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Le blog d'Ariane Beth - Page 492

  • B.attitude (3) Adhérer au M.L.M.

     

     

    Voici comment Spinoza présente le plan de son livre.

     

    Ethique démontrée selon l'ordre géométrique et divisée en cinq parties dans lesquelles il s'agit

    1 de Dieu

    2 de la nature et l'origine de l'Esprit

    3 de l'origine et la nature des Affects

    4 de la Servitude humaine, autrement dit des Forces des Affects

    5 de la Puissance de l'Intellect, autrement dit de la Liberté humaine.

     

    Plan organisé sur deux couples de forces antagonistes, affects/intellect et servitude/liberté. La B. attitude se construit comme la résultante de ces forces en tension. La vie dans le bien être a pour condition la liberté. Mais, semblable au caminar caminando de Machado,la liberté est le mouvement de se libérer.

     

    Précision sémantique pour intellect. Spinoza utilise le mot latin intellectus, substantif formé sur le verbe intellegere. Intellegere = inter legere = prélever des éléments dans un ensemble. Il s'agit d'une faculté de discernement. Se repérer dans le foisonnement contradictoire du réel, trouver des paramètres de classement pour les perceptions, pensées, sentiments.

     

    Le bon outil pour l'intellect est l'ordre géométrique. Pourquoi ? Parce qu'il met de côté les affects. Et donc les désirs qu'ils provoquent. Ainsi choisir l'ordre géométrique c'est observer la réalité sans aucun préjugé, au lieu de prendre ses désirs pour la réalité. Ordre géométrique : garde-fou anti fantasmes.

     

    L'explication est donnée dans l'Appendice de la 1° partie.

    Spinoza y déroule le lien logique entre le préjugé finaliste de l'homme et sa projection anthropomorphique dans des figures transcendantes.

     

    Tous les préjugés que j'entreprends de dénoncer ici dépendent de cela seul que les hommes supposent communément que toutes les choses naturelles agissent comme eux en vue d'une fin, et vont même jusqu'à tenir pour certain que Dieu lui-même règle tout en vue d'une certaine fin précise (ils disent en effet que Dieu a tout fait en vue de l'homme, et a fait l'homme pour qu'il l'honore) …

    L'ennui, et les hommes l'ont vite vu, c'est qu'il y a comme un loup : nombre d'incommodités, telles que tempêtes, tremblements de terre, maladies etc., c'est à dire une malfaisance naturelle pour laquelle les dieux, dans une logique finaliste, n'ont pas d'alibi.

    D'où l'idée des dieux style pères fouettards, option sévères-mais-justes : le mal est la punition pour les péchés commis contre leur culte. En somme, le mal, c'est leur droit, parce qu'ils le valent bien.

     

    L'ennui, et les hommes ont fini par le voir, c'est que mal et malheur frappent sans discrimination, commodités et incommodités arrivent indistinctement aux pieux et aux impies. Et la justice alors ? Damned que faire ?

    Facile, les hommes trouvent le truc pour sauvegarder leur préjugé finaliste : la transcendance. D'où vint qu'ils tinrent pour certain que les jugements des Dieux échappent de très loin à la prise des hommes.

    Et là on était mal barré : et cela seul eût suffi à faire que la vérité demeurât pour l'éternité cachée au genre humain ...

    Mais heureusement

    s'il n'y avait eu la Mathématique, laquelle s'occupe non des fins mais seulement des essences et propriétés des figures, pour présenter aux hommes une autre norme de la vérité.

     

    Ouf. On revient de loin. On dit merci qui ?

    Merci Mathématique. La Mathématique que Spinoza présente ici comme une bonne fée. Malgré la majuscule, elle n'est pas La Substantifique Vérité, mais le moyen pratique d'un déplacement de point de vue sur la vérité. Elle permet la sortie d'un ordre absolu, totalitaire parce que finaliste. La question de la vérité devient en pratique celle de la vérification. Le pourquoi est délaissé au profit du comment. Là on tient le « bon bout de la raison », comme dirait Rouletabille.

