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Le blog d'Ariane Beth - Page 284

  • Uniquement sur cet intérêt commun

    C'est ce qu'il y a de commun dans ces différents intérêts qui forme le lien social, et s'il n'y avait pas quelque point dans lequel tous les intérêts s'accordent, nulle société ne saurait exister.

    Or c'est uniquement sur cet intérêt commun que la société doit être gouvernée.

    (II,1 Que la souveraineté est inaliénable)

     

    Quelque point dans lequel tous les intérêts s'accordent c'est le principe du PPDC, chiffre très variable. Possiblement élevé dans une petite structure intégrée, il restera ridiculement bas à l'échelle de structures plus complexes.

    Le PPDC français, à combien l'estimer ? Et l'européen ?

    On me dira ce n'est pas une question quantitative, mais qualitative. Peut être, mais l'ennui c'est que l'optique qualitative, c'est à dire celle des valeurs, pose plus de problèmes qu'elle n'en résout.

     

    Prenons une question au hasard : la politique à propos de l'immigration. Pourquoi n'arrive-t-on pas à une solution cohérente en Europe ?

    Parce qu'on s'envoie des valeurs à la figure. Ouverture et humanisme, paf prends ça, égoïste rabougri.

    Protection et identité, pif encaisse, cosmopolite irresponsable.

    Fraternité inconditionnelle, paf ! Cohésion nationale, pif !

    Je dis ça je dis rien, mais je me demande ce qu'on perdrait, les uns et les autre, à prendre enfin le problème de façon rationnelle et pragmatique, par le biais de l'intérêt.

    Le bénéfice que peut retirer une Europe vieillissante de l'arrivée de citoyens jeunes qui par leurs cotisations sociales prendront en charge le coût des retraites, de la dépendance.

    Ce qui suppose évidemment qu'il s'agisse d'une immigration légale. Et que soient posés des critères et des cadres ne lésant pas les travailleurs du pays d'accueil.

    Et le risque communautariste dira-t-on, ses dégâts potentiels pour le tissu social ? C'est vrai il faut l'analyser sans angélisme, ne pas le minimiser, dénoncer ses aspects possiblement délictueux

    (à l'égard des femmes particulièrement).

    Mais à terme il est probable que le travail et l'insertion dans le fonctionnement social en position d'acteur (et d'actrice) ne pourra que ringardiser les réflexes communautaires conditionnés. Sans empêcher la conscience d'appartenance culturelle, mais sous sa face dialogale.

     

    En tous cas viser l'intérêt commun de l'Europe sur cette question devenue un schibboleth est le seul antidote aux poisons nationalistes qui sont en train de la détruire.

    Je ne parle pas de sa structure administrative, ce n'est pas le plus grave. Mais bien de la volonté de faire cause commune que les nations européennes sont en train de lâcher.

    L'Europe se meurt d'avoir davantage travaillé à créer sa monnaie unique que sa volonté générale.

    Et la fameuse règle d'unanimité du Conseil européen dira-t-on ? Elle n'en est qu'une piètre caricature qui tient lieu d'alibi aux divergences d'intérêts.

     

  • Que la quantité dont on a besoin

    Le chapitre Du domaine réel (I,9) pose la question du rapport du corps social aux choses, aux biens, en particulier à une terre, un territoire.

    L'État à l'égard de ses membres est maître de tous leurs biens par le contrat social, qui dans l'État sert de base à tous les droits ; mais il ne l'est à l'égard des autres Puissances que par le droit du premier occupant qu'il tient des particuliers.

     

    La première partie de cette phrase peut prêter à contresens. J.J. ne dit pas qu'il n'est de propriété légitime qu'étatique et collective.

    Mais il pose un cadre au droit de propriété privée : un membre de l'état (personne physique ou morale) peut légitimement y accéder, mais seulement aux termes d'un contrat qui ne contredise pas la logique globale du contrat social.

    Une phrase qui accuse (entre autres) nombre de privatisations accordées par les États au mépris des intérêts de leurs citoyens, en particulier concernant les ressources naturelles, la production et la distribution de l'énergie …

    Quant à la deuxième partie, elle considère l'état dans le cadre de ce qu'on nomme le droit des gens c'est à dire le droit international, les relations entre pays.

    Si un état peut dire ceci est mon territoire national et donc j'y fais ce que je veux sans ingérence des autres pays (accueillir ou pas des immigrés, déterminer le montant des taxes, tout ça), c'est seulement en vertu du droit du premier occupant.

