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Le blog d'Ariane Beth - Page 46

  • 48 nuances d'affects (5) Contemptus

    « V. La Mésestime (contemptus) est l'imagination d'une chose qui touche si peu l'Esprit que l'Esprit, sous l'effet de la présence de la chose, est plus porté à imaginer ce qui ne se trouve pas dans la chose que ce qui s'y trouve. »

    (Spinoza Éthique Partie 3. Définition des affects)

     

    En clair l'esprit regarde ailleurs, la chose en question il ne la « calcule pas », c'est un truc dont il n'y pas grand cas à faire. C'est bien le sens du mot latin contemptus.

    Mais à mon humble avis la traduction* mésestime d'une part sonne un peu vieillot, d'autre part renforce un peu trop la connotation morale.

    En français, estimer peut s'entendre à la fois au sens matériel (l'agent immobilier Max Arnaque réalise l'estimation de votre maison) et au sens moral (je ne l'estime pas trop, ce Monsieur Arnaque).

    Mésestime ne garde que le sens moral. Cela dit, je n'ai pas vraiment mieux à proposer, peut être « négligence » ?

    En tous cas Spinoza renvoie pour la compréhension d'un tel affect à la proposition 52 Partie 3 :

    « Un objet que nous avons déjà vu en même temps que d'autres, ou bien que nous n'imaginons n'avoir rien qui ne soit commun à plusieurs, nous ne le contemplerons pas aussi longtemps que celui que nous imaginons avoir quelque chose de singulier. »

    Traduction : « Circulez, y a rien de spécial à voir. »

    Et c'est là que je réalise la valeur philosophique du surf sur internet, du zapping à la télé, qui consiste à me faire expérimenter le contemptus spinoziste.

     

    *Au fait, je n'ai pas encore précisé que j'utilise l'édition bilingue présentée et traduite par Bernard Pautrat (Seuil éd revue et corrigée 2010)

     

  • 48 nuances d'affects (4) Admiration

    « IV. L'Admiration est l'imagination d'une chose en quoi l'Esprit reste fixé parce que cette imagination singulière n'est aucunement enchaînée aux autres. »

    (Spinoza Éthique Partie 3. Définition des affects)

     

    Ce n'est pas ainsi que tu aurais défini l'admiration, n'est-ce pas, lecteur-trice ? Moi non plus. Mais c'est ça qui me plaît dans la lecture de Spinoza. J'ai l'impression qu'il me dit : faut reset ton logiciel*, ma vieille, si tu veux capter quelque chose à ce que je te raconte là. Et en fait j'aime bien, je prends ça comme un jeu.

    Élément nécessaire à la réinitialisation mentale, la définition des mots. Je précise donc ici que par imagination s'entend le fait d'avoir l'image mentale de quelque chose.

    Quant à la notion d'enchaînement, elle renvoie au déterminisme, une des fondations de la pensée spinoziste. Ce que, toujours pédagogue, il reprécise dans l'explication qui suit :

    « La cause qui fait que l'Esprit, de la contemplation d'une chose tombe aussitôt dans la pensée d'une autre, c'est que les images de ces choses sont enchaînées les unes aux autres et disposées dans un ordre tel que l'une suit l'autre** (...) »

    Et précisément, continue-t-il dans l'explication, la particularité de l'admiration est d'être « distraction de l'Esprit ». Autrement dit elle extrait l'image de la chaîne qui se déroule. Oui mais comment peut se produire un tel arrêt sur image ?

    « Cette distraction de l'Esprit ne naît d'aucune cause positive qui distrairait l'Esprit des autres choses, mais seulement de ce que manque la cause (qui déterminerait) à penser à d'autres choses. »

    Pas très simple. Ce que je comprends : le fait que manque la cause (temporairement bien sûr, ce peut être un moment très bref, car échapper à la mécanique déterministe est impossible par définition), dégage en nous comme un espace libre.

