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  • La journée des talents (7/8)

     

    « Harpagon ???

    - Ouais, la pièce, vous connaissez pas ?

    - L’Avare ? Quel rapport ?

    - Ben l’Avare, Harpagon quoi, c’est le rôle principal et c'est Augustin qui l'a eu. Vous savez un peu les notes qu’y tapait en français, Augustin ? Bram ... dame Bracieux elle note vache. Lui, toujours au-dessous de la moyenne. Et elle lui a quand même filé le rôle principal dans la scène 3 Acte IV, vous captez un peu ?

    - Euh, je ...C’est à dire je n’ai pas vraiment la scène en tête ... Mais continue.

    - Avec François Maugard l’intello de la classe, pour faire Cléante, le fils. Avec moi il a pas voulu, François. C’est son chouchou, à Bramer euh  ... Mme Bracieux. Ses chouchous c’est en haut ou en bas, quoi, mais au milieu, là, jamais. C’est pas juste. Moi elle m’a jamais remarqué. Juste ce qu’elle fait, elle me file un devoir supplémentaire soi-disant que j’ai bâclé l'exo. Je sais lui faire, son exo de débiles. Moi aussi je pourrais si je voudrais en avoir des 18. C’est pas juste ... C’est comme quand moi je fais une vanne, ça la fait jamais rire, elle me dit que je suis enfantile.

    - Tu ne jouais pas, toi, dans la pièce ?

    - J’avais pas bien fini d’apprendre mon rôle. Bracieux, si c’est pas parfait …

    - Et Augustin, c’était parfait ?

    - Lundi, après la répétition, elle lui a dit un truc genre parfait cette dureté dans le regard d’Harpagon. Elle avait oublié ou quoi ? Les colles, les bagarres, et ses sales notes de merde, à Augustin ... »

                                                                                                                         ***

    Elle vient d’apprendre par le principal : « C'est un fait que Rémy Sauvagnet, oui, saigné à blanc comme par une ... bête sauvage, par je veux dire … une chose c’est un fait que ... une chose monstrueuse … »

    Il lui faut parler au Commandant Bondil. C’est elle la seule coupable. Depuis le début.

    « Leur faire jouer une pièce aussi … une bombe à retardement, un concentré de brutalité, d’instinct primaire. Catharsis, des mots ! La preuve.

    Comment a-t-elle été aussi aveugle, ne pas voir venir l'incroyable rage du petit Rémy. Comment se douter, un élève aussi … aussi peu ... son ricanement niais, son mâchonnement perpétuel de bonbons. Ni l’humilité du travail ni l’audace du défi, juste gonfler la bulle de son chewing-gum et de son personnage.

    Oui elle avoue : elle a horreur de l'insignifiance. Oui, elle est dure, tranchante voilà, comme le couteau qui ... Voilà la vérité. Et d’abord, si elle n’était pas dangereuse, sa fille, sa petite fille … »

    Hélène a fondu en larmes, elle n'arrive plus à s'arrêter.

    « Calmez-vous, Madame Bracieux. Rien de tout cela n’est en cause, je vous assure. Le meurtrier de Rémy est celui qui a pris le couteau, et lui seul.

    - Oui, mais il n’aurait pas tué Rémy si Rémy, lui, n’avait pas tué, n’avait pas jalousé Augustin à ... oui, à mort, donc si Augustin n’avait pas joué. Ah si seulement il ne s’était pas donné la peine d’apprendre ce foutu rôle ... C’est comme si c’était moi qui ... J’ai désigné sa victime à Rémy, et du coup l’autre, le meurtrier, à son tour il a vu Rémy … »

     

    « Depuis le début, tous, je les avais vus ».

     

    À suivre.

     

     

  • La journée des talents (6/8)

     

    « Ça va être dur de tirer quelque chose de tout ça, hein, Chef, qu’est-ce que vous en pensez ? Il y aurait peut être la déposition du prof de physique ? La plus intéressante non ? »

    Patrick Taxil est un sérieux, lent de parole et de geste, malgré sa jeunesse. Il présente un mélange de circonspection et d’absence d’imagination qui a le pouvoir de réconforter son supérieur, un peu comme l’odeur du café le matin après les cauchemars de la nuit.

    Mais pour cette affaire, Taxil manifeste un certain enthousiasme. C’est son premier meurtre. Ça compte dans une carrière.

    Et puis il est cousin par sa mère