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Le blog d'Ariane Beth - Page 490

  • B.attitude (8) Version arc-en-ciel

     

    Spinoza fut accusé d'athéisme par certains en son temps, s'en défendit, ce qui en déçut d'autres en son temps et après. Alors athée or not athée, est-ce la question ? Une chose est sûre, il est a-religieux. Les religions, avec leurs rites, leur puérile représentation anthropomorphique des dieux, il les nomme sans états d'âme superstitions. Elles sont pour lui filles de l'illusion finaliste, qui cherche stupidement (ou perversement) un au-delà à la réalité substantielle, un alibi à la réalité/vérité. La seule chose qu'il en sauve est, précisément, l'éthique concrète, on le verra à propos de la question des affects.

    (Cela fait penser à la superstructure de la philosophie marxiste, qui se met en place pour dénier le fonctionnement réel de l'infrastructure, et au Freud de l'Avenir d'une illusion bien sûr).

     

    Est-il pour autant déiste ? Son déterminisme pourrait le rapprocher de la formulation horlogère de Voltaire.

    Sa vision intégrative et « énergétique » évoque les versions orientales de la question, bouddhiste, hindouiste.

    Son Deus sive Natura a fait parler de panthéisme. Mais le panthéisme n'est jamais qu'un finalisme comme les autres. En outre ici la nature dont il s'agit, même si elle les inclut, n'est pas à identifier aux choses de la nature, les fleurs les petits oiseaux les étoiles ou les graminées, ni même les cellules les atomes et les quarks. Le terme désigne aussi bien le fonctionnement lui-même, les lois naturelles, les lois physiques de la matière.

    Il convient par ailleurs de ne pas oublier que Spinoza a été formé par un rabbin à la lecture approfondie de la Bible et du Talmud, et qu'il a consacré le Traité théologico-politique à expliquer comment il comprenait cette tradition et où il la situait dans son système.

     

    Mais le mieux est encore, pour citer à nouveau B. Pautrat, de ne pas le réinscrire de force dans des traditions auxquelles il échappe singulièrement.

    Pour ma part en effet je ne vois pas comment l'assigner à l'alternative binaire athée/non athée dont précisément, comme d'autres alternatives binaires (en particulier liberté/déterminisme), il fait apparaître l'insignifiance. C'est peut être que je suis plus à l'aise avec les juxtapositions paradoxales qu'avec la logique exclusive du principe de contradiction, mais j'y peux rien c'est mon conatus. Et puis tout simplement pour être athée ou croyant il faut être métaphysicien. Or il ne l'est pas.

     

    En tous cas il me semble que dans la version horlogère, le Dieu de Spinoza ne serait pas l'horloger avec ses plans et ses intentions d'horlogerie. Il serait dans l'horloge, les aiguilles, le cadran, le temps et ses équations de mesure, le mouvement du balancier, le ding dong, sans oublier la personne qui passe par là, qui entend, voit et se dit : tiens il est midi c'est pour ça que j'ai faim etc.

    Par ailleurs il a trop de passion et de sens politique pour être réductible à des envies de nirvana. Sans compter que dans son système uni-substantiel les transmigrations d'âme ou réincarnations sont littéralement inconcevables.

    Quant aux leçons du rabbin, elles sont l'occasion de se souvenir que Spinoza fut l'initiateur de la critique biblique historique et philologique moderne. C'est entre autres son propos dans le Traité théologico-politique. Toujours le même mouvement d'arrimage à l'immanence. Pour ma part (toutes choses égales par ailleurs !) je lis aussi l'immanence dans les textes bibliques. Il me semble même que c'est leur objet. C'est une autre histoire, mais j'en profite tout de même pour vous citer ce subtil paradoxe dû à la plume du non moins subtil Paul Auster (dans Brooklyn folies) :

    Tous les Juifs sont athées, sauf ceux qui ne le sont pas.

     

    A côté de cette question abstraite, il y a ce qu'on ressent en lisant l'Ethique. Sa séduction si particulière tient pour moi à ce paradoxe : la sobriété austère du raisonnement laisse percer continûment un je ne sais quoi de radieux, d'incandescent, d'énergisant. Un livre radioactif, en quelque sorte, mais sans le casse-tête des déchets, le risque de catastrophe, la confiscation des choix démocratiques … Que du bonheur.

