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Le blog d'Ariane Beth - Page 427

  • Avenir radieux

    La vieille, dit Robert à sa page 2712, est un poisson appelé aussi labre, qui veut dire lièvre. A quoi rime une telle définition ? Pourquoi vient-elle encombrer les pages de Robert ? Soyons sincères, on s'en fout que le labre d'une part existe, d'autre part puisse être appelé vieille. Et vice versa. Enfin non, que la vieille existe je ne m'en fous pas tout à fait vu que la vieille c'est moi, du moins la vieillissante. Entre autres vieillissantes. Entre autres moi aussi, car je ne me réduis pas à ma vieillissitude. Enfin j'essaie.

    Nous pourrions admirer ici le don de Robert pour la poésie surréaliste ou l'art visionnaire boschien (vous pouvez dire aussi belcaniste). Nous pourrions constater l'étrange rapport de cette définition avec l'expression l'alliance de la carpe et du lapin. Mais loin de Robert la pensée (du moins consciente) de surréaliser ou de boschéliser. Quant à évoquer des proverbes ou ce genre de choses il le fait plus souvent qu'à son tour, mais là non. Il nous parle vraiment de ce poisson dont tout le monde se fout. Bref on l'appelle vieille, cedit labre, et ce depuis 1529, paraît-il à cause de sa tête ridée. Notons vieille, pas vieux. En 1529, brusque poussée de misogynie et d'indélicatesse beaufienne ?

     

    Cela dit je me demande tout à coup si je ne dois pas mettre cette définition en relation avec le fait que je n'aime plus le poisson. Un dégoût qui m'est venu récemment. Serait-ce rejet de moi vue tout à coup comme ce fameux labre, vieille chair ridée ? Certes j'ignorais jusqu'ici cette définition, mais pourquoi ne pas supposer la trace, dans mon lexique inconscient qui se serait transmis phylogénétiquement, de ce mot employé par l'un ou l'autre de mes ancêtres, misogyne et indélicat aux alentours de 1529 ? (Comme il peut s'en trouver, je ne vous l'apprends pas, dans les meilleures familles).

     

    Jusqu'ici j'avais interprété ce dégoût nouveau comme une intolérance de mon organisme usé, et par conséquent moins apte au filtrage des poisons que nous ingérons quotidiennement, et qui sont, en ce qui concerne les poissons, nombre de métaux lourds diffusant leurs ions dans les mers fleuves & océans. Mais cette interprétation n'était-elle pas une de ces rationalisations abusives par lesquelles les névrosés dont je me flatte d'être évitent de regarder la réalité en face ? Ce n'est pas exclu. Néanmoins, dans le doute et par principe de précaution on dira « Pour vivre vieux vivons végétariens. »

    Quoique. Avec quelle eau arrose-t-on les légumes ? La meilleure solution pour vivre vieux, et surtout vieux en bonne santé, serait donc de cesser de s'alimenter, telle est la conclusion à laquelle nous devons arriver en bonne logique. Néanmoins il faut également peser la balance bénéfices/risques. Et là on est bien obligé d'admettre que si on veut pas clamser à très brève échéance, il faut continuer à bouffer, fût-ce de la merde. Mais en optimiste indécrottable que je suis, je me dis que je ne serais pas arrivée jusqu'à mon âge si mon organisme n'avait réussi à mettre en œuvre un processus de mithridatisation.

  • Faire le ménage ?

    « Ceux qui, en m'oyant dire mon insuffisance aux occupations du ménage, vont me soufflant aux oreilles que c'est dédain pour avoir (= parce que j'ai) à cœur quelque plus haute science, ils me font mourir. Cela c'est sottise et plutôt bêtise que gloire. Je m'aimerais mieux bon écuyer que bon logicien. » Essais III, 9 (De la vanité)

    Les occupations du ménage dont il s'agit ne consistent pas à passer l'aspirateur, cirer le parquet, décrasser la baignoire, détartrer la cuvette des toilettes et faire la vaisselle. Pour cela Montaigne disposait d'employés de maison et techniciens de surface en suffisance. Il s'agit de la gestion du domaine, du management de l'entreprise « Eyquem et fils ». Il rend à plusieurs reprises hommage aux qualités d'entrepreneurs de son grand père Ramon et surtout de son père Pierre, qui non seulement fera prospérer le domaine agricole, mais aussi travaillera fort habilement à dorer le blason de la famille pour pousser fiston dans les hautes sphères. Ce qui autorisera Michel, le premier de la famille, à être de Montaigne tout court, et non plus Eyquem de Montaigne. Avec un rien de vanité aussi naïve que vergogneuse.