     

    Et outre la Mathématique on peut encore assigner d'autres causes (qu'il est superflu d'énumérer ici)** qui ont pu faire que les hommes ouvrissent les yeux. Que la lucidité soit. L'adjectif que Spinoza accole régulièrement au mot connaissance est claire. Réflexe de fabricant de lentilles et de théoricien de l'optique.

    Si quelqu'un est un homme des Lumières, c'est bien lui.

     

    ** Exemple-type d'humour spinoziste.

     

    A suivre

     

     

     

     

  • B.attitude (2) Sans commentaire. Ou presque.

     

    Direct-nu oblige, d'abord un premier contact avec le texte tel qu'en lui-même. Voici un bref parcours de citations faisant écho au résumé tenté la dernière fois. Je réfère çà et là au latin dans lequel le texte est écrit, pour aider à peser certains mots. Et à s'interroger sur leur sens.

    Car Spin précise Mon dessein n'est pas d'expliquer le sens des mots mais la nature des choses, et de désigner celles-ci par des vocables dont le sens usuel ne soit pas complètement incompatible avec le sens que je veux leur donner dans mon usage, que cela soit dit une fois pour toutes. (Partie 3, explication après la définition 20 – Indignation)

    Chef oui Chef. Petite semonce qui implique aussi, à son revers, une implicite autorisation à explorer dans la lecture tout le pas complètement incompatible. Je le prends ainsi. Quant à l'astérisque, elle signale une (très légère) reformulation de la traduction de B. Pautrat. De toutes façons il s'en fout, vu qu'il ne lira pas ce blog. Quand bien même, il ne m'en voudrait pas, j'en suis sûre.

     

    Je l'ai remarqué, les gens qui sont au milieu de Spinoza (comme dit Deleuze dans une superbe formule) sont souples et tolérants. Imprégnation, sans doute. Ainsi les platoniciens sont souvent bavards, les nietzschéens parfois un peu marteau, les kantiens régulièrement névrosés obsessionnels limite psycho-rigides, les existentialistes dépressifs-résilients, les épicuriens écolos, les cyniques mordants etc.

    Toutes raisons pour lire (outre tout cela si on veut) encore et toujours Montaigne, parce qu'avec lui on est soi. Bref.

     

    Chaque chose, *dans toute la mesure de son possible, s'efforce de persévérer dans son être.

    (Unaquaeque res, quantum in se est, in suo esse perseverare conatur)

    (Partie 3, proposition 6)

    Le verbe conari (assonance drôle et bienvenue, source d'hilarité, un bel affect on verra ça plus loin) signifie : faire des essais pour, s'efforcer de.

    Chaque chose/res : chaque et n'importe quel élément de réalité, qu'il soit simple ou composé, concret ou pas. Molécule, pensée, sentiment, animal, végétal, sociétés etc. etc.

     

    Le Désir (cupiditas) est l'essence-même de l'homme en tant qu'on la conçoit déterminée, par suite d'une quelconque affection d'elle-même, à faire quelque chose. (NB : affection de = influence, effet d'un affect sur)

    (Partie 3, définition des affects, définition 1)

    Essence volatile qui se condense ponctuellement dans un acte.

     

    Agir absolument par vertu (virtute) n'est en nous rien d'autre qu'agir, vivre, conserver son être (trois façons de dire la même chose) sous la conduite de la raison, et ce d'après le fondement qui consiste à rechercher son propre utile. (Partie 4, proposition 24)

    Vertu comme force d'une « raison d'être » concrète.

     

    Par Vaillancej'entends le Désir par lequel chacun s'efforce de conserver son être sous la seule dictée de la raison. Et par Générosité j'entends le désir par lequel chacun, sous la seule dictée de la raison, s'efforce d'aider les autres hommes et de se les lier d'amitié.

    (Partie 3, scolie de la proposition 59)

    Vaillance traduit animositas (mot qui vient de animus) = l'aspect individuel, personnel, de l'énergie à être qui on est.

    Générosité traduit generositas (mot qui vient de genus) = l'énergie de liaison (au sens chimique) à nos congénères du genre humain.

    Deux mots, à mon humble avis, qui dialectisent toute la politique. (On en reparlera).