     

    Spinoza est ainsi un homme des Lumières inclassable, dérangeant peut être. Pour lui comme le fait remarquer Deleuze (voir la note où il est cité) pas de contradiction entre le soleil de la raison qui fait la lucidité, et ce qu'on pourrait nommer illumination intime, physique et psychique à la fois.

    Certes illumination je reconnais ça peut craindre, tant c'est un mot producteur d'obscurantisme.

    Ce côté illuminé rend par exemple l'Ethique passible d'élucubrations new age floues et fourre-tout, j'ai vu ça dans des bouquins. Mettons que ça ne cause pas grand dommage, mais quelle injustice pour la fée Mathématique !

    Sans compter le risque de négligence des enjeux sociaux du livre, comme sa lucidité aiguë quoique distanciée dans l'analyse des conflits psychologiques et politiques, digne inspiratrice, encore, de Freud et de Marx.

     

    Cette alliance étonnante entre lucidité et illumination tient sans doute à un double fonctionnement intellectuel chez Spinoza.

    Il est porté sur l'analytique, obsessionellement presque. Par exemple dans l'époustouflante combinatoire des paramètres déterminant les affects dans la partie 3. Mais en même temps il fonctionne selon une « vision » synthétique et multidimensionnelle. A la fois les nuances de couleur dépliées en extension dans l'arc-en ciel, et la lumière blanche, lumière intensive qu'on ne voit pas mais qui fait voir.

    Deux qualités rarement réunies à un tel degré, sauf génie naturellement. En fait Spinoza philosophe comme Bach cantate ou Einstein équationne, avec le même logiciel harmonique.

    Un rationaliste-mystique ? Les mots sont piégés. Il en faudrait peut être un inédit. Pour moi il est un homme des Lumières version arc-en ciel.

    A suivre.

  • B.attitude (7) Sive natura

     

    Résumé de l'épisode précédent.

    Tout baigne. Nos héros sont prêts au décollage. La check list est au point. Substance, attribut, chose finie (ou pas), éternité, tout est OK. (Ou pas, mais tant pis on va faire comme si).

     

    Par Dieu, j'entends un étant (ens) absolument infini, c'est à dire une substance consistant en une infinité d'attributs dont chacun exprime une essence éternelle et infinie. (Partie 1 définition 6)

     

    Ens : participe présent du verbe être. Pour comprendre l'enjeu de ce mot, substituons-lui une variante, la forme de l'infinitif. Dieu est un être absolument infini. Qu'est-ce que ça change ? L'infinitif porte surtout la charge sémantique, il fait valoir le sens avant tout, et permet d'opposer ce sens à sa négation. Il est lisible en binaire : être/ne pas être.

    Le participe présent considère le procès de l'action, autrement dit envisage le tracé, ou plutôt le traçage d'une figure représentant la fonction être. Figure qui se trace au fur et à mesure dans la succession des points correspondant à chaque valeur prise par la fonction.

    Avec son tracé absolument infini, la figure étant couvre une infinité de réalisé et réalisable, d'actuel et potentiel. Dieu désigne ainsi la fonction et sa figure intégrale. La fonction et son résultat, son application en chaque point précis de la figure. C'est dit autrement ailleurs : Dieu est nature naturante et nature naturée (scolie prop 29 partie 1).

     

    La définition de Spinoza consiste ainsi à apposer sur toute chose précise de l'espace/temps le logo garanti 100% Dieu. Comme on dirait d'un tissu.

    Chaque manière ou mode (pour en dire un mot)est la forme que prend le tissu selon un patron déterminé. Robe, veste, etc. selon une multitude de formes possibles, de modèles, mais c'est toujours le même tissu, la même « essence ».

     

    Ainsi tout le réel est garanti avoir pour consistance une unique substance.

    Tout ce qui est, est en Dieu, et rien ne se peut sans Dieu ni être ni se concevoir. (15)

     

    Dans le scolie qui suit, il précise.

