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Le blog d'Ariane Beth - Page 283

  • Signe de faiblesse ou de paresse

    C'est pour n'être pas victime d'un assassin que l'on consent à mourir si on le devient.

    (II,5 Du droit de vie et de mort)

     

    Rousseau tente par cet argument de justifier la légitimité du Souverain à user de la peine de mort.

    Argument dont il reconnaît implicitement l'absurdité dans cette ironique remarque : il n'est pas à présumer qu'aucun des contractants (du pacte social) prémédite alors de se faire pendre.

    Une absurdité si l'on peut dire double face.

    Ou bien l'aspirant meurtrier pense réellement ainsi (dans la mentalité de l'époque bien sûr, où peu de voix encore s'élevaient contre la peine de mort). Autrement dit il a souscrit au contrat social de bonne foi. Dans ce cas il y a fort à parier que son intériorisation de la loi et son désir du bien commun ne pourront qu'inhiber sa tendance déviante.

    Ou bien il n'a eu aucun scrupule à souscrire mensongèrement au contrat, les yeux dans les yeux s'il le fallait. Aussi pervers que cynique, il pense que la loi est pour les autres. Elle doit le servir, mais ne saurait lui poser des limites.

    Dans les deux cas, comme le dit élégamment Bruno Bernardi, tout rend donc ce chapitre hétérogène à la démarche du Contrat social. (Bref il sert trop à rien dans le raisonnement).

    L'ennui c'est qu'il a inspiré (et inspire encore) de légers excès.

    Comment ne pas songer aux Comités de salut public, de sûreté générale, aux purges staliniennes, maoïstes ou autres, assorties d'autocritiques, aux fatwas punissant les mécréants, quand on lit : (celui qui) devient par ses forfaits rebelle et traître à la patrie, il cesse d'en être membre en violant ses lois, et même il lui fait la guerre. Alors la conservation de l'État est incompatible avec la sienne.

    Là encore, sensible sans doute à l'énormité du propos, Rousseau l'atténue ainsi : Au reste, la fréquence des supplices est toujours un signe de faiblesse ou de paresse dans le Gouvernement. Il n'y a point de méchant qu'on ne pût rendre bon à quelque chose

    (on le préfère comme ça, notre Jean-Jacques, hein ?)

    Et d'enchaîner sur le droit de grâce. Les cas d'en user sont très rares dans un État bien gouverné parce que les criminels y sont rares. Donc en gros dans la société qu'il propose, peine de mort et droit de grâce partagent logiquement la même impertinence.

    C'est vrai que ce chapitre est là pour pas grand chose, donc. Ou peut être juste pour sa conclusion en forme d'esquive bien révélatrice de son rapport compliqué à la notion de culpabilité.

    Mais je sens que mon cœur murmure et retient ma plume ; laissons discuter ces questions à l'homme juste qui n'a point failli, et qui jamais n'eut lui-même besoin de grâce.

    Un débat pas près d'être tranché donc (j'entends celui des sanctions pénales en général, mais en continuant à refuser la barbare autant qu'inutile peine de mort). 

     

  • Un échange avantageux

    Il s'agit de bien distinguer les droits respectifs des Citoyens et du Souverain, et les devoirs qu'ont à remplir les premiers en qualité de sujets, du droit naturel dont ils doivent jouir en qualité d'hommes.

    (II,4 Des bornes du pouvoir Souverain)

     

    Le parallèle entre les droits de l'homme et ceux du citoyen apporte une idée essentielle pour définir l'ordre proprement politique.

    L'être humain en tant que tel, sans autre qualification pour ainsi dire, n'a naturellement, c'est à dire en l'état dit de nature qui est celui de l'avant contrat, que des droits.

    La notion de devoir naît comme coextensive à celle de contrat. Dans le contrat, le citoyen conserve ses droits humains naturels, mais il doit les articuler avec ses devoirs de membre du corps social.

    La question est : qu'est-ce qu'il y gagne ?

    L'argument décisif de validité du contrat pour Rousseau, c'est que les devoirs du citoyen envers l'État ne sont que rien d'autre que ce qu'il se doit à lui-même. Et surtout ils sont la seule manière d'accéder à la plénitude de ces droits.

    La situation (des particuliers), par l'effet de ce contrat se trouve réellement préférable à ce qu'elle était auparavant, et au lieu d'une aliénation, ils n'ont fait qu'un échange avantageux (…) de l'indépendance naturelle contre la liberté, du pouvoir de nuire à autrui contre leur propre sûreté, et de leur force que d'autres pouvaient surmonter contre un droit que l'union sociale rend invincible.

