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Le blog d'Ariane Beth - Page 491

  • B.attitude (5) La part de Dieu, les paramètres

     

     

    Résumé des épisodes précédents.

    Notre héros, mû par son conatus singulièrement altruiste, a décidé de tendre la main à ses congénères pour leur fournir le mode d'emploi du bonheur de vivre. Il s'inscrit ainsi dans une démarche radicalement humaniste.

     

    Humanisme, humanisme, je veux bien, dira-t-on, mais il y a du Dieu dans l'Ethique, oui ou non ? Il y a du Dieu et d'une certaine manière il n'y a que ça, d'où tout découle d'une infinité de manières. Où quand comment pourquoi ? Et comment ça s'articule avec la descente en flammes de la religion ? C'est ce qu'on va comprendre dans les prochains épisodes.

     

    Non, je blague. Pas sûr qu'on comprenne, mais bon, on va essayer de lire.

    L'Ethique commence donc du côté de chez Dieu. D'une manière qui n'est pas sans évoquer la boutade la guerre est une chose trop sérieuse pour la laisser aux militaires. Pour Spinoza, le concept de Dieu est trop déterminant pour le laisser aux fantasmes religieux. Il doit au contraire être abordé réellement. En le dégageant des projections anthropomorphiques, dont la plus ravageante à la fois pour l'intellect et pour le conatus est la notion de volonté de Dieu. Notion absurde pour lui, que dans une page de l'Appendice de la partie 1 (encore ? Eh oui), une page superbe de verve et de lumineuse intelligence, il appelle l'asile de l'ignorance.

     

    Mais venons en au fait.

    Par Dieu, j'entends un étant absolument infini, c'est à dire une substance consistant en une infinité d'attributs dont chacun exprime une essence éternelle et infinie. (Partie 1 définition 6)

     

    Cette définition est la 6, et par conséquent, comme dirait M. de la Palice, il en faut 5 autres avant d'y arriver. Je vois cela comme un paramétrage. Il pose les paramètres utiles et après la notion se définit, se repère, en fonction de ces paramètres. Dieu est avant tout un objet géométrique comme les autres.

    Les paramètres nominated pour la définition de Dieu sont : cause de soi (1), chose finie (2), substance (3), attribut (4), manière (5).

     

    Mais soulignons d'abord j'entends (intelligo), répété, outre cette définition 6, dans les 1,3,4,5.Spinozase méfie des incertitudes du langage, en particulier des termes ditsTranscendantaux, comme Etant, Chose. Pour lui ces termes signifient des idées confuses au plus haut degré. Il explique qu'on perd ainsi beaucoup de temps et d'énergie à des controverses oiseuses, que ce soit en religion ou en philosophie (scolie 1 prop 40 partie 2). Alors ici son j'entends sert à sortir de la confusion, à décider une bonne fois pour toutes (au moins pour la suite du livre) d'un sens précis pour la notion.

     

    Ainsi briefés, revenons donc aux paramètres. Nous ne retiendrons que ceux qui apparaissent dans la déf 6. (déjà bien beau, hein?)

     

    2 Est dite finie (finita) en son genre, la chose qui peut être bornée (terminari potest) par une autre de même nature. Par ex un corps est dit fini parce que nous en concevons toujours un autre plus grand. De même une pensée (cogitatio) est bornée par une autre pensée. Mais un corps n'est pas borné par une pensée ni une pensée par un corps.

     

    3 Par substance, j'entends ce qui est en soi et se conçoit par soi : c'est à dire, dont le concept n'a pas besoin du concept d'autre chose d'où il faille le former.

     

    4 Par attribut, j'entends ce que l'intellect perçoit d'une substance comme constituant son essence.

     

    Et à cause du mot éternelle dans la déf, on est obligé de rajouter

     

    8 Par éternité j'entends l'existence même en tant qu'on la conçoit suivre nécessairement de la seule définition d'une chose éternelle.

     

    C'est cela. Voilà voilà. Je me demande où on en serait si on n'avait pas viré les idées confuses au plus haut degré ...?

    Vous savez quoi ? Substance, attribut, tout ça j'ai envie de courageusement faire l'impasse. Courageusement, j'ai bien dit. L'homme libre montre la même vaillance (animositas) ou présence d'esprit à choisir la fuite qu'à choisir le combat (Partie 4 corollaire prop.79). Retenez-la, celle-là, elle peut servir.

