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Le blog d'Ariane Beth - Page 287

  • Le premier modèle

    La famille est donc si l'on veut le premier modèle des sociétés politiques ; le chef est l'image du père, le peuple est l'image des enfants, et tous étant nés égaux et libres n'aliènent leur liberté que pour leur utilité (Livre I,2 Des premières sociétés)

    Si l'on veut n'a pas un sens fort, c'est en quelque sorte.

    Sauf que la famille de naissance de Rousseau, ou celle qu'il n'a pas voulu fonder (en abandonnant ses enfants), ne sont pas vraiment du modèle standard. Du coup ce si l'on veut sonne autrement, s'imprègne d'un sous-texte.

    Cette phrase amène aussi l'évocation de sociétés ou de régimes politiques qui ont tenté d'inventer d'autres premiers modèles que la famille (avec des buts comme des méthodes parfois discutables).

    Toute la différence est que dans la famille l'amour du père pour ses enfants le paye des soins qu'il leur rend, et que dans l'État le plaisir de commander supplée à cet amour que le chef n'a pas pour ses peuples.

    La conjonction pouvoir/amour n'est pas envisagée. Voilà de quoi détromper ceux qui croient Rousseau citoyen d'honneur de Bisounoursland.

    Me frappe aussi le rejet implicite d'un devoir filial de reconnaissance envers les parents (style après tout ce que j'ai fait pour toi). L'amour paternel ici non seulement n'attend pas de retour, mais il constitue en soi sa récompense : amour à la fois gratuit et non sacrificiel.

    Trop beau pour être vrai ? En tous cas Rousseau ne dit pas de mal de son père dans les Confessions. Pour l'absence de la mère dans le système, on rappellera si on est gentil qu'il n'a pas connu la sienne, morte à sa naissance (grosse culpabilité trimballée toute sa vie).

    Sinon on dira que tout Rousseau qu'il soit, il n'a pas su dépasser le préjugé phallocrate de son époque, comme il apparaît dans l'éducation réservée à Sophie comparée à celle d'Émile.

    Sur le sujet des fondations des sociétés, Grotius et Hobbes sont épinglés (et Aristote égratigné) pour leur justification des inégalités (y aurait des chefs-nés et des esclaves-nés) : ils prennent l'effet pour la cause.

    Les esclaves perdent tout dans leurs fers, jusqu'au désir d'en sortir (…) La force a fait les premiers esclaves, leur lâcheté les a perpétués. (JJ connaît son La Boétie).

    Mais ce que je préfère dans ce chapitre est la fin. Rousseau y tourne en dérision le concept de monarchie de droit divin, dérision combinée à une souriante auto-ironie (dont il fait preuve plus souvent qu'on ne croit).

    Je n'ai rien dit du roi Adam, ni de l'empereur Noé (…) J'espère qu'on me saura gré de cette modération ; car, descendant directement de l'un de ces princes (...), que sais-je si par vérification des titres je ne me trouverais point le légitime roi du genre humain ?

    Quoi qu'il en soit, on ne peut disconvenir qu'Adam n'ait été souverain du monde comme Robinson de son île, tant qu'il en fut le seul habitant.

     

  • Le devoir de m'en instruire

    Accord liant tous = Du Contrat social (JJ Rousseau 1762)

    Les anagrammes ça marche toujours, étonnant, non ?

     

    Né citoyen d'un état libre (…), quelque faible influence que puisse avoir ma voix dans les affaires publiques, le droit d'y voter suffit pour m'imposer le devoir de m'en instruire.

    (Du Contrat social, intro Livre I)

     

    Droit de voter, devoir de m'instruire. Voilà un slogan qui serait moins que jamais superflu à l'entrée des isoloirs.

    M'instruire est un mot fort. Il ne s'agit pas seulement de s'informer.

    Ce qui est déjà pas mal dira-t-on. À condition d'entendre par là une information factuelle, plurielle, précise. Et pas une consommation de rumeurs, d'opinions à l'emporte-pièce, d'images falsifiées, de discours démagogues.

    S'instruire dans les affaires publiques c'est travailler à construire son être-citoyen(ne). Il nous est acquis de naissance (chanceux que nous sommes au regard d'autres périodes historiques ou d'autres lieux du monde).

    Il nous reste la responsabilité (légale, mais surtout éthique) de l'exercer au mieux.

    C'est pourquoi le Contrat social est un des livres les plus utiles, les plus inspirés, qu'aient produit les Lumières. Il est un rigoureux mode d'emploi de la démocratie.

