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Le blog d'Ariane Beth - Page 47

  • 48 nuances d'affects (2) Désir

    « I. Le Désir est l'essence-même de l'homme, en tant qu'on la conçoit déterminée, par suite d'une quelconque affection d'elle-même, à faire quelque chose. »

    (Spinoza Éthique Partie 3. Définition des affects)

     

    Je l'ai déjà dit dans mes autres parcours sur l'Éthique, ce serait une erreur (trop souvent commise) de s'arrêter après « l'essence-même de l'homme ». L'erreur de flouter cette définition, de la rendre abstraite, d'en désamorcer la puissance et l'originalité.

    Le désir selon Spinoza n'est pas un en soi et pour soi (à cet égard le mot essence peut prêter à confusion). Il ne se conçoit qu'en fonction de son résultat, du faire quelque chose auquel il aboutit. Le passage de l'un à l'autre est commandé (déterminé) par l'affect (une quelconque affection de l'essence).

    Le désir est ce qui définit le mieux l'être humain, son essence donc, à condition toutefois de la concevoir non comme quelque chose de posé et défini a priori, mais comme une potentialité qui se construit dans la succession des motions occasionnant son expression.

    Une conception proche de la formule sartrienne « L'existence précède l'essence. »

    Cependant notons que cette conception, au fond simple et claire, ne laisse pas d'impliquer beaucoup de complications concrètes, une fois quitté le ciel pur de la philosophie pour le clair-obscur la vraie vie.

    C'est pourquoi Spinoza assortit sa définition d'une « explication » qui se termine ainsi :

    « J'entends donc ici sous le nom de Désir (cupiditas) tous les efforts, impulsions, appétits et volitions de l'homme (conatus, impetus, appetitus et volitiones), lesquels varient en fonction des variations de l'état d'un même homme, et il n'est pas rare de les voir tellement opposés entre eux que l'homme, tiraillé dans des sens divers, ne sache où se tourner. »

    D'où l'intérêt de regarder de plus près ces affects qui nous tourneboulent en notre essence (bon on s'en remet) et tiraillent nos existences (ce qui, avouons-le, nous perturbe bien davantage).

     

  • 48 nuances d'affects (1) Comme par la main

    Spinoza a conçu son Éthique non comme un traité abstrait, mais comme un manuel pratique, une sorte de guide sur le chemin (qu'il savait escarpé) du bien vivre.

    Une des formules qui le dit le mieux est peut être celle-ci (Introduction de la Partie 2) :

    « J'en viens maintenant à expliquer (…) (les choses) (...) qui peuvent nous conduire comme par la main à la connaissance de l'esprit humain et de sa suprême béatitude. »

    Certes quiconque s'est un tant soit peu plongé dans ce livre a constaté que la main, faut vraiment pas la lâcher, et que le côté pratique y a des moments « il le faut tout », comme disait ma mère.

    Cependant on ne peut nier les efforts de pédagogie déployés par Spinoza, visibles dans la précision des renvois qu'il fait continuellement aux étapes précédentes du parcours.

    Pour tirer vraiment profit de sa pensée, éviter les faux-sens, les contresens, une condition sine qua non : suivre son conseil (voire son injonction) de revenir en arrière chaque fois qu'on perd le fil, de relire encore et encore.

    Mon expérience m'a appris qu'une telle lecture n'est pas de tout repos, qu'elle exige du temps, de la patience, une solide attention. Et qu'il faut accepter les nombreux moments de découragement où l'on se dit décidément je comprends rien, Spinoza c'est pas pour moi voilà.

    Mais si l'on persévère (sans se persécuter non plus hein), on est récompensé par l'accès à une énergie d'intelligence et d'humanité que d'aucuns ont nommée le feu de Spinoza.

    Avec ardeur donc, offrons-nous un moment de pédagogie à la mode spinoziste.

    Spinoza termine son étude des affects (objet de la P3) par un sommaire récapitulatif dans la veine du classique ce qu'il faut retenir, l'encadré de la leçon du jour dans tout manuel scolaire qui se respecte. Il l'intitule tout simplement Définitions des affects.

    Le sommaire est inauguré par la définition du désir et conclu par celle de la lubricité. Preuve s'il en fallait que Spinoza ne manquait ni d'humour ni de suite dans les idées. (Précision pour ceux que la chose pourrait intéresser dans la VO latine désir c'est cupiditas, et lubricité libido).