    En l'occurrence, j'assume de le dire tout net, ce genre de mots ça me bloque. Naguère encore je me serais fait violence pour toutes sortes de mauvaises raisons du genre c'est pas fair play envers tes lecteurs, ou encore je vais passer pour une ignorante. Résultat je serais bêtement allée recopier des infos dans quelque bouquin. Et par la même occasion je serais allée à l'encontre de mon conatus, diminuant ainsi ma joie donc ma puissance d'exister. Trop con, non ? Heureusement, maintenant que je suis tombée au milieu de Spinoza, je me sens parfois un peu plus légère, presque autant que Montaigne qui n'a jamais voulu se ronger les ongles à l'étude d'Aristote.

     

    C'est pourquoi je vais me contenter de la main tendue par les c'est à dire ou autrement dit pour reformuler à mon tour. La prochaine fois. Parce que tous ces concepts un peu étouffe-chrétien, faut le temps de les digérer, non ?

    Bref, bon appétit.

     

    A suivre

  • B.attitude (4) Comme par la main

     

    Résumé de l'épisode précédent :

    Notre héros a récusé un schéma vertical descendant dans lequel Dieu, maître du Vrai et du Bien, les dispenserait aux humains trop humains du haut de sa transcendance. Au contraire il pose que conceptualiser Dieu (objet de la partie 1 de son Ethique) n'est pas une fin en soi. Quant à tous les concepts tant qu'ils sont, le Vrai, le Bien, ou quoi que ce soit, bof, paroles, paroles … Mon dessein n'est pas d'expliquer le sens des mots mais la nature des choses (Part 3 déf 20 explic déjà citée).

    Membre fondateur du Mouvement de Libération Mathématique, il nous propose à présent d'y adhérer à notre tour. Gracieusement.

     

    J'en viens maintenant à expliquer les choses qui durent nécessairement découler de l'essence de Dieu, autrement dit de l'Etant éternel et infini. Pas toutes, évidemment, car il en dut découler une infinité d'une infinité de manières, nous l'avons démontré à la proposition 16 partie 1, mais seulement celles qui peuvent nous conduire comme par la main à la connaissance de l'Esprit humain et de sa suprême béatitude.

    Introduction à la partie 2 (De la nature et l'origine de l'esprit)

     

    Les choses qui durent nécessairement découler ; il en dut découler une infinité d'une infinité de manières : vision déterministe. Un système dans lequel tout est lié, sans endroit de rupture, sans solution de continuité. Comment concilier ce déterminisme avec la liberté revendiquée ? C'est là où l'Ethique a un petit côté résolution de la quadrature du cercle, ce n'est pas son moindre charme. (Je reviendrai sur ce binôme déterminisme/liberté, du moins c'est prévu).

     

    Les choses qui découlent de Dieu, pas toutes, seulement celles (pour) la connaissance de l'Esprit humain et de sa suprême béatitude.

    L'existentialisme est un humanisme, dira Sartre. Spinoza dit ici : mon Ethique est un humanisme. Un humanisme qui renverse l'ordre du religieux, ce qu'il appelle le préjugé superstitieux. Dieu n'est pas considéré comme l'avenir de l'homme, sa vocation. Il est plutôt convoqué à son usage, dans une joyeuse légèreté, avec ce joli « pas toutes, mais seulement ».

     

    Les religieux auxquels Spinoza a eu affaire dans la vraie vie ne s'y sont pas trompés et ont bien vu qu'il sciait ainsi la branche sur laquelle ils étaient assis, et d'où ils exerçaient leur pouvoir. Et curieusement, cela ne les a pas fait rire. Ils ont pas le conatus à l'humour. Nobody's perfect. Mais ma foi lui il a assumé : son exclusion de la synagogue, avec le heremmajeur prononcé par le rabbinat d'Amsterdam. L'impossibilité de voyager pour rencontrer ses amis savants et philosophes. Il aurait fallu pour cela quitter la tolérante terre de Hollande et essuyer les chicanes de l'Inquisition, et plus si affinités. C'est bon, il savait de famille à quoi s'en tenir sur la question.

    L'exil de sa communauté et une quasi assignation à résidence pour le droit de penser. Son œuvre pèse ce poids-là. L'Ethique c'est pas du toc.

    (Voilà, ça, c'est fait. C'était trop tentant).

