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Le blog d'Ariane Beth - Page 436

  • Pour l'amour de l'art

    Que dit le rapprochement des trois œuvres ? Et ce triptyque du seuil de la mort est-il un triste triptyque ? (Désolée c'était trop tentant)

    Si Le Chien est un autoportrait, il est logique de penser, dans l'hypothèse triptyqueste, que St Pierre et La Laitière en sont aussi, non ? Je suis logique, donc je le pense.

    Parmi les autoportraits, et portraits en général, il y a comme on sait portrait physique (apparence extérieure) et moral (comportement, psychologie). Les plus intéressants et révélateurs jouent parfaitement de l'interaction des deux registres. Et le nec plus ultra du portrait est ce qu'on peut nommer le portrait métaphorique, où l'artiste se révèle par un « si j'étais ».

    C'est ce que fait Goya avec les trois personnages. A travers eux il se ressaisit tel qu'en lui-même enfin l'éternité le change, récapitulant sa vie, sublimant, une dernière fois et de façon décisive, son être mortel grâce à son désir créateur.

    Si j'étais un animal ? Moi Goya, ex peintre de cour exilé à Bordeaux, peintre engagé, toujours en lutte contre l'obscurantisme, le despotisme, je ne me peins pourtant pas en vieux lion ou en aigle. Je suis un petit chien noir qui ne cherche qu'à jouer encore un peu sous le ciel menaçant, un ciel déjà linceul.

    Si j'étais une figure biblique ? Je serais Pierre, lâche renégat institué pourtant portier du paradis. Moi le paradis des religions j'y crois pas, j'ai vu trop d'enfer sur terre. J'appelle mon tableau Le repentir de St Pierre pour implorer de la postérité le seul pardon dont ait besoin un artiste : je n'ai pas changé le monde. Mais j'ai mis toute ma force à chercher et sauver la beauté jusque dans la laideur, l'angoisse, le mal et le malheur. Voici les clés de mon paradis, là au bord du cadre à portée de toi qui regardes, juste au-dessus de ma signature. Je suis Goya, peintre et serviteur de la beauté.

    Si j'étais … ce que je ne sais pas dire. Ce que toujours j'ai cherché, parfois trouvé et donné. Une chose à laquelle j'aspirerai jusqu'au dernier souffle. Qui sera mon viatique dans le passage vers la mort. Comment la nommer?Amour ? Joie du désir et désir de joie ? Peut être est-ce elle, la beauté elle-même, et l'art, ma raison de vivre, ma passion ? Si j'étais cette chose que je ne sais pas nommer et qui est ma vie, je serais cette femme. Parce qu'elle est là, maintenant, avec moi.

    On aura deviné mon intime conviction : Goya est bien l'auteur de La laitière. Mais il ne me déplairait pas qu'elle soit l'autoportrait, non plus symbolique mais bien réel, d'une femme, parente ou amoureuse, qui veille avec lui dans son dernier passage, peignant l'œuvre sur ses instructions (ou pas). Ou mieux encore La laitière serait les deux autoportraits ensemble. Car ce qui tenait le pinceau, de quelque nom qu'on le nomme, puissance de vie, désir, création, c'est la seule arme opposable la mort.

    Disons avec Papa Sigmund : la libido.

  • Une voie lactée

    Sous la coiffure, le visage allie la sensualité d'une appétissante carnation et de formes pleines (telle chez Homère Hélène « aux belles joues »), et une douceur angélico-maternelle. Alors avec ce fichu qui lui fait comme une auréole laïque, La Laitière nous apparaît comme assez cousine des madones de Raphaël, par exemple. Pas trop vierge mais bien femme. Et surtout très mère, le genre qu'on se blottit contre son giron en souvenir du temps où on tétait encore, le genre qui d'un sourire peut panser une douleur et rendre invraisemblable le malheur du monde.

     

    J'ajoute à cela qu'elle présente une ressemblance frappante avec Agnès Jaoui. Quel rapport ? Aucun. Mais 1°) j'adore trouver des ressemblances 2°) quand c'est Swann qui trouve que son Odette ressemble à un Botticelli personne ne lui en fait un flan, voyez ce que c'est le préjugé et 3°) j'apprécie beaucoup Agnès Jaoui, comme actrice aussi bien que scénariste, réalisatrice, chanteuse. (Je ne sais pas si elle peint ?)

