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Le blog d'Ariane Beth - Page 243

  • A part ces trois-là

    « Par joie j'entendrai donc, dans la suite, une passion* par laquelle l'esprit passe à une plus grande perfection. Et par tristesse, une passion par laquelle il passe à une perfection moindre (…)

    Ensuite, ce qu'est le désir je l'ai expliqué dans le scolie de la prop.9 de cette partie**, et à part ces trois-là je ne reconnais aucun affect primaire : car je montrerai dans la suite que tous les autres naissent de ces trois. »

    (Spinoza. Éthique scolie prop.11 part.3)

     

    Entre la prop.11 (note précédente) et son scolie, on ne peut manquer de noter que la notion puissance (d'agir ou de penser) est devenue perfection. Spinoza passe d'un terme à l'autre sans juger bon de s'en expliquer.

    Donc ou bien ils sont synonymes dans son esprit, ou bien leur éventuelle différence de sens n'a pas d'incidence sur la nature de la chose. (voir explic. déf.20 part.3 cf Quand il se fait).

    Voilà de quoi nous autoriser à ne pas être plus royalistes que le roi, citoyen lecteur. Lâchons donc l'affaire pour l'instant, mais non sans garder cette équivalence en mémoire.

    Et tant qu'on y est, histoire que la paresse à penser ne passe pas par nous, je rajouterais bien « Par réalité et perfection j'entends la même chose » (Part.2 déf.6). On creusera ça en temps utile.

     

    En tout cas une chose est claire, joie et tristesse ne correspondent qu'à des variations d'intensité de cette notion, quelque nom qu'on lui donne.

    Ce qui les définit n'est donc pas une différente façon d'affecter, mais leur différence de positionnement, par exemple en haut ou en bas si on les figure sur un axe vertical (le langage le fait, lorsqu'il nous promène du trente-sixième dessous au septième ciel).

    Spinoza reste cohérent avec le choix de la méthode géométrique.

    Considérer l'affect sous l'angle d'une variation d'intensité (mesure physique) «l'objective».

    Au contraire sa «qualité» est motif à interprétation subjective, possiblement fallacieuse (le senti-ment dit Lacan) (en tous cas il peut mentir) (oui Lacan aussi tu as raison lecteur).

     

    Enfin, pour déplacer le curseur sur la courbe, il faut un moteur, une énergie : c'est le désir.

    Ces trois affects sont dits primaires, on pourrait dire aussi premiers. Ce sont les matériaux de base à partir desquels s'élabore la complexe architecture de notre vie affective (ou affectée) (affectivée).

     

    *Passion = ça se fait plus qu'on ne fait (= on n'en est pas cause adéquate)

    ** cf Généalogie de la morale

     

  • Esprit de corps

    « Toute chose qui augmente ou diminue, aide ou réprime, la puissance d'agir de notre corps, l'idée de cette même chose augmente ou diminue, aide ou réprime, la puissance de penser de notre esprit. »

    (Spinoza Éthique Part.3 prop.11)

     

    Cette proposition tirant les conséquences de la définition de l'affect (part.3 déf.3 cf Et en même temps), note la transposition de l'affect matériel en affect mental.

    Une homothétie de structure qui va structurer la réponse éthique.

     

    Le corps ne fait que suivre son appétit, sa pulsion d'auto-conservation. Et s'il le suit, c'est parce qu'en fait il l'est (avons-nous vu dans la note précédente) (tu suis, lecteur ?)

    Bon, quand l'appétit appète du positif, aucun problème. C'est quoi le positif ? Bonne question. Disons ce qui arrive à maintenir (ou à peu près) le quantum d'un individu, ce rapport à l'ensemble qui est sa signature personnelle, sa manière d'être (cf Affirmation).

    Mais il arrive que le conatus disons primaire, puissance d'agir de notre corps, déconne. (Pourquoi ? Spinoza ne pose pas la question, il n'a pas de temps à perdre avec la métaphysique).

    C'est là où l'on a besoin du moteur auxiliaire, le conatus en tant que secondaire : la puissance de penser de notre esprit.

    Son possible emploi de moteur auxiliaire repose sur le fait noté par cette proposition : notre esprit n'est pas un pur esprit, à part, un empire dans un empire. (Erreur idéaliste fatale à l'éthique, récusée dans l'introduction à la partie 3 cf La raison du roseau).