    Notons encore qu'il n'y a pas moins de 48 définitions dans ce sommaire, preuve s'il en fallait que lorsque Spinoza se penchait sur une question il n'avait pas peur d'y aller à fond.

    Bref j'espère que cette présentation t'aura donné, lecteur-trice, le désir de m'accompagner dans ce parcours, main dans la main avec Spinoza.

     

  • Faites-le vous-même (11/11)

    « Demandez, on vous donnera ; cherchez, vous trouverez ; frappez, l'on vous ouvrira. En effet quiconque demande reçoit, qui cherche trouve, à qui frappe on ouvre. Ou encore, qui d'entre vous, si son fils lui demande du pain, lui donnera une pierre ? Ou s'il lui demande un poisson, lui donnera un serpent ? Si donc vous, qui êtes mauvais, savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus votre père céleste donnera-t-il de bonnes choses à ceux qui le lui demandent. » (Matthieu 7, 7-11)

    Pour saisir l'enjeu de ce texte, il est nécessaire de décoder le choix des exemples.

    L'opposition entre le pain et la pierre renvoie à l'épisode de la tentation de Jésus (Matthieu 4, 1-11). Jésus part au désert avant de se lancer dans sa prise de parole publique. Il jeûne quarante jours et quarante nuits : référence évidente aux quarante ans d'errance du peuple au désert après la sortie d'Égypte. Alors « Le tentateur s'approcha et lui dit : ''Si tu es le fils de Dieu, ordonne que ces pierres deviennent du pain'' ».

    Jésus ne lui lance pas : casse-toi, lâche-moi (même si c'est le but). Sa réponse explicite la référence au Sinaï, avec cette fois le rappel du don de la Torah « Il est écrit : '' ce n'est pas seulement de pain que l'homme vivra, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu ».

    À vrai dire, ça ne cloue pas tout de suite le bec du tentateur, il faut encore deux autres citations répondant à deux autres tentations.

    Mais ça finit par marcher, et la conclusion de l'épisode est très réconfortante : « Alors le diable le laisse, et voici que des anges s'approchèrent, et ils le servaient. » (Mtt 4, 11)

    L'opposition entre le poisson et le serpent se décode facilement pour les premiers lecteurs de Matthieu. Le poisson était un signe de reconnaissance des premiers adeptes chrétiens car le mot en grec, ichtus, correspond à l'acronyme de jésus christ fils de dieu sauveur.

    Quant au serpent, il s'agit bien sûr de celui qui, au jardin d'Éden, embobine Adam et Ève. On connaît la suite : éjection du jardin, entrée dans la rugueuse réalité : travailler pour vivre, enfanter dans la douleur, et à la fin mourir quand même. (cf Genèse 3, 14-24)

    Donner le poisson et non le serpent correspond donc à l'idée du salut apporté (rendu) à l'humanité par Jésus.

    Puis le texte rappelle une fois de plus que ce salut se construit, non par des rites, prières, ou professions de foi, mais par la mise en œuvre d'un bien-vivre entre humains : « Ainsi, tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le vous-mêmes pour eux : c'est là la loi et les prophètes. » (7, 12)

    Enfin, exactement comme les béatitudes se concluaient par l'avertissement du prix à payer pour les incarner (cf précédent parcours 9/9), le chapitre 7 finit sur la difficulté d'accomplir les conseils de Jésus, en l'imageant par deux métaphores.

    « Entrez par la porte étroite. Large est la porte et spacieux le chemin qui mène à la perdition, et nombreux ceux qui s'y engagent : combien étroite est est la porte, et resserré le chemin qui mène à la vie, et peu nombreux ceux qui le trouvent. » (13-14)

    « Tout homme qui entend les paroles que je viens de dire et les met en pratique peut être comparé à un homme avisé qui a bâti sa maison sur le roc. » Elle résiste à la tempête et à l'inondation. Mais « tout homme qui entend les paroles que je viens de dire et ne les met pas en pratique peut être comparé à un homme insensé qui a bâti sa maison sur le sable. » (24-27)

    Par exemple oui c'est sympa, la petite paillote sur la plage (quoique pas toujours légal, mais c'est une autre histoire), mais faut compter avec les aléas du changement climatique ...