     

    Son regret de l'inaptitude à la gestion n'est pas feint. Incompétence et non mauvaise volonté, dit-il. Si le reproche à ce propos éveille un certain malaise en lui (ambiguïté de la formule qui se veut plaisante ils me font mourir), c'est mortification de n'être pas à la hauteur de ses prédécesseurs. Et aussi une certaine culpabilisation de ne pouvoir payer sa dette à leur égard avec une monnaie de même aloi. D'où la minimisation de son talent propre.

    « Ceux que je vois faire des bons livres sous de méchantes chausses, eussent premièrement fait leurs chausses, s'ils m'eussent cru. Demandez à un Spartiate s'il aime mieux être bon rhétoricien que bon soldat ; non pas moi que bon cuisinier, si je n'avais qui m'en servît. »

     

    1 Montaigne a fait un livre de génie, et en plus sous des chausses plutôt chic : le veinard.

    2 J'aurais dû mieux m'appliquer quand ma mère cherchait à m'apprendre la couture, je pourrais être appréciée pour mon plumage, à défaut de ma plume et de son ramage.

    2 Le ménage c'est aussi les comptes, le budget, le calendrier des prélèvements d'impôt, tout ça. Montaigne explique qu'il laissait la bride sur le cou à ceux à qui il en déléguait la gestion, sans s'illusionner sur le fait qu'ils se servaient un peu au passage, nonobstant un salaire confortable. « Si les autres me pipent, au moins ne me pipe-je pas moi même à m'estimer capable de m'en garder, ni à me ronger la cervelle pour m'en rendre. » (II,8 De l'affection des pères aux enfants)

    3 Au fond ne souffrait-il pas d'une sorte de phobie administrative, comme d'autres ? Sauf que lui c'était à son détriment et non à celui des deniers publics. On comprend pourquoi il n'a pas vraiment réussi en politique.

  • L'art d'être zéro

    Théorème :

     

    La nullité est un art où l'on atteint d'emblée le sommet.

     

    Démonstration en deux points 

     

    Premier point : la nullité est accessible au tout-venant.

    En effet qui dit nul dit zéro. Or dans toute somme on peut inclure zéro sans la modifier. Ainsi quelle que soit votre situation, de la nullité peut s'y inclure immédiatement sans que vous ayez rien de spécial à faire. Et même rien à faire du tout, en fait.

    Deuxième point : la nullité est directement accessible en son sommet.

    En effet zéro beaucoup, zéro peu, zéro rien sont strictement équivalents. Zéro c'est zéro un point c'est tout. Ainsi dès l'instant que vous vous situez à zéro, que ce soit zéro d'en bas ou zéro d'en haut c'est kif kif croyez-moi.

    Par conséquent vous pouvez tout autant considérer que vous êtes au pied qu'au sommet de zéro.

    Conclusion : Alors un peu d'ambition que diable, prétendez au sommet de l'art de la nullité.

     

    Exercice d'application

     

    Soit un écrivain qui envisage de rédiger Les Mémoires d'un raté. A partir de combien de pages blanches pourra-t-il considérer que son livre est réussi ?

     

    N.B.1 On peut faire le même exercice en remplaçant pages blanches par ratures.

    N.B.2 Je sais pas ce qui est mieux, dans rature y a rater, c'est peut être plus adapté. D'un autre côté blanc fait clairement penser à zéro. Enfin je trouve.

    N.B.3 Bon c'est pas grave faites comme vous voulez, de toutes façons vous devinez la note que vous obtiendrez ?

     

    Ah et puis y a encore ça à rajouter au théorème :

     

    Scolie 1

    Quand on relit, après plusieurs mois ou plusieurs années, un écrit dont on n’était pas très content en le terminant, on se dit : ah mais, ce truc n’est pas si mal finalement ! Comme si le temps avait gommé les imperfections.

     

    Scolie 2

    Mais ce que le temps use, je crois bien, ce ne sont pas nos imperfections, ce sont nos exigences.