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Le blog d'Ariane Beth - Page 286

  • Le problème fondamental

    Les conventions qui régissent les sociétés ne viennent pas de la nature (qu'on y associe ou pas du divin), vue comme une donnée indiscutable, un c'est comme ça : les Lumières posent cette affirmation émancipatrice qui ouvre la voie à la contestation de l'ordre établi avec ses hiérarchies.

    Rousseau y souscrit entièrement. Il construit pourtant sa réflexion à partir du terme état de nature. Comment le comprendre ?

    S'il connote positivement les mots nature ou naturel, ce n'est pas pour les opposer à la culture en général (selon la caricature de son meilleur ennemi Voltaire), ni à l'art, ni même à l'artifice, mais bien plutôt à l'artificiel, à l'inauthentique.

    (Rousseau, comme tous les gens complexes et pétris de contradictions, nourrit un fantasme de simplicité et de transparence) (témoin l'exergue des Confessions Intus et in cute = à l'intérieur et sous la peau).

     

    Son état de nature je le vois comme l'épisode zéro, le moniteur de la série histoire de l'humanité. Il présente tout ce qui est fondamental (cf le terme dans citation infra), mais au sens logique plus que chronologique.

    La question n'est pas l'accès à la réalité des commencements, mais une proposition narrative qui soit opératoire dans la réalité actuelle.

    On dira : quelle différence avec un mythe religieux ? La différence c'est que Rousseau n'est pas dupe, en tous cas ici il n'est pas le mytho qui se raconte l'histoire du bon sauvage. La fiction de l'état de nature dans Du Contrat social s'inscrit seulement en tant qu'hypothèse de départ pour la démonstration.

     

    « Trouver une forme d'association qui défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun s'unissant à tous n'obéisse pourtant qu'à lui-même et reste aussi libre qu'auparavant*. » Tel est le problème fondamental dont le contrat social donne la solution.

    (Livre I,6 Du pacte Social)

     

    *Auparavant : ce terme dit bien qu'il s'agit juste de borner un temps logique, entre un temps hors contrat et un temps selon le contrat.

     

     

     

  • C'est supposer un peuple de fous

    Le raisonnement se poursuit. Puisque le prétendu droit du plus fort n'est pas un droit au vrai sens du terme, restent donc les conventions pour base de toute autorité légitime parmi les hommes.

    Rousseau, méthodique, part de la plus inégalitaire possible des conventions, le droit d'esclavage. (I,4)

    À l'échelle d'une société, c'est la soumission à un despote.

    On dira que le despote assure à ses sujets la tranquillité civile. Soit ; mais qu'y gagnent-ils si les guerres que son ambition leur attire, si son insatiable avidité, si les vexations de son ministère les désolent plus que ne feraient leurs dissensions ?

    Un marché de dupes, donc.

    En plus le despote, en assujettissant tout le monde à son seul bon plaisir, se contente de mettre un couvercle sur la cocotte-minute des dissensions. Qui se redéploieront à la première fissure du couvercle.

     

    L'esclavage, s'il est consenti, est l'aliénation absolue.

    Soit d'un homme à un homme, soit d'un homme à un peuple, ce discours sera toujours également insensé. « Je fais avec toi une convention toute à ta charge et toute à mon profit, que j'observerai tant qu'il me plaira, et que tu observeras tant qu'il me plaira ».

    C'est pourquoi un homme n'adhère à une telle proposition que s'il n'est pas dans son bon sens. Et si un peuple le fait, c'est supposer un peuple de fous.

    Une supposition pas si fantasmatique malheureusement, on se souvient des serments d'allégeance prononcés par des milliers voire millions d'individus à Hitler, Staline ou autres aliéneurs en chef, abdication volontaire d'autonomie non seulement d'action mais de pensée.

    Aujourd'hui encore, il n'est que de voir l'embrigadement dans le délire de masse réalisé par l'idéologie islamiste. Combinaison de vieilleries médiévales et de hightech tellement improbable pourtant, qui ferait rire si elle n'était aussi ravageuse.

    Mais question : même exempts de telles folies, sommes-nous totalement dans notre bon sens ? Nos ancêtres furent chair à canon dans les guerres d'anciens despotes. Nous sommes aujourd'hui chair à algorithme dans la guerre commerciale généralisée.

    Comportements, goûts, opinions, désirs, de tout cela les Gafam font bon marché dans l'absurde concurrence qui est le maître-mot, le mot-despote de notre monde.

    Pourtant nous restons volontaires pour cette servitude toute à notre charge et toute à leur profit.

    Par exemple qui résilie son compte facebook ou tweeter malgré la récurrente mise en évidence de ce marché de dupes ?

    Ces firmes sont patrons exploiteurs et contribuables tricheurs, nous le savons et l'acceptons.

    Réseaux « sociaux », vraiment ?

    Il y aura toujours une grande différence entre soumettre une multitude et régir une société (I,5 Qu'il faut toujours remonter à une première convention)

     

  • Ce prétendu droit

    Le chap 3 du livre I traite Du droit du plus fort, droit pris ironiquement en apparence, et réellement établi en principe.

    Mais ne nous expliquera-t-on jamais ce mot ? La force est une puissance physique ; je ne vois pas quelle moralité peut résulter de ses effets.

    Céder à la force est un acte de nécessité, non de volonté. C'est tout au plus un acte de prudence. En quel sens pourra-ce être un devoir ?

    Pour réfuter la notion, Rousseau renverse donc l'ironie de l'expression en la prenant au mot. On peut trouver simpliste de prendre le mot force dans sa seule acception physique.

    De fait il simplifie souvent ainsi le débat, en le figurant à son origine, sous l'occurrence la plus primitive possible (cf le discours sur l'origine de l'inégalité).

    Comme en mathématique on simplifie un rapport.

    Mais ici la simplification se justifie, car le droit du plus fort reste bien cela : un rapport de forces. En rigueur de termes, aucun véritable droit là-dedans.

    La contradictio in terminis se démontre dans un raisonnement par l'absurde.

    Supposons un moment ce prétendu droit (…) sitôt que c'est la force qui fait le droit, l'effet change avec la cause ; toute force qui surmonte la première succède à son droit.

    Sitôt qu'on peut désobéir impunément on le peut légitimement, et puisque le plus fort a toujours raison, il ne s'agit que de faire en sorte qu'on soit le plus fort. (...)

    Obéissez aux puissances. Si cela veut dire, cédez à la force, le précepte est bon, mais superflu, je réponds qu'il ne sera jamais violé.

    Mmouais quand même … Je vois une différence entre céder sans tenter de résistance, par acte de prudence (donc donnant raison de fait au précepte) ou céder sans pourtant accepter de se rendre, quand sa résistance est débordée, comme craque la digue sous le tsunami.

    Là, on peut dire que malgré l'issue, l'objection de conscience a au moins réfuté le précepte, même si en effet il n'est pas violé.

    D'ailleurs Rousseau ajoute Toute puissance vient de Dieu, je l'avoue ; mais toute maladie en vient aussi. Est-ce à dire qu'il soit défendu d'appeler le médecin ?

    (Il criserait, le pauvre, devant les aberrations à ce propos des témoins de Jéhovah ou Mormons  je sais plus).

    Bref, conclut-il, ma question primitive revient toujours.

    Sa question primitive c'est : le droit qui établit l'ordre des sociétés ne vient point de la nature ; il est donc fondé sur des conventions. Il s'agit de savoir quelles sont ces conventions.

    (Livre I,1 Sujet de ce premier Livre)