    Ici encore, Rousseau fait intervenir la dynamique contractuelle dans ce qui apparaît comme évidence, donnée intangible. Avec pour conséquence de relativiser le fantasme populiste du lien charnel et quasi intemporel entre un Territoire et son Peuple

    (oui je l'ai déjà dit, mais je ne pense pas superflu de le répéter).

     

    Et il marche comment, ce droit ?

    En général, pour autoriser le droit de premier occupant, il faut les conditions suivantes. Premièrement que ce terrain ne soit encore habité par personne ;

    secondement qu'on n'en occupe que la quantité dont on a besoin pour subsister.

    En troisième lieu qu'on en prenne possession, non par une vaine cérémonie, mais par le travail et la culture, seul signe de propriété qui au défaut de titres juridiques doive être respecté par autrui.

    Rousseau, dans le contexte du droit des gens, vise ici d'abord, il le précise plus loin, le scandale des appropriations coloniales pratiquées sans vergogne depuis le XVI° siècle et qui se poursuivaient allègrement de son temps.

    Mais n'occuper que la quantité nécessaire, ou posséder une part du domaine réel à la condition de le faire réellement fructifier : pour nous, dans notre réel contemporain, voilà qui soumet à la question sociale la légitimité des empires capitalistes que sont les multinationales prédatrices, ainsi que leur mode de gestion devenu exclusivement spéculatif.

     

  • Un changement très remarquable

    Afin donc que le pacte social ne soit pas un vain formulaire, il renferme tacitement cet engagement qui seul peut donner de la force aux autres, que quiconque refusera d'obéir à la volonté générale y sera contraint par tout le corps : ce qui ne signifie autre chose sinon qu'on le forcera d'être libre.

    (I,7 Du Souverain)

     

    Voilà sans doute un des passages du livre qui a fait couler le plus d'encre. Une bonne chose pour les fournisseurs d'encre et les amateurs de prise de tête philosophique. L'ennui c'est qu'il a fait couler aussi pas mal de sang et tomber pas mal de têtes.

    Faut reconnaître qu'il serait tentant de s'en emparer pour qui voudrait justifier une conception totalitaire de l'État.

    Et justement ben y en a des qui l'ont voulu.

     

    De fait ces lignes concentrent tout le paradoxe (peut être intenable?) du concept de volonté générale. Le mieux est que je laisse sur ce point la parole à Bruno Bernardi, qui présente le texte de façon fort éclairante (éd. GF 2001 revue 2012).

    « La souveraineté des citoyens* est le seul fondement de l'obéissance des sujets*. De l'obéissance des sujets dépend la consistance de la souveraineté.

    Ce n'est qu'au prix d'une désarticulation de cette double contrainte, aux yeux de R. indissociable, et d'une confusion entre le sujet et le citoyen, qu'on a pu voir ici le germe d'une conception totalitaire de l'État. »

    *pour le sens donné à ces termes cf Cette personne publique

     

    Sauf que le fonctionnement de l'articulation demande une certaine souplesse, à vrai dire difficile à obtenir sans la modification génétique concomitante de la naissance du corps social (cf Son moi commun).

    Ce passage de l'état de nature à l'état civil produit dans l'homme un changement très remarquable, en substituant dans sa conduite la justice à l'instinct (…)

    l'homme, qui jusque là n'avait regardé que lui-même, se voit forcé d'agir sur d'autres principes, et de consulter sa raison avant d'écouter ses penchants.(...)

    (…) si les abus de cette nouvelle condition ne le dégradaient souvent au-dessous de celle dont il est sorti, il devrait bénir sans cesse l'instant heureux qui l'en arracha pour jamais et qui, d'un animal stupide et borné, fit un être intelligent et un homme.

    (I, 8 De l'état civil)

     

    Si les abus. Rousseau n'est pas dupe, n'a pas une foi aveugle dans le pouvoir de la raison sur les penchants. C'est à démontrer l'intérêt de cette raison qu'il met tout son talent argumentatif et rhétorique.

    Car il s'agit bien d'intérêt, pas de morale idéaliste.

    Comme chez Spinoza, qui établit le lien organique entre animositas (moteur individuel) et generositas (sens du lien au groupe), l'efficacité du système politique repose sur l'impossibilité logique de dissocier intérêt personnel et collectif.

    La volonté générale est celle où justice et utilité ne se trouvent point divisées (Cf intro livre I).

    Ou elle n'est pas.