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Le blog d'Ariane Beth - Page 245

  • Quand il se fait

    Maintenant que la nature spinoziste n'a plus de secrets pour nous (quoi on peut plus plaisanter ?), reprenons l'esprit serein la lecture de la partie 3.

    L'étude des affects commence par trois définitions, un triangle de base sur lequel Spinoza va pouvoir édifier sa construction en bon ordre géométrique.

    Il pose deux couples en tension, cause adéquate/inadéquate (déf 1) et agir/pâtir (déf 2), qui permettront de paramétrer définitions et propriétés des affects.

    La cause est dite adéquate si elle est nécessaire et suffisante pour produire un effet. La cause inadéquate n'est qu'une partie d'un ensemble des causes.

     

    À partir de là, « Je dis que nous agissons, quand il se fait, en nous ou hors de nous, quelque chose dont nous sommes cause adéquate (…) Et je dis au contraire que nous pâtissons quand il se fait en nous quelque chose, ou quand de notre nature il suit quelque chose dont nous ne sommes la cause que partielle. » (Éthique partie 3 définition 2)

     

    Notons d'abord ce je dis qui se retrouve souvent sous la plume de Spinoza.

    Il correspond à la volonté d'éviter les embrouilles des termes philosophiques qui signifient des idées confuses au plus haut degré (Part.2 prop.40 scolie1). Présenter ses acceptions de termes non comme générales mais comme siennes évitera les controverses purement lexicales. (Pour se concentrer sur le fond du débat).

    « Mon dessein n'est pas d'expliquer le sens des mots mais la nature des choses, et de désigner celles-ci par des vocables dont le sens usuel ne soit pas complètement incompatible avec le sens que je veux leur donner dans mon usage, que cela soit dit une fois pour toutes. » (Part.3 explication déf.20 Indignation)

    (Bon en fait il considère que le sens qu'il leur donne est, sinon le seul valable, du moins le mieux pensé).

     

    Ensuite on voit que le rapport entre agir et pâtir est plus complexe que ne le laisse supposer, précisément, l'usage habituel de ces termes.

    Agir ne se résume pas à faire, à jouer dans le film : c'est maîtriser le scénario et la réalisation. Pâtir n'est pas exactement, ou seulement, subir : c'est ne pas comprendre ni pouvoir grand chose au film dans lequel pourtant on joue.

    Les deux sont mis en facteur commun sous la formule il se fait quelque chose dont nous sommes cause (adéquate ou inadéquate).

     

    Remarquons son côté provocateur : Spinoza, avec l'impersonnel il se fait (latin fit), exclut ici ce qu'on a coutume de considérer comme le schibboleth de la morale : le libre arbitre. (cf 17 juillet 2019 Corollaire spinoziste)

     

  • Nature et précision (2) Ni ni

    « cet étant éternel et infini que nous appelons dieu, autrement dit la nature »

    (Préface Part.4 de l'Éthique)

    Le rapprochement dieu/nature a parfois suscité le réflexe lexico-pavlovien de coller l'étiquette panthéisme sur la pensée de Spinoza. Simpliste, non ? Absurde, surtout. Spinoza était un type conséquent dans sa lucidité : il ne se serait pas escrimé à dissoudre l'image monothéiste pour diffracter ensuite le divin dans un kaléidoscope.

    D'accord le panthéisme a ses atouts. C'est mimi et poétique, a priori plus inoffensif que le monothéisme (qui induit logiquement une pensée totalisante et exclusive, même si heureusement tous les monothéistes ne sacrifient pas à cette logique). Mais cela n'empêche qu'il participe du même tropisme de transcendance. Le panthéisme est transcendance camouflée, comme infusée à l'intérieur du réel.

    Pour Spinoza c'est kif kif, auquel répond son ni ni. Ni dieu-maître, ni non plus nixe nicette au cheveux verts et naine (c'est d'Apollinaire : joli, non ?)

     

    Sa nature à lui, estampillée DSN, est pure et simple, par-faite dit-il. Porteuse par elle-même et elle seule de la potentialité de se réaliser. L'occasion de vous seriner ma citation-fétiche Par réalité et perfection j'entends la même chose. (Part.2 déf.6 reprise dans appendice Part. 4).