     

    Mais revenons à notre triptyque, à sa structure globale.

    Le chien et St Pierre dirigent tous les deux leur regard vers le haut et vers la droite. La laitière regarde vers le bas à gauche. Rien n'interdit donc d'instituer la laitière en destinataire de l'attitude d'attente du chien comme du geste de supplication de Pierre. Attente et supplication qu'elle accueille pareillement dans sa maternelle bienveillance.

     

    Elle accueille, elle écoute peut être. Mais sans répondre, sans agir. Elle n'a rien sous la main pour jouer avec le chien par exemple (ou alors la cruche, mais le jeu serait vite fini). Elle est là, les bras ballants, n'esquisse aucun geste. Donc pas non plus celui de saisir les mains suppliantes de Pierre, de le relever.

     

    La laitière se contente d'être là, dans une présence et une attention intenses, mais sans rien faire. Elle se contente d'être là, dans un élan paradoxal, comme est paradoxal le mouvement du tableau. Un élan dont la réalisation, l'efficace sont liés à ses vis à vis du triptyque, à la force de leur attente, de leur abandon. Et à l'attente et l'abandon du spectateur du tableau. (A suivre)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • Conférence inter professionnelle

    Saint Pierre joint les mains dans une posture de supplication. OK ça correspond à ce qui est attendu de lui, c'est le job. Il n'est pas à contre emploi. Mais peut-on en dire autant de la laitière ? Une employée de laiterie (probablement en chemin pour une livraison) assise presque affaissée, bras ballants, sa cruche à ses pieds (et consécutivement il faut le souligner le lait à la merci du premier chien ou chat venu) : cette attitude correspond-elle au cahier des charges de sa profession, aux conventions collectives concernant les pauses ou aires tétées ? La question mérite d'être posée.

    Sans polémiquer je ferais en outre remarquer que 150 ans auparavant la Perrette de La Fontaine fait preuve d'un esprit d'entreprise bien supérieur. Et de nos jours inutile de vous dire que dans n'importe quel trust laitier, cette feignasse se ferait virer vite fait à la fin de sa période d'essai (à supposer qu'on lui eût signé un contrat en bonne et due forme). On m'objectera qu'en 1827 les multinationales de l'agro-alimentaire n'avaient pas encore germé sur la terre des hommes. A quoi je répondrai qu'en revanche l'exploitation de l'homme par l'homme avait depuis belle lurette atteint un rendement satisfaisant. Quant à l'exploitation de la femme par l'homme on manque de statistiques fiables, car quand on aime on compte pas. Bref si cette femme est laitière, je suis Simone de Beauvoir (voire Jean-Paul Sartre).

     

    Mais qui est-elle alors ? Regardons-la. Sa posture est empreinte d'une sorte de flexibilité … Euh disons plutôt souplesse. Elle n'est pas figée, elle fait halte mais sans que le mouvement l'ait quittée. On avait noté la même chose pour le chien, ce mouvement juste suspendu. Goya est très fort en mouvement paradoxal, ou si vous préférez en suggestion paradoxale de mouvement. Vous voyez ce qu'on nomme le sommeil paradoxal ? Le moment du cycle de sommeil où on rêve : on hallucine les mouvements, on a vraiment la sensation de bouger, et pourtant le corps est immobile, verrouillé par une inhibition motrice. Eh bien pareil dans ce tableau.

     

    Sa laitière est emportée par un mouvement, souligné par le croisement du fichu sur la poitrine, qui inclut la tête dans une sorte de boucle.

    Je n'ai pas de grandes lumières sur la mode capillaire en vogue chez les employées de laiterie à Bordeaux en 1827 (j'aurais besoin d'un brushing euh d'un briefing), mais je trouve la chevelure particulière. Cette grosse masse brune et bombée qui avance au-dessus du front et se relève en micro-chignon sur la nuque, on dirait plutôt une toque de fourrure. Et puis ce côté un peu mastoc fait dissonance avec le fichu qui ceint la tête, vaporeux, brillant. Mais bon c'est lui le peintre, hein ? D'ailleurs dans mon bouquin ils disent que pour faire le blanc des fichus de la tête et des épaules, Goya a mélangé à l'huile de l'amidon et du sable – éblouissant non ?

    (A suivre)