Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Le blog d'Ariane Beth - Page 431

  • Les aventuriers du temps perdu

    Au fait à propos de lire sur la plage : « À la recherche du temps perdu », Dieu nous récupère quel titre magnifique ! … Mais qui, j'en conviens, peut être apprécié diversement.

     

    1 « Houlàlà, diront les uns, si l'auteur lui-même avoue avoir perdu son temps, que sera-ce pour le lecteur ? »

    2 « Oui mais, diront d'autres, à la recherche de, ça vous a un petit côté film d'aventures plein de suspense, de rebondissements, de héros baroudeur au sourire charismatique, dont l'humour n'a d'égal que le courage, et, cerise sur le gâteau, à qui son galurin va si bien. »

     

    À ceux du n°1 demandons s'ils sont toujours si sûrs que ça de savoir ce qui, jusqu'ici dans leur vie, a été de la perte de temps ou pas ? Et tant qu'on y est ajoutons que perdre son temps, c'est comme rire : on peut le faire à propos de tout, le tout étant de ne pas le faire avec n'importe qui.

     

    Quant à moi vous l'aurez deviné je me range dans la catégorie n°2. La recherche de Proust, une synthèse de À la recherche du diamant vert et des Aventuriers de l'arche perdue ? Mais si, ça tient la route.

    Dans les dernières pages du temps retrouvé, à la toute fin de l'œuvre donc, le narrateur nous accroche par une sorte de suspense rétroactif. Au moment où il le boucle, le livre est présenté comme encore à écrire entièrement. Et là nous voici dans Retour vers le futur, avec l'interrogation : ce livre pourquoi existe-t-il, ou plutôt pourquoi et comment a-t-il échappé à la non existence ? Et avec lui comment a échappé à la non-existence la vie de son auteur, et tout autant, notre vie de lecteurs de Proust ?

     

    « Cette idée du Temps (…) était un aiguillon, elle me disait qu'il était temps de commencer si je voulais atteindre ce que j'avais quelquefois senti au cours de ma vie, dans de brefs éclairs (…) et qui m'avait fait considérer la vie comme digne d'être vécue. Combien me le semblait-elle davantage, maintenant qu'elle me semblait pouvoir être éclaircie, elle qu'on vit dans les ténèbres, ramenée au vrai de ce qu'elle était, elle qu'on fausse sans cesse, en somme réalisée dans un livre ! »

     

    Si les dernières pages de La Recherche sont si passionnantes, c'est qu'elles sont au sens propre une apocalypse (la levée d'un voile).

     

    Mais ça se mérite. Faut y être arrivé sans (trop) sauter de pages. Une aventure on vous dit.

     

     

     

  • L'Albatros ça l'fait trop

    À l'attention de Mme S. de Beauvoir (mais les autres vous avez le droit de lire) : « Chère Maman Simone, ne croyez pas que je snobe votre proposition de parler du Deuxième sexe. Mais là voyez j'ai besoin de vacances et c'est pas vous faire injure que dire que votre bouquin n'est pas franchement un de ces romans de gare qu'on lit sur la plage. Ce sera donc pour la rentrée. Peut être. Voilà. À plus tard. Ciao bisous. »

    Bon, ça s'est fait. Alors vacances on a dit, car

     

    Souvent un peu blasée lectrice de mes pages

    Je les trouve pas top. Des mots pas best-seller,

    Pas le moindre verlan et encor moins d'images :

    C'est carrément lassant on est loin du thriller.

     

    J'en suis bien déconfite et sur la page blanche,

    Lorsque mon gribouillis frôle le cafardeux,

    (Étonnamment semblable à un temps d'Outre Manche),

    Pour fuir le fastidieux fais ni une ni deux.

     

    Plutôt que de squatter un plateau de scrabble

    Pourquoi pas pasticher sans le moindre fair play

    Un poète génial ? Que personne m'engueule

    Car à qui fais-je mal par mes jeux de mots laids ?

