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Le blog d'Ariane Beth - Page 323

  • Au pied du mur

    Il poeta sei tu che leggi

    (= C'est toi le poète, toi qui lis)

     

    Cette phrase a été taguée sur un mur de Milan en 2012. Je l'ai trouvée dans un livre que Papa Noël a déposé dans mes petits souliers, profitant que je n'y étais pas.

    Ça s'appelle Tiens ils ont repeint ! (La Découverte).

    Yves Pagès y donne à lire des aphorismes urbains, autrement dit tags et graffs, produits sur la période de 1968 à nos jours. Il les a recueillis sur des murs de France, de Navarre ou d'ailleurs.

    Ce recueil fait bien percevoir les évolutions du climat social et politique en 40 ans. Et ne peut manquer de susciter à ce titre moult réflexions sociologiques, historiques, politiques. Lecteur, tu pourras t'y adonner à ta guise.

    Pour ma part c'est avec aussi peu de commentaires que possible que je voudrais te livrer les phrases que j'ai glanées au fil de ma lecture.

    (Quoique. Telle que je me connais l'aussi-peu-que-possible risque d'aller plus souvent qu'à son tour vers le déjà-beaucoup-trop ...) (… Bref).

    Je ne sais si la phrase ci-dessus est du tagueur (de la tagueureuse) ou s'il s'agit d'une citation. En tous cas elle est belle et vraie.

    Le lecteur qui sait lire est toujours poète, c'est à dire créateur. La créativité de son acte de lecture prolonge la créativité de l'auteur.

    Mais plus encore que les livres, nous savons tous que c'est d'abord la vie qu'il importe de lire.

    En ce début d'année nous ignorons quels mots nous aurons à y lire, mais de ces mots, autant que possible nous nous ferons les poètes.

     

     

     

  • Le monde éclatant de couleurs

    Peut être la philosophie nous enseigne-t-elle comment supporter d'un cœur égal les malheurs de notre prochain, peut être la science résout-elle le sens moral en une sécrétion de sucre, mais l'art est ce qui fait de la vie de chaque citoyen un sacrement.

    Oscar Wilde (Lors d'une conférence aux USA)

     

    Que faire devant la laideur du monde ? Déjà ne pas s'y complaire, suggèrent les citations de la dernière fois. Mais ce n'est ni facile ni suffisant.

    Reste à faire appel aux principaux antidotes humains au mal et au malheur : la philosophie, la science, l'art.

    Remarque 1. Comme Oscar le fait entendre ici fort plaisamment, l'égoïsme peut accompagner une pose pseudo-éthique, une prétendue philosophie peut se faire masque du cynisme : c'est souvent vérifié.

    Remarque 2. Absence notable de la religion dans cette série, alors qu'elle est souvent invoquée comme secours de l'humanité (ou opium du peuple).

    2a) Oscar laisse cela à ceux dont c'est davantage le feeling.

    Tous les américains font des sermons … J'imagine que c'est une question de climat. (Une femme sans importance)

    2b) Un homme ne peut pas faire un plus mauvais usage de sa vie que de mourir pour ses croyances théologiques. (Le portrait de Mr W.H.)

    (Surtout qu'en général il en profite pour faire un usage abusif de la vie des autres).

    2c) La prière ne doit jamais obtenir de réponse. Si elle en reçoit une, ce n'est plus une prière, c'est une correspondance. (Dans la conversation)

    Dieu m'encense, voilà qui sonne mystique en diable : Dieu tout autre, caché ...

     

    Et voilà qui ramène au mot de sacrement dans notre phrase. 

    Par l'acte artistique, qu'il soit de création ou de simple réception (car la véritable réception d'une chose est aussi un acte, on l'oublie souvent) le monde peut se sublimer.

    Il peut trouver une forme et une signification, à partir du matériau chaotique qui le (nous) constitue. Et ainsi il n'est pas rare que ce soit l'art qui délivre la pleine potentialité vivifiante de la vie.

    La beauté a autant de significations que l'homme a d'humeurs. Elle est le symbole des symboles. Elle révèle tout, car elle n'exprime rien. En se montrant à nous, elle nous fait voir dans son entier le monde éclatant de couleurs.

    (Le critique en tant qu'artiste)

     

  • La bonne distance

    Devenir le spectateur de sa propre existence, c'est échapper aux souffrances de la vie.

    Oscar Wilde (Le portrait de Dorian Gray)

     

    Sans doute. Seulement après, toute la question est de ne pas devenir un être si détaché qu'il en est abstrait.

    Il y a de ces gens sur qui tout semble glisser, avec qui la relation est comme ouatée. C'est aussi angoissant que le silence et l'immobilité d'un paysage emprisonné par la neige.

    Ce n'est pas à ce type de comportement que renvoie la phrase d'Oscar, mais à la simple prise de distance avec soi qui permet comme on dit de relativiser. Une prise de distance dont les deux pierres de touche sont l'humour et la curiosité.

    Je ne m'aime pas avec si peu de discernement que je ne puisse me considérer à distance, comme un voisin, comme un arbre, dit dans le même esprit Montaigne (Essais III, 8).

    Un arbre où circule une sève printanière, et pas une bûche de bois mort.

    Il n'a pas voulu se faire pierre ou souche ; il a voulu se faire homme vivant, discourant et raisonnant, jouissant de tous plaisirs et commodités naturelles, embesognant et se servant de toutes ces pièces corporelles et spirituelles en règle et droiture. 

    (Essais II 12, à propos du philosophe sceptique Pyrrhon).

    Car sceptique oui, blasé ou indifférent non. Le mot grec skeptikos signifie observateur, ce qui nous ramène au spectateur de Wilde. Il s'agit de se situer dans ce qu'on peut appeler la bonne distance avec le monde et les autres.

    Suffisamment près pour voir la réalité dans sa complexité et parfois sa brutalité, pour comprendre, être capable d'empathie. Mais ne pas se laisser phagocyter pour autant.

    Le spectateur-observateur cultive l'aptitude à échapper à deux formes de complaisance morbide : l'auto-apitoiement, et une certaine compassion non exempte de jouissance doloriste.

    Je puis compatir à tout, sauf à la souffrance. Pour elle, je n'ai aucune compassion. Elle est trop laide, trop horrible, trop bouleversante. Il y a quelque chose d'affreusement morbide dans cette manie qui sévit aujourd'hui de s'identifier à la douleur. On devrait s'identifier à la couleur de la vie, à sa beauté, à sa joie. Moins on parle de ses plaies, mieux on se porte.

    (Le portrait de Dorian Gray)