Que dit le rapprochement des trois œuvres ? Et ce triptyque du seuil de la mort est-il un triste triptyque ? (Désolée c'était trop tentant)
Si Le Chien est un autoportrait, il est logique de penser, dans l'hypothèse triptyqueste, que St Pierre et La Laitière en sont aussi, non ? Je suis logique, donc je le pense.
Parmi les autoportraits, et portraits en général, il y a comme on sait portrait physique (apparence extérieure) et moral (comportement, psychologie). Les plus intéressants et révélateurs jouent parfaitement de l'interaction des deux registres. Et le nec plus ultra du portrait est ce qu'on peut nommer le portrait métaphorique, où l'artiste se révèle par un « si j'étais ».
C'est ce que fait Goya avec les trois personnages. A travers eux il se ressaisit tel qu'en lui-même enfin l'éternité le change, récapitulant sa vie, sublimant, une dernière fois et de façon décisive, son être mortel grâce à son désir créateur.
Si j'étais un animal ? Moi Goya, ex peintre de cour exilé à Bordeaux, peintre engagé, toujours en lutte contre l'obscurantisme, le despotisme, je ne me peins pourtant pas en vieux lion ou en aigle. Je suis un petit chien noir qui ne cherche qu'à jouer encore un peu sous le ciel menaçant, un ciel déjà linceul.
Si j'étais une figure biblique ? Je serais Pierre, lâche renégat institué pourtant portier du paradis. Moi le paradis des religions j'y crois pas, j'ai vu trop d'enfer sur terre. J'appelle mon tableau Le repentir de St Pierre pour implorer de la postérité le seul pardon dont ait besoin un artiste : je n'ai pas changé le monde. Mais j'ai mis toute ma force à chercher et sauver la beauté jusque dans la laideur, l'angoisse, le mal et le malheur. Voici les clés de mon paradis, là au bord du cadre à portée de toi qui regardes, juste au-dessus de ma signature. Je suis Goya, peintre et serviteur de la beauté.
Si j'étais … ce que je ne sais pas dire. Ce que toujours j'ai cherché, parfois trouvé et donné. Une chose à laquelle j'aspirerai jusqu'au dernier souffle. Qui sera mon viatique dans le passage vers la mort. Comment la nommer?Amour ? Joie du désir et désir de joie ? Peut être est-ce elle, la beauté elle-même, et l'art, ma raison de vivre, ma passion ? Si j'étais cette chose que je ne sais pas nommer et qui est ma vie, je serais cette femme. Parce qu'elle est là, maintenant, avec moi.
On aura deviné mon intime conviction : Goya est bien l'auteur de La laitière. Mais il ne me déplairait pas qu'elle soit l'autoportrait, non plus symbolique mais bien réel, d'une femme, parente ou amoureuse, qui veille avec lui dans son dernier passage, peignant l'œuvre sur ses instructions (ou pas). Ou mieux encore La laitière serait les deux autoportraits ensemble. Car ce qui tenait le pinceau, de quelque nom qu'on le nomme, puissance de vie, désir, création, c'est la seule arme opposable la mort.
Disons avec Papa Sigmund : la libido.