder tous les fils. En principe ça marche, parole d'Ariane.

     

    J'ajoute (tant qu'on y est) que l'efficacité inattendue d'une ressemblance apparemment anodine m'évoque le « trait unaire » freudien.

    C'est quoi encore ça ?

    Le sujet relève chez l'objet de son intérêt libidinal un trait (einzige Zug écrit Freud, un certain trait, Lacan traduira trait unaire) : comportement, langage, apparence.

    Ce trait devient pour lui la marque caractéristique de l'objet, si bien que tout autre objet le présentant sera quasi automatiquement gratifié du même intérêt.

    Exemple bien connu on tombera amoureux-se selon un « type » comportant un ou plusieurs traits (tel accent, les yeux de telle couleur, il-elle aimera la soupe au chou ou l'astronomie, Platon mais pas Spinoza, ou l'inverse, etc.)

     

  • Deux en un

    « Si l'esprit a une fois été affecté par deux affects à la fois, lorsqu'ensuite l'un des deux l'affectera, l'autre l'affectera aussi. »

    (Spinoza Éthique Part.3 prop.14)

     

    « N'importe quelle chose peut être par accident cause de joie, de tristesse ou de désir. » (Prop.15)

     

    « Du seul fait d'avoir contemplé une chose avec un affect de joie ou de tristesse dont elle n'est pas elle-même la cause efficiente, nous pouvons l'aimer ou l'avoir en haine. » (Corollaire prop.15)

     

    Cette séquence est simple, facile à vérifier en effet. Un exemple ?

    J'ouvre pour la première fois l'Éthique confortablement installée dans un transat (mer, piscine, forêt, jardin, au choix) il fait doux, pas trop chaud, il fait calme, juste bruissements et/ou clapotis.

    Que me dis-je en mon for intérieur ? (Voire m'exclame-je, tirant ainsi mon voisin de transat d'une bienheureuse sieste) : « Super livre, il fait un bien fou, Spinoza tu sais quoi je t'aime !! »

     

    J'ouvre l'Éthique disons un jour d'hiver quand le ciel bas et lourd etc. en plus le chauffage est en panne, et cerise sur gâteau le voisin s'est mis à enfoncer des clous ce matin à 6 h et il s'arrête pas, de quoi vous rendre marteau.

    Du coup c'est moins zen en mon for intérieur : « Nul ce bouquin, du blabla qui sert trop à rien, Spinoza franchement tu commences à me gaver grave ... »

     

    Il est clair que ni Spinoza ni son Éthique ne sont causes efficientes de ces différents affects, mais voilà : désormais la mention de Spinoza ou la vue du livre suffiront à me remettre dans le feeling transat ou journée de merde.

    Et par voie de conséquence m'inciteront à deux actions opposées : fréquenter toujours plus ce trésor philosophique, ou inversement m'en débarrasser une bonne fois à la déchetterie (ou non tiens plutôt l'offrir au voisin) (eh eh).

     

    Bref oui « nous comprenons par là comment il se peut faire que nous aimions ou ayons en haine certaines choses sans nulle raison connue de nous mais seulement par sympathie (comme on dit) et par antipathie. » (Scolie prop.15)

    Sans nulle raison connue de nous : une in-connue qui ne peut manquer d'évoquer l'in-conscient freudien.

     

  • Se souvenir des belles choses

    « L'esprit, autant qu'il peut, s'efforce d'imaginer ce qui augmente ou aide la puissance d'agir du corps ».

    (Spinoza. Éthique part.3 prop.12)

     

    Imaginer s'entend construire l'image de. C'est le job de l'esprit, délimiter en une figure lisible la projection de ce qui affecte le corps, autrement dit en donner l'idée (grec eidon = voir), de façon à la penser (latin pesare = peser, évaluer pour et contre).

    Logiquement le conatus de l'esprit (la face esprit du conatus) a pour mission de privilégier ses représentations positives. Tâche ardue, car les affects émanent de la rugueuse réalité (dixit Arthur R.)

    « Positiver oui mais comment ? », s'inquiète alors l'esprit, s'écorchant à cette rugosité.

     

    « Quand l'esprit imagine ce qui diminue ou réprime la puissance d'agir du corps, il s'efforce, autant qu'il peut, de se souvenir de choses qui en (de ces choses imaginées) excluent l'existence » (Prop.13)

    Pour comprendre cette proposition il faut se rappeler que Spinoza a posé un déterminisme total à la base de son raisonnement. Dans le domaine matériel comme dans celui de sa projection conceptuelle dans notre esprit, tout suit inexorablement un enchaînement cause-effet.

    Pour le dire autrement, tout obéit au mode de programmation du logiciel nature (vu que c'est le seul) (cf Ils rêvent les yeux ouverts).

    Donc quand l'esprit est pris dans une chaîne de représentations négatives, il lui faut chercher des issues pour rejoindre une chaîne positive* (en une sorte d'escape-game).

    La bonne nouvelle, c'est que ce sera toujours possible, puisque tout se tient, tout est tissé en une gigantesque toile d'araignée.

    Alors comme l'araignée, on peut s'accrocher de fil en fil pour changer de secteur.

    Dans le tissage des représentations, va donc falloir débrouiller les fils pour arriver à rattraper ceux qui raccordent à une chaîne positive. Cela se fait en écartant, mettant de côté, ceux qui raccordent au négatif, ainsi se comprend « se souvenir de choses qui en excluent l'existence ».

     

    C'est un effort certes, mais je vois aussi dans l'éthique en mode spinoziste un côté jeu de piste, chasse au trésor, traversée de labyrinthe, résolution d'énigme.

    Un jeu d'enfant, quoi.

    Faut juste aller chercher l'enfance en soi (parfois faut creuser c'est vrai) : son plaisir à découvrir et à interroger, son enthousiasme à s'investir, en un mot son énergie de joie.

     

    *à moins bien sûr qu'il ne se complaise dans le négatif, pensant y trouver des bénéfices (secondaires ou pas)

    (car hélas y a des moments l'esprit a le conatus un peu faiblard ...)