     

    En tant qu'ils sont *ballottés par les affects qui sont des passions, les hommes peuvent être contraires les uns aux autres. (Quatenus homines affectibus, qui passiones sunt, conflictantur, possunt invicem esse contrarii).

     

    C'est en tant seulement qu'ils vivent sous la conduite de la raison que les hommes nécessairement *se conviennent : c'est leur nature.(Quatenus homines ex ductu rationis vivunt, eatenus tantum natura semper necessario conveniunt)

    (Partie 4, propositions 34-35) Explicitant la précédente.

     

    Voilà, lisez bien. Et si vous avez un peu de temps et de désir qui vous détermine à le faire, faites part de vos commentaires et réactions.

     

    A suivre.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • B(aruch) attitude (1) Direct nu ?

     

    Chose promise, chose due, je me sens obligée de reprendre la question posée naguère par l'Abbé Attitude, s'il vous en souvient, assidus lecteurs de ce blog. Sachant que d'après Spinoza la béatitude est la cause qui nous fait agir vertueusement, l'Abbé demande : Pour la béatitude on fait comment ?

    Je commence par résumer grossièrement le propos de l'Ethique. En sachant qu'il vaudrait mieux ne pas le faire, mais je ne sais vraiment pas comment faire autrement pour donner une petite idée de quoi on va parler.

     

    Résumé : L'être humain fait le bien en se faisant du bien, et vice versa (si l'on peut dire). Mais voir « clairement et complètement » ce qui fait du bien n'est pas facile, car certains affects tendent à opacifier notre perception de la réalité physique, psychique, sociale. Il s'agit donc de libérer la clairvoyance et la puissance de la raison. Elle ira nécessairement dans le sens de notre bonheur car elle est homogène à l'énergie de la vie sensible aussi dans nos corps et dans la nature. Laquelle vie, à la fois fonction et ensemble des valeurs qu'elle prend/a pris/prendra, sans aucun « trou », ni dans le temps ni dans l'espace (déterminisme absolu du système spinoziste) peut être nommée « Dieu ou la nature ».

     

    Oui je sais ce n'est pas très clair, pour le coup. Et c'est un comble car en fait je trouve que ce livre n'est pas si difficile à comprendre, malgré sa réputation d'illisibilité. Elle vient je pense du fait de sa forme mathématique qui en rebute plus d'un. Mais Spin dit bien qu'il suffit de revenir en arrière quand on n'a pas compris, car en math pas de surprise, il y a toujours le pont entre deux rives, il suffit de le retrouver. Disons que c'est un livre pour gens très rapides d'esprit, ou alors pas pressés. Et moi il se trouve que j'ai du temps. Temps que je mets dans ce blog à votre disposition, petits veinards, pour vous amener du côté de chez Spin.

     

    Donc livre simple, presque naïf dans son propos. Mais difficile à mettre en actes, là est le hic de l'Ethique.C'est pourquoi sans doute on se dit que c'est abscons, pour n'avoir pas à « l'essayer », comme dirait qui vous savez. C'est un peu comme la justice devant l'impôt ou la moralisation de la vie politique. Si évident qu'on dit : mais non, ce n'est pas si simple, c'est plus compliqué que ça, voyons !

     

    Je m'inclus dans ce « on », ça va de soi. Bonne raison pour ruminer ce livre, avec l'espoir d'en sortir, comme dit Lacan de l'analyse, « un peu moins con ». Et surtout un peu plus cool, un peu plus proche de la fameuse béatitude cause de tout ce bavardage.

     

    A propos de coolitude, on va y aller à petites doses. Car comme dit Bernard Pautrat dans la version que j'utilise (bilingue latin-français chez Points Seuil 2010 dernière révision). J'ai voulufavoriser la rencontre directe et nue entre cette mathématique et son lecteur, sans interposer le moindre commentaire philosophique qui la réinscrive de force dans une tradition à laquelle, en son essence, elle échappe singulièrement.

    Merci à lui de nous éviter la nausée devant un texte indigeste, bourré de notes et renvois. Et comme mes propres notions philosophiques sont suffisamment insuffisantes pour me dispenser de réinscrire avec pertinence l'Ethique où que ce soit, je suis également à fond pour le direct nu.

     

    A suivre.