    Par conséquent, si l'admiration fait tant de bien (c'est mon expérience en tous cas), c'est qu'elle offre une sensation de suspens, de relâche, d'extase.

    Une sensation de pure joie venue d'une « chose » qui peut être une œuvre d'art, un acte de bonté, de belle humanité, toutes les splendeurs de la nature, sans oublier l'intelligence rayonnante de Spinoza ...

     

     

    *« Mon dessein n'est pas d'expliquer le sens des mots mais la nature des choses, et de désigner celles-ci par des vocables dont le sens usuel ne soit pas complètement incompatible avec le sens que je veux leur donner dans mon usage, que cela soit dit une fois pour toutes. » (Partie 3, explication après la définition 20)

    **Freudien, non ? C'est sur ce principe en effet que ce bon vieux Sigmund propose la « libre association des pensées » pour parvenir, en remontant la chaîne, à repérer les nœuds névrotiques.

     

  • 48 nuances d'affects (3) Le binôme J/T

    Alors non, il ne s'agit pas du binôme paritaire (un homme et une femme) qui présente les infos sur les chaînes en continu dans un dialogue du genre :

    « Une femme : Alors Machin, cette guerre ( catastrophe répression épidémie etc.) ça boume ?

    Un homme : Oui Machine, on peut le dire, ça boume d'enfer.

    Un homme et une femme ensemble : Que de dégâts chabadabada chabadabada, que de tristesse et manque de joie chabadabada »

     

    « II. La Joie (laetitia) est le passage de l'homme d'une moindre perfection à une plus grande.

    III. La Tristesse (tristitia) est le passage de l'homme d'une plus grande perfection à une moindre. »

    (Spinoza Éthique Partie 3. Définition des affects)

     

    Ce binôme fonctionne selon le principe des vases communicants, dans lesquels circulerait en fait de « liquide » une perfectionOK on veut bien. Mais reste une question : perfection, ça veut dire quoi pour Spinoza au juste ?

    Réponse dans la préface de la Partie 4 d'Éthique (De la servitude humaine, autrement dit des forces des affects). Je renvoie le lecteur à l'ensemble de cette préface qui est un texte-clé du livre, presque sa synthèse. J'en extrais seulement ceci :

    « Les hommes prirent l'habitude d'appeler parfaites ou imparfaites les choses naturelles plutôt par préjugé que par vraie connaissance des choses »

    Pré-jugé = correspondant à une idée préconçue, et ne résultant pas de l'observation du réel (ce qu'il désigne ici par vraie connaissance des choses).

    « Nous avons en effet montré, dans l'Appendice de la première partie*, que la Nature n'agit pas en vue d'une fin : car cet Étant éternel et infini que nous appelons Dieu, autrement dit la Nature, agit avec la même nécessité par laquelle il existe. »

    Formule encore plus radicalement non-idéaliste que l'existence précède l'essence (cf 2)

    « Et c'est pour cette raison que j'ai dit plus haut (définition 6 partie 2) que quant à moi, par réalité et par perfection j'entends la même chose. »

    Entendons avec lui le sens premier de parfait, du latin per-fectus = accompli, fait jusqu'au bout. La réalité est nécessairement parfaite parce qu'elle consiste dans l'ensemble de tout l'existant (dans le temps et l'espace, et sous toutes les modalités possibles).

    Ainsi je m'en vais reformuler à ma façon les définitions de départ (ce n'est pas Spinoza qui me le reprochera, hein, là où il est).

    Joie : mouvement d'épanouissement qui augmente la surface d'adhésion à ce qui existe, renforce la présence au monde. Et par conséquent le possible effet sur lui. (C'est pourquoi Spinoza identifie dans d'autres passages la joie à la puissance).

    Tristesse : mouvement inverse de repli, d'absence au monde, dé-fection.

     

    *Autre texte-clé. On peut je pense, se faire une idée assez précise de l'ensemble du livre en lisant (intégralement quand même) l'appendice P1 et la préface P4. Ce peut être une bonne introduction.