    L'esprit est l'ensemble (sans cesse émergent) des figures qui se constituent au fur et à mesure de projections mentales du corps, son corps (cf Et en même temps). Ces figures s'inscrivent, mais en quelque sorte codées, il faut les déchiffrer.

    La puissance de penser de notre esprit est l'acte de décodage, la traduction en affect-idée de l'affect-sensation qui s'inscrit dans le corps.

    Le travail de l'esprit pour re-positiver le conatus déconnant ne consiste donc pas à gommer les affects du corps. Mais à suivre leur dessin, comme s'il était question de lignes, de plans, et ainsi en chercher la logique.

     

    L'acte de penser l'affect libère ainsi une force centrifuge, qui arrache à la prégnance de l'immédiateté. Il ouvre la voie vers plus d'adéquation (plus de « en connaissance de cause »).

    Et ainsi (c'est tout l'intérêt) ouvre le passage de la passion à l'action.

    Et aussi (encore plus intéressant) de la tristesse à la joie.

     

    Et ce qui est valable pour l'individu l'est pour une société. L'éventuelle paresse à penser du citoyen signe son aliénation aux charmes morbides de la passivité. Et par là sa soumission à un système qui pense pour lui. (C'est à dire souvent contre lui).

     

  • Généalogie de la morale

    Le scolie de la proposition 9 de cette partie 3 d'Éthique vient apporter des précisions sur le conatus. (Qui a dit c'est pas du luxe?)

    « Cet effort, quand on le rapporte à l'esprit seul, s'appelle volonté » ça, c'est que je notais la dernière fois à propos de comprendre

    « mais quand on le rapporte à la fois à l'esprit et au corps » c'est à dire quand il s'agit de ce concept bivalent qu'est l'affect (cf Et en même temps),

    « on le nomme appétit (appetitus = ad-petitus = ce qu'on cherche, vers quoi on tend), lequel n'est, partant, rien d'autre que l'essence-même de l'homme, de la nature de quoi suivent nécessairement les actes qui servent à sa conservation ; et par suite l'homme est déterminé à les faire. »

    Bon ça c'est clair, c'est le conatus vu sous l'angle des pulsions narcissiques d'auto-conservation, dirait Freud (lecteur de Spinoza vous vous en doutiez) (sans toujours signaler la dette à son égard pour la création de ses propres concepts).

    Notons surtout : si l'appétit, concept notant une dynamique, est l'essence de l'homme, cela revient à dire que cette essence n'est pas statique ni donnée d'emblée. Elle se construit selon la courbe dessinée par la succession des réponses aux appétits.

    Pour le dire autrement : l'existence précède l'essence.

     

    « Ensuite, entre l'appétit et le désir (cupiditas cf le dieu Cupido) il n'y a aucune différence sinon que le désir se rapporte généralement aux hommes en tant qu'ils sont conscients de leur appétit, et c'est pourquoi on peut le définir ainsi : le désir est l'appétit avec la conscience de l'appétit. »

    Le désir ainsi défini est donc un en même temps tout comme l'affect. Spinoza fera d'ailleurs la jonction dans la récapitulation à la fin de la partie 3 avec la définition souvent (mais partiellement) citée

    « Le désir est l'essence-même de l'homme en tant qu'on la conçoit déterminée, par suite d'une quelconque affection d'elle-même, à faire quelque chose. »

    (C'est moi qui souligne).

     

    « Il ressort donc avec évidence de tout cela » faut quand même un peu le décortiquer je dirais mais oui, ça finit par ressortir …

    « que, quand nous nous efforçons (verbe conari) à une chose, quand nous la voulons, ou aspirons à elle, ou la désirons, ce n'est jamais parce que nous jugeons qu'elle est bonne ; mais au contraire, si nous jugeons qu'une chose est bonne, c'est parce que nous nous y efforçons, la voulons, aspirons à elle et la désirons. »

     

    Bref les idées/idéaux de Bien et de Mal sont une tartuferie philosophico-morale.

    Propos en forme de missile éthique, par lequel Spinoza ne s'est pas fait que des amis chez les bien-pensants dans le port d'Amsterdam, ou ailleurs.

    (mais davantage chez les pensants tout court)

    (entre autres Nietzsche).