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Le blog d'Ariane Beth - Page 435

  • "A supposer que vienne un temps ..."

    Le poète ayant chanté sa déception, Freud argumente sa conception.

    « Deux motions psychiques différentes peuvent résulter, dit-il, de la plongée dans la caducité de toute beauté » (caducité Robert connaît mais dit c'est vieux et littéraire, devons-nous en déduire que tels sont les traducteurs?).

    Motion 1 : « Douloureux dégoût du monde de ce jeune poète. »

    Motion 2 : « Révolte contre la réalité affirmée des faits. Les splendeurs de la nature et de l'art, du monde extérieur et du monde de nos sensations », qu'un jour ça ne soit plus rien de rien ? C'est pas possible !

    Motion de synthèse : Mais si c'est possible, p'tit gars, « ce qui est douloureux peut aussi être vrai ». (Belle phrase non ?). Et Freud d'entamer le dialogue avec le poète, espérant par le miracle de la maïeutique et de la synthétique réunies lui faire concevoir une vie plus rose.

     

    « On connaît la fin du film, et c'est pas une happy end, tu dis ? D'accord, mais prends quand même ton ticket, cale-toi dans ton fauteuil et profite, sois bon public. Si tu lisais d'autres poètes que toi, par exemple Épicure » (ça il lui dit pas, c'est moi qui l'ajoute) « tu admettrais que dans la vraie vie, 'la limitation de la jouissance augmente le prix de celle-ci. S'il existe une fleur qui ne fleurit qu'une seule nuit, son efflorescence ne nous paraît pas moins magnifique' (et toc, moi aussi je suis poète. Oui je sais efflorescence ça craint, mais que veux-tu, mes traducteurs sont vieux et littéraires).»

    Mais comme il est par ailleurs vaguement psychologue, Freud devine que la vraie vie n'est pas l'argument adéquat pour son jeune ami poète et dépressif, dont le souci profond est l'art. L'art en général, mais surtout la caducité ou pas de son œuvre à lui dans sa magnifique efflorescence. C'est ainsi le créateur est narcissique, il reste un enfant, d'où la crucialité pour lui de la question de l'effet mère vous suivez ? (je dis crucialité si je veux, après caducité tout est permis). Bref arrive l'argument ad poetam depressivum :

     

    « A supposer que vienne un temps où les tableaux et les statues que nous admirons aujourd'hui se désagrègent, ou que vienne après nous une race d'hommes qui ne comprenne plus les œuvres de nos poètes (tu vois mon chou moi je t'ai compris) et de nos penseurs (suivez mon regard), voire une époque géologique dans laquelle tout ce qui vit sur terre soit sans voix, la valeur de toutes ces choses belles et parfaites est déterminée uniquement par sa signification pour notre vie sensible, elle n'a même pas besoin de durer plus que cette dernière et elle est de ce fait indépendante de la durée temporelle absolue. »

    L'apocalypse selon Sigmund : un mixte de Fahrenheit 451 et de la fin des dinosaures, sans compter le troublant rapprochement que nous pouvons faire avec des barbaries actuelles. Apocalypse à laquelle il oppose un seul espoir de salut, qui n'est pas sans évoquer une certaine quête A la recherche du temps perdu. (A suivre)

     

  • "La pensée le troublait"

    Freud commence son article sous la forme d'une anecdote, comme on en raconte autour d'un repas entre amis, dans le cours sinueux de la conversation (qui selon l'arrosage du repas sinue plus ou moins).

    « Il y a quelque temps, je faisais en compagnie d'un ami taciturne et d'un jeune poète, d'une notoriété déjà reconnue, une promenade à travers un paysage d'été en fleurs. »

     

    1) L'expression paysage d'été en fleurs m'accroche, je ne sais pourquoi. On dirait un titre de tableau plus qu'une description directe.

    2) Ami taciturne. Pourquoi signaler ce taciturnisme ? Pour le contraste avec le jeune poète, par profession peu inhibé à se répandre, surtout s'il fait dans la goethitude et le lyrisme néo-romantique ? Ou bien par taciturne Freud laisse-t-il plutôt entendre déprimé voire mélancolique pour ne pas dire saturnien (on ne devient pas ami de Freud par hasard).

    3) Pourquoi poète déjà reconnu ? Il est clairement en pleine crise aquaboniste (décidément c'était pas l'ambiance cette balade, heureusement que Sigmund, lui, est un sacré boute-en-train), donc Freud tient à préciser qu'il ne s'agit pas là d'une amertume de loser comme il s'en rencontre chez les plumitifs de tout poil.