    Cela, tous ceux qui auront su faire la distinction entre l'imagination et l'intellect le trouveront assez manifeste, surtout si l'on prête attention également à ceci, que la matière est partout la même, et qu'on n'y distingue de parties qu'à la condition de la concevoir, en tant que matière, affectée de diverses manières, si bien que ses parties ne se distinguent que par la manière, et non en réalité.

     

    Remarque 1

    La distinction entre l'imagination et l'intellect : son grand dada, on l'a déjà dit. Et c'est vrai qu'ici, c'est un peu comme pour la physique post Einstein : on est obligé de modifier nos paradigmes, de changer nos représentations. C'est pourquoi Spinoza prend l'option la plus simple, dérouler la stricte implication « géométrique » des mots étant et infini. De façon à invalider les préjugés ou projections qui peuvent distordre la réalité. La réalité, son mot chéri qui clôt ce scolie : l'ensemble des choses, là, comme ça « pour de vrai » et non dans la représentation imaginaire, inévitable mais toujours inadéquate.

    (Adéquat/inadéquat : mots clefs sur lesquels on reviendra).

     

    Remarque 2

    Cette impossibilité de distinguer les choses par leur substance (puisqu'elles sont toutes participantes de la seule qui existe) a pour conséquence un caractère essentiel du système de Spinoza : tout se joue dans la relativité des interactions et des positions des choses, dans leur rapport. Mais bon à voir plus tard. (N'empêche, c'est là où on voit combien c'est difficile d'aborder les choses par petits morceaux, tellement tout est lié).

     

    Deux propositions raccordent au déterminisme. Dieu obéit aussi à sa propre fonction. Il y a une programmation, un chiffrage qui lui sont consubstantiels. Un chiffrage qui est en fait la vie.

    A la nature de substance appartient d'exister. (7)

    Les choses n'ont pu être produites par Dieu d'aucune autre manière, ni dans aucun autre ordre, qu'elles ne sont produites. (33)

     

    Tout ceci se synthétise dans une célèbre formulation-clé de l'Ethique :

    Nous avons en effet montré, dans l'Appendice de la Première Partie, que la Nature n'agit pas en vue d'une fin ; carcet Etant éternel et infini que nous appelons Dieu, autrement dit la Nature, agit avec la même nécessité par laquelle il existe. (…) et c'est pour cette raison que j'ai dit plus haut que quant à moi, par réalité et par perfection, j'entends la même chose. (Préface Part 4)

     

    Sur le logo apposable sur toutes choses, garanti 100% Dieu, il convient donc de rajouter qualité parfaite. (On reviendra sur le mot perfection, piège à … fantasmes).

     

    Pour finir je vous livre le doublequoique qui me saisit tout à coup. En latin pas de déterminant per deum intelligo ens infinitum. Mais en français, qu'est-ce qui est plus adéquat, l'étant ou un étant ? Curieusement (les mots sont joueurs) je me demande si l'article défini ne rend pas mieux compte du triple caractère du tissu/substance : unicité indéfinité (ça se dit?) immanence ...

    Sans grande importance à vrai dire, mais bon on a bien mérité une récré.

     

    A suivre.

  • B.attitude (6) Elle est retrouvée

     

    Résumé de la situation

    Malgré les efforts de clarté de notre héros, sa lectrice, moins héroïque et moins claire, a abandonné non sans désinvolture ses propres lecteurs en tête à tête option prise de tête avec quatre définitions et une réflexion. Combien d'insomnies ont été ainsi provoquées ? Combien de boulimies affectives ? Mais haut les cœurs ! Dans ce nouvel épisode, la lectrice n'aura même plus peur. Et la voici aux prises avec les épineux concepts, direct et à mains nues.

    (Après tout ils sont moins effrayants qu'un chien, par exemple. D'ailleurs à sa connaissance la phobie des concepts ça n'existe pas).

     

    Prenons d'abord substance, le machin qui n'a pas besoin du concept d'autre chose. Il est logique de le regarder en premier parce que c'est le concept auto-suffisant du lot, celui qui tient tout seul.