    DSN est donc sans « arrière-monde », comme dirait Nietzsche, qu'on situe ledit arrière-monde au-delà ou en dedans. Mais précisons encore.

    La nature estampillée DSN n'est pas à identifier aux choses de la nature, fleurs, petits oiseaux, gros poissons, araignées, mammifères humains ou pas, graminées, volcans, fleuves. Ni même étoiles trous noirs cellules atomes quarks voire boson de Higgs.

    Elle inclut tout cela, incluant tout le réel réalisé. Mais le terme désigne aussi bien les lois physiques de la matière, du mouvement, de l'énergie. C'est une fonction nature-espace-temps, en permanente potentialité de réaliser du réel.

     

    En conclusion je dirai que Spinoza ne voit pas d'incompatibilité entre les points de vue d'Albert Einstein et de Nicolas Hulot. Remarquons cependant qu'il voit plutôt les choses à la façon d'Einstein.

    Nobody's perfect.

     

  • Nature et précision (1) Nature

    Je m'avise que dans la note précédente le mot nature peut prêter à confusion pour la lectrice-teur. Voici donc des précisions. Par flemmardise autant qu'acquiescentia in meo labore (oui je continue à être d'accord avec mes précédentes réflexions – comme quoi tout est possible en ce bas monde), je vais reprendre les entrées « Nature » et « Ni ni » de mon Spinoza de A à Z (19 et 21 mars 2016)

    « Nous avons montré, dans l'appendice de la première partie, que la nature n'agit pas en vue d'une fin ; car cet étant éternel et infini que nous appelons dieu, autrement dit la nature, agit avec la même nécessité par laquelle il existe. »

    La préface de la Partie 4 de l'Éthique est un grand moment du livre, un grand moment de la philosophie, un grand moment tout court.

    Dieu autrement dit la nature, Deus sive Natura : trois mots qui ont fait couler pas mal d'encre et de salive. Déjà séparément chacun des deux poids-lourds, dieu et nature, a pu en compter des océans à son actif, dans plein de livres philosophiques ou pas. Dans plein de lieux, communs ou pas. Des mots qui ont fait couler aussi d'autres liquides disons moins anodins, sueur, sang.

    Mais dans l'Éthique c'est la collision des deux qui a suscité commentaires & interprétations.

    Le petit mot-cheville « sive » (= ou bien, autrement dit) y joue la vedette. Rôle rare pour un mot de sa catégorie : conjonctions, prépositions et autres outils qu'on emploie sans y prêter grande attention. Et qui pourtant portent parfois, comme ici, l'essentiel du propos.

    Autrement dit marque l'identité des deux notions, puisqu'elles peuvent être nommées par l'un ou l'autre mot indifféremment. Quoique.

    Plutôt qu'identité qui considère un rapport entre essences, il s'agit d'identification. Car si DSN (deussivenatura) agit par la même nécessité par laquelle il existe,  cela signifie 

    1) DSN n'a d'existence que dans un processus, une dynamique. « L'existence de dieu et son essence sont une seule même chose. » (Part.1 prop. 20)

    2) Il s'agit d'un déploiement sans fin, aux deux sens. Comme Bayard est sans peur et sans reproche, DSN est sans terme et sans plan/projet préexistant.

    3) Il n'y a donc personne aux commandes, créateur, démiurge ou quoi que ce soit, qui serait occupé à superviser, providentialiser depuis un PC extérieur au réel. Rien d'autre n'est que ce qui est en réalisation dans le processus d'existence.

     

    C'est ainsi que Spinoza dissout la distinction immanence/transcendance.

    En d'autres termes, « dieu » est soluble dans l'existant « nature ».

    Ce qui est tout simplement l'expérience pratique. Si on boit un café sucré, on ne boit pas sucre d'un côté et café de l'autre. Cela dit y a ceux qui sucrent et ceux qui sucrent pas. Y en a aussi qui édulcorent à l'aspartame, ce qui complique la question je vous l'accorde. (Pour moi ni sucre ni sucrette mais du lait SVP).