    Rousseau y montre que la démocratie est une machine magnifique mais terriblement fragile, car elle est une mécanique de précision.

    C'est à explorer ses rouages, à déterminer ses composantes et sa logique de fonctionnement qu'il s'emploie. Je vous invite à le suivre dans ce parcours, à essayer de comprendre aussi précisément que possible son texte.

    C'est pas gagné, mais on peut essayer. En tous cas promis on n'ira pas dans des débats byzantins, inutile de réinventer le fil à couper les cheveux en quatre.

    Justement pour plus de clarté, écartons d'emblée un contresens. Le Contrat social ne relève pas d'un fantasme romantico-suisse de démocratie directe et immédiate. Au contraire le livre démontre qu'il n'est de démocratie viable (et même véritable) que moyennant médiations, règles, procédures.

    Elle doit parvenir à établir et maintenir la liaison de deux pôles aussi essentiels que contradictoires.

    Je veux chercher si dans l'ordre civil il peut y avoir quelque règle d'administration légitime et sûre, en prenant les hommes tels qu'ils sont, et les lois telles qu'elles peuvent être. Je tâcherai d'allier toujours dans cette recherche ce que le droit permet avec ce que l'intérêt prescrit, afin que justice et utilité ne se trouvent point divisées. (intro Livre I)

    Posés d'emblée, les couples en chamaille : droit/intérêt, justice/utilité.

    Trouver l'accord les liant ? Pas gagné, qu'il se dit J.J., d'où le volontarisme prudent de sa formulation je veux chercher, s'il peut y avoir, je tâcherai.

  • Ce petit traité

    Ce petit traité est extrait d'un ouvrage plus étendu, entrepris autrefois sans avoir consulté mes forces, et abandonné depuis longtemps.

    Des divers morceaux qu'on pouvait tirer de ce qui était fait, celui-ci est le plus considérable, et m'a paru le moins indigne d'être offert au public. Le reste n'est déjà plus.

     

    Ceci est l'avertissement liminaire à une œuvre très connue (au moins de nom) d'un auteur très connu itou.

    À moins que, lecteurs attentifs, vous vous souveniez parfaitement de ce liminaire (auquel pour ma part je n'avais pas prêté attention jusqu'ici) vous serez peut être surpris quand vous saurez de quel livre il s'agit. Pour le deviner, quelques indices.

     

    Petit traité : traité oui petit non. Il n'est pas très long c'est vrai, mais au plan du contenu c'est du costaud. Disons pas le genre de bouquin qui se lit sur la plage ou dans le métro.

    Et surtout ce petit traité est un livre majeur. Non seulement il a suscité (et suscite encore) moult réflexions, réactions et commentaires, mais il a eu des effets fort concrets, des incidences dans l'Histoire.

    Chose rare il faut bien le dire pour un livre, même de son domaine.

    Quant à son auteur on a le sentiment à la lecture de ces lignes qu'il se traîne une vieille tendance dépressive. Sans avoir consulté mes forces ça fait le mec un peu vidé, non ? Pourquoi mec au fait, aussi bien c'est une femme ?

    Bien sûr que non. L'auteur d'une œuvre aussi connue et reconnue, surtout dans le domaine en question, fut rarement une autrice à l'époque du livre (et curieusement, ça n'a pas tellement changé).

    Le reste n'est déjà plus laisse entendre qu'il a l'habitude de la rature, et une corbeille à papiers bien remplie. De la rature, voire de l'échec ? En tous cas le ton un tantinet désabusé montre qu'il avait du mal à être content de lui.

    En fait il oscillait entre auto-dévalorisation et quasi-mégalomanie comme le montre sa célèbre autobiographie (gros indice).

    Autre trait de caractère, c'était pas vraiment un rigolo, et même carrément un grincheux insupportable ont dit certains.

    C'est pas faux cf ce genre de ton pète-sec J'avertis le lecteur que ce chapitre doit être lu posément, et que je ne sais pas l'art d'être clair pour qui ne veut pas être attentif.

    Ça calme, non ?

    Ajoutons que son œuvre touche à plusieurs genres littéraires différents (de son vivant c'est avec un roman qu'il connut la gloire), et même à la musique (gros gros indice).

    Avant-dernier indice : il écrit en français mais ne l'est pas.

    Dernier indice je vous propose une anagramme du titre : accord liant tous.