    C'est donc à partir de ce concept, boucle d'arrimage, nouage du fil, que l'on pourra envisager de se lancer dans le tissage d'un vêtement solide et si possible seyant. (Ceci est une métaphore filée ou je ne m'y connais pas. Mais c'est la faute à l'abbé Attitude qui m'a dit : faudrait imager un peu. Alors j'image).

     

    Pour Spin Dieu est donc cela, une substance. Un concept qui tient tout seul. Sans qu'il faille l'étayer de tenants et aboutissants. Ce qui évacue la question métaphysique, avec une certaine élégance il faut bien le dire. Avec un Dieu substance, la métaphysique n'a littéralement plus lieu d'être. Ou, pour le dire autrement, il n'y a rien que de l'immanence.

    Dieu est de toutes choses cause immanente et non transitive (causa immanens non vero transiens). (Prop.18)

     

     

    Mais il y a un souci avec la substance. On peut en avoir une interprétation « océanique », en faire un concept qui noie le poisson. Une interprétation crépusculaire où tous les chats sont gris. Et alors franchement substance ou pas substance, et du coup rien ou quelque chose c'est kif kif. Or l'expérience prouve que non, être ou pas être c'est pas kif kif, comme l'a bien vu Hamlet.

    D'où les concepts de défloutage que sont l'attribut et la manière (ou mode). Ils permettent de voir comment les choses s'expliquent, se déplient. La forme du poisson et la couleur du chat. (Cela dit, la manière on laisse tomber, le mot n'étant pas dans la déf 6. Faut être efficace, sinon on n'est pas rendu).

     

    L'attribut = ce que l'intellect perçoit d'une substance comme constituant son essence. Ah tiens (se dit l'intellect) lui c'est un attribut trucmuchien, car je vois et je reconnais, je perçois le logo 100% trucmuchie. C'est donc la garantie que j'ai affaire à l'essence trucmuchienne où je m'y connais pas.

    Autrement dit, l'attribut permet une bonne traçabilité de la substance.

     

    Quant à la chose finie, une chose qui peut être bornée par une autre de même nature = on roule pépère dans sa petite auto, à un moment on passe une borne où est écrit par exemple Tarn. Alors on sait que le département Aude est « fini », puisque là est sa limite commune avec le département Tarn.

    En parallèle, après la pensée « tiens l'Aude finit ici, maintenant on est dans le Tarn », viendra mettons «Tarn chef-lieu Albi » qui amènera immanquablement « Qu'est-ce que j'ai aimé le musée Toulouse-Lautrec » , phrase qu'il est impossible de trouver écrite sur la borne à la place de Tarn, même si vous la pensez très fort. De la même façon inversement si vous n'avez rien pensé du tout ou si vous dormiez, la borne était là quand même. Un corps n'est pas borné par une pensée ni une pensée par un corps.

     

    La définition de l'éternité ne se comprend que si on prend garde à ne pas se laisser bêtement enfermer dans le fameux piège finaliste. C'est pourquoi, toujours aussi prévenant, Spin précise dans l'explication qui suit : elle ne peut s'expliquer par la durée et le temps, quand même on concevrait la durée sans commencement ni fin.

    L'éternité n'est donc pas un temps sans bornes, elle est dans le caractère non-bornable du temps. Insignifiance encore du concept de transcendance.

    Il n'y a que l'immanence, et l'éternité est l'existence-même (ipsa) : oui, tout simplement en tant que considérée dans son caractère non-bornable, suivant nécessairement de la seule définition d'une chose éternelle.

     

    C'est pourquoi s'il n'est pas facile de comprendre le concept, nous en faisons pourtant facilement l'expérience dans la vie la vraie la seule. Comme dit Rimbaud, l'éternité est ce qui, dans ce qui se trouve là, est retrouvé. Cette évidence de faire corps avec ce qui est là. J'ai embrassé l'aube d'été.

    Elle est retrouvée ! - Quoi? - L'éternité ! C'est la mer allée avec le soleil.

    Et là, y a d'la joie.

     

    Bon, on a maintenant toutes les cartes en main pour revenir à the définition.

    La prochaine fois. Faudrait pas risquer la nausée conceptuelle.

     

    A suivre.