     

    En effet le poète admire la beauté de la campagne, l'herbe, les fleurs, mais n'arrive pas à en profiter car la pensée le troublait que tout ça ne dure pas. Genre ça m'intéresse pas d'aller voir le film vu qu'on m'a déjà raconté la fin 

    « Tout ce qu'il aurait sans cela aimé et admiré, lui semblait dévalorisé par la destinée à laquelle cela était promis, l'éphémère destinée. » (Nous y voilà).

    Je parie qu'à ce moment Freud a dû regretter de n'avoir pas plutôt cherché un quatrième (le plus cool et le moins poop possible) pour faire un bridge. Quoique. Si le saturnien taciturne se retrouvait à être le mort ?

     

    Bref en rentrant chez lui, il a un vieux besoin de se changer les idées, de se détendre avec un bon bouquin pas prise de tête. C'est pourquoi tout naturellement il se met à feuilleter Faust. « Anna, Liebchen, dis-moi un chiffre s'il te plaît – Ja, Vati : 1204 ! - 1204 ? Étonnant ... mmmhh alors : 12, ça te fait penser à quoi ? Et 12 divisé par 4 ? Euh … non laisse tomber. Alors 1202, 1203, 1204 voilà : 'Tout éphémère n'est qu'une parabole.' Ach ...Mais ça ne veut rien dire, c'est bien simple on dirait du Lacan ! »

     

    Et puis comme finalement rien n'amusait autant Freud que l'analyse de ce qui trouble les pensées (sauf peut être l'analyse des pensées troubles), il s'est mis à l'article que nous résumerons la prochaine fois. (A suivre)

     

  • Ephémère

    Éphémère destinée est le titre d'un article que Freud écrit en 1915. Joli titre, lyrique et romantique à souhait. En fait le titre original est un peu moins joli : Vergänglichkeit, c'est à dire éphémérité. Mot qui n'existe pas en bon français, c'est à dire chez mon ami Petit Robert. Comme souvent le problème pratique a donné lieu à une solution esthétique. (En fait le metteur en scène Peter Brook dit plus radicalement il n'y a pas de problèmes pratiques il n'y a que des solutions esthétiques. Une phrase dont la validité dépasse le cercle théâtral, et atteint des domaines fort divers. Mais on n'est pas là pour se raconter nos vies, revenons donc à notre divan).

    N'empêche Freud aurait pu trouver un titre lyrico-romantique lui aussi sans forcer. Même Michel Onfray ne pourra qu'en tomber d'accord : ce vilain petit bonhomme de Sigmund a d'innombrables défauts mais, Dieu nous déplume, il manie le plus souvent fort élégamment la sienne.

    Talent d'écriture rencontré par exemple dans ma note « Avant tout le mot » du 15 juin 2014. Que cette précision quasi maniaque ne vous étonne pas. Un blog est à l'image de son auteur, en l'occurrence soumis à une compulsion à l'organisation bien caractéristique d'un profil psychologique POOP, profil obsessionnel option phobique (cherchez pas dans le DSM je viens de l'inventer).

     

    Un profil dont je ne suis pas le seul spécimen. Car qu'apprends-je par une note en bas de page ? Ce titre est « une allusion aux vers 1204 et 1205 du Faust de Goethe ». De deux choses l'une. Ou bien c'est Freud lui-même qui l'a précisé, ce qui confirme sa propre poopitude. Ou bien ce sont les traducteurs qui, sachant que cet article fut écrit pour le Berliner Goethebund, sont allés compulser les milliers de pages de l'oeuvre de Goethe, en se disant « tel qu'on connaît notre Sigmund y a sûrement une allusion littéraire voire une citation littérale ». Entre nous j'espère qu'ils ont commencé par le Faust et ainsi n'ont eu à compulser que 1203 vers, ce qui reste humain.

     

    Bref les vers disent  : Tout éphémère n'est qu'une parabole.

    C'est ma traduction vu que les traducteurs ne traduisent pas - débrouille-toi ma fille. Normal me direz-vous ils étaient payés pour traduire Freud pas Goethe. Mais le problème pratique c'est que je n'arrive pas à comprendre ce que ça peut vouloir dire. De deux choses l'une. Ou c'est Goethe qui est un peu fumeux, ou c'est moi qui suis un peu fumiste. J'entends par là que je n'ai pas assez bossé l'allemand du temps de ma jeunesse folle pour être capable de correctement traduire. A la réflexion c'est peut être les deux. Car avec Goethe les Lumières commencent à bien se tamiser de nébulosités romantiques & stylistiques. Et moi faudrait que je me remette à jour en allemand, c'est clair.

     

    Il ne nous reste donc plus qu'à espérer que la lecture de l'article de Freud nous apportera quelques solutions esthétiques. A suivre, donc.