     

    La conséquence de cette implication existentielle est que l'Ethique n'est pas un discours. Surtout pas métaphysique, pas même un discours philosophique à proprement parler. C'est bien, comme il l'écrit, une démonstration, à tous les sens du terme, et pas seulement mathématique. Un mode d'emploi, comme pour un aspirateur. Le mode d'emploi du bonheur de vivre. Et aussi un manifeste. Une exposition.

     

    Implication existentielle qui transparaît dans la métaphore comme par la main venant incarner un instant, comme par surprise, la douceur d'un affect, celui de generositas mentionné plus haut (voir B.2). Un être humain, ein schönes Mensch, invite ses semblables à l'accompagner dans une randonnée pour laquelle il se propose comme guide bienveillant. Ou encore, autre image, celle d'un père ou d'une mère qui soutient les premiers pas d'un enfant.

    Dans l'un et l'autre cas, la randonnée, c'est la vie.

     

    A suivre

  • Géométrie variable

    Quelques mots en écho aux derniers commentaires d'Hélène.

    Je n'ai pas l'intention (ni la capacité surtout) de faire une lecture linéaire de l'ensemble. De toutes façons le support blog ne serait pas adapté.

    En fait je fais une note en me disant : il faut parler de tel point, c'est important. Et puis ça m'amène à autre chose, etc. Tout ça sans grand ordre, avec des redites. C'est juste que quand quelque chose me plaît, j'ai envie d'en parler, d'y faire écho. Comme quand on a vu un bon film au cinéma. Je sais que je dis sûrement beaucoup de bêtises, ou en tous cas d'approximations. C'est le lot des gens qui, comme dit Montaigne, ont "le cul entre deux selles". Ni inculte, ni spécialiste. Mais amatrice ça oui. J'essaie donc d'expliquer le mieux possible ce que je comprends, en sachant que ça ne garantit pas la validité de ce que je comprends pour d'autres que pour moi.

    Le mode géométrique (pour ce que j'en comprends, donc) ne tient pas tant au contenu d'un savoir *qu'à une attitude de fond devant le monde : le monde physique, et aussi celui des idées, des sentiments, des relations etc. Attitude d'objectivité au sens fort, essayer de voir vraiment ce qui est là, comme c'est, sans préjugé ni attente particulière, et de comprendre comment les choses se relient l'une à l'autre.

    *Cependant un savoir scientifique ne peut pas nuire, non tant pour lui-même, que parce qu'il a formé à une certaine façon de penser.

    Je crois aussi que quand Spinoza décide de rédiger son livre sous cette forme, il avait vraiment dans l'idée que ce serait plus clair et plus simple. Qu'il pourrait tout mettre de sa pensée en la réduisant "à sa plus simple expression" : une condensation, ou une cristallisation.

    Mais le mieux est de citer quelques phrases de Deleuze. (Gilles Deleuze, Spinoza philosophie pratique, éd de Minuit 1981)

    "Des écrivains, des poètes, des musiciens, des cinéastes, des peintres aussi, même des lecteurs occasionnels" (merci pour eux, M'sieur Deleuze), "peuvent se retrouver spinozistes, plus que des philosophes de profession. Non pas qu'on soit spinoziste sans le savoir. Mais, bien plutôt, il y a un curieux privilège de Spinoza, quelque chose qui semble n'avoir été réussi que par lui.C'est un philosophe qui dispose d'un appareil conceptuel extraordinaire, extrêmement poussé, systématique et savant ; pourtant il est au plus haut point l'objet d'une rencontre immédiate et sans préparation, tel qu'un non-philosophe, ou bien quelqu'un dénué de toute culture" (là il pousse un peu à mon avis, faut quand même savoir lire) "peuvent en recevoir une soudaine illumination, un 'éclair' (allusion à R.Rolland qui parle de l'éclair de Spinoza). C'est comme si l'on se découvrait spinoziste, on arrive au milieu de Spinoza, on est aspiré, entraîné, dans le système ou la composition. Quand Nietzsche écrit : 'je suis étonné, ravi ... je ne connaissais presque pas Spinoza ; si je viens d'éprouver le besoin de lui, c'est l'effet d'un acte instinctif', il ne parle pas seulement en tant que philosophe, surtout pas peut être en tant que philosophe. (...)

    (...) double lecture de Spinoza, d'une part à la recherche de l'idée d'ensemble et de l'unité des parties, mais d'autre part, en même temps, la lecture affective, sans idée de l'ensemble, où l'on est entraîné ou déposé, mis en mouvement ou en repos, agité ou calmé selon la vitesse de telle ou telle partie."

    En fait, oui. Voilà.