     

    Ben oui, à personne il me semble. Et quant à cet hommage au grand Charlie Bod, il est des plus sincères. Son albatros m'a toujours fait planer. Il y va, il ose, même pas peur d'en faire too much. Caractéristique bien partagée par les autres romantiques. Ça me rappelle un devoir en khâgne où il fallait commenter la phrase d'un critique qui débinait Hugo comme quoi il n'avait pas le sens du ridicule, et que c'était dommage pour un poète de son standing. A l'appui de cette affirmation, des vers de La Légende des Siècles que j'ai oubliés maintenant. Mais je me souviens que je leur avais trouvé un souffle certain, contrairement à la démonstration poussive du critique grincheux. Je m'étais fait la réflexion que ce mec c'était rien qu'un jaloux, et que le ridicule n'est pas toujours où l'on croit. (Sans oser pourtant l'écrire dans mon devoir : j'avais trop peur que le prof le prenne pour lui.)

     

    Bref vacances. Écrire n'importe quoi comme ça vient.

     

    L'Ariane est sans gag sujette à s'ennuyer,

    Qui quante ça l'embête a vit' fait de lâcher,

    Egayée c'est du bol au jeu d'azertyuer,

    Chez elle déjanter marrant c'est pas pécher.

     

  • Perdrêtre

    L'identification mène donc à tout, mais à condition d'en sortir. En effet une identification produit tôt ou tard de l'inhibition, c'est bien le mot. Car elle assigne à une essence unique, à une clôture. Sa tendance est donc l'involution. Ce n'est que lorsqu'elle se relâche que peut s'ouvrir le processus d'évolution, l'entrée dans un chemin dont les relations aux divers objets sont les jalons. « Je l'ai c'est à dire je ne le suis pas. »

    Je ne serai qui je serai qu'à partir de ce que j'aurai admis ne pas être, ne plus être. « A partir de » au deux sens à la fois : en m'en servant comme matériau, et en maintenant entre nous une distance, un écart.

     

    Oui mais après ? Si jamais il arrive que je le perde, l'objet, que je ne l'aie plus du tout ? Disons plutôt « quand », car cela arrive toujours tôt ou tard. Alors se repose la question de ce que je suis, et comment l'être. C'est exactement la question du deuil, de la multitude des deuils qui jalonnent le parcours d'une vie : « J'ai eu, j'ai plus. J'étais avec ce que j'avais, comment être sans ? »

    La première chose que produit la perte, c'est précisément la retombée dans l'être (être l'objet). Le fait de revenir à une forme d'identification à l'objet. L'objet perdu, si bien qu'il arrive de rester identifié à la perte elle-même (voir Deuil et Mélancolie dont j'ai déjà parlé plusieurs fois).

     

    Le pas décisif d'assurance dans l'être ne se franchit que par le passage de perdu à « perdable ». Lorsque la perte cesse d'être vue comme un accident. Au sens de drame qui bouleverse le rapport au monde jusqu'à le rendre impossible. Mais aussi au sens (aristotélicien) d'accident opposé à essence. Il s'agit de considérer la perte, la perdabilité plus exactement, en tant que paramètre constitutif de tout ce qui est. Parlêtre selon Lacan, l'humain selon Freud est aussi un perdrêtre. (Les deux vont ensemble en fait).

     

    Pour le fun, revenons maintenant au début de la note de Freud. Il nous présente une femme qui retombe dans l'identification (en plus à ce machin dérisoire), telle la relapse dans son hérésie, tel l'enfant immature. Et pourquoi donc cette chute ? Parce qu'elle chercherait à échapper à l'envie de pénis, l'objet que jamais elle n'aura. Questions : pourquoi que le pénis elle voudrait l'avoir ? Et pourquoi que quand elle comprend que décidément elle l'aura jamais, ça lui ferait un tel choc, un deuil propice à toutes les infortunes névrotiques ? Serait-il un objet si « pas comme les autres » que ça ?

     

    « - C'est bien ma fille, bonnes questions. Tu sais que j'y réponds dans mon bouquin ?

    - Bien sûr Maman Simone, comment ne pas vous lire quand on est femme ?

    - Oh je suis pas sûre qu'on me lise encore tant que ça ... Moins que ce phallocentré de Freud je parie, ou même ce tchatcheur de Lacan, c'est tout dire. Au fait tu pourrais pas faire quelques notes sur moi un de ces jours ? »