    OK mais reste une question. Qu'est-ce donc proprement qu'un acte de souveraineté ? (par lequel se conclut ce pacte social).

    Ce n'est pas une convention du supérieur avec l'inférieur, mais convention du corps avec chacun de ses membres : convention légitime, parce qu'elle a pour base le contrat social, équitable, parce qu'elle est commune à tous, utile, parce qu'elle ne peut avoir d'autre objet que le bien général, et solide, parce qu'elle a pour garant la force publique et le pouvoir suprême.

    Soulignons commune, général, publique. Le leitmotiv de J.J. Et pour cause.

    Les réflexes individualistes (conditionnés par les vendeurs de narcissisme), les communautarismes séparateurs, l'égoïsme anti-social, quand ils sont assumés cyniquement sont à l'évidence des fautes morales.

    Mais même si on les suppose naïfs, voire inconscients, ils restent de dangereuses stupidités. De manière paradoxale, c'est le refus du sens collectif qui dessert, voire ravage, l'intérêt personnel de tout un chacun.

    Le malentendu repose sur un petit mot, le choix ou pas du bon pronom.

    Le Peuple, ou l'État, ce n'est pas moi, qui que soit ce moi (d'en haut ou d'en bas). L'État c'est nous. À condition que ce soit nous tous.

     

  • Otez les plus et les moins

    Il s'ensuit de ce qui précède que la volonté générale est toujours droite et tend toujours à l'utilité publique : mais il ne s'ensuit pas que les délibérations du peuple aient toujours la même rectitude.

    On veut toujours son bien, mais on ne le voit pas toujours : jamais on ne corrompt le peuple, mais souvent on le trompe, et c'est alors seulement qu'il paraît vouloir ce qui est mal.

    (II,3 Si la volonté générale peut errer)

    D'où questions.

    1) Comment faire pour que la volonté de tous soit bel et bien la volonté générale ? Que la somme des différents intérêts, souvent incompatibles tels quels, soit égale à l'intérêt du corps social en tant que tel (car il est le seul porteur du véritable intérêt de chacune de ses parties cf Un changement très remarquable).

    2) Par quels mécanismes démocratiques lutter contre la tromperie du peuple qui le conduit à l'aliénation (satisfaire des intérêts autres que les siens).

     

    Pour le premier point, Rousseau dit ôtez des volontés particulières les plus et les moins qui s'entre-détruisent, reste pour somme des différences la volonté générale.

    Euh oui mais comment ? … a-t-on envie de répondre une fois de plus. JJ anticipe la perplexité du lecteur par la note suivante :

    chaque intérêt, dit le Marquis d'Alembert, a des principes différents. L'accord de deux intérêts particuliers se forme par opposition à celui d'un tiers.

    Autrement dit on avance dès qu'il s'en trouve deux pour partager un intérêt commun face à un troisième. Et en fin de compte l'intérêt totalement commun, commun à tous, se sera construit ainsi de proche en proche, par intégrations successives de sommes d'intérêts partagés.

    Bruno Bernardi note à ce propos

    « Philonenko a montré que le calcul intégral constituait l'arrière-plan mathématique de ce chapitre et plus généralement du livre II. La volonté de tous est la somme arithmétique des intérêts particuliers, la volonté générale est leur intégrale. »

    L'ennui c'est que le calcul intégral ne marche que pour de petites différences.

    Mais quand il se fait des brigues, des associations partielles aux dépens de la grande (ce que nous appelons lobbies s'agissant d'intérêts, partis ou églises ou mouvements s'agissant d'idéologies), la volonté de chacune de ces associations devient générale par rapport à ses membres, et particulière par rapport à l'État.

    Autrement dit ces lobbies forment des États dans l'État, qui détournent à leur profit particulier un désir de faire corps qui ne peut plus alors mettre son énergie au service de la volonté générale.

    D'où la réponse à la deuxième question : que s'il y a des sociétés partielles, il en faut multiplier le nombre et en prévenir l'inégalité, comme firent Solon, Numa, Servius.

    Le fragile mécanisme de la volonté générale ne sera donc préservé de l'entropie que par la correction régulière de ses dérives. Ce qui se fait en partie "d'en haut", par le travail législatif.

    Mais la mise en place et la préservation de la volonté générale dépend aussi et surtout des sociétés partielles. Et en leur sein de chacun des citoyens. (Au premier chef dans les partis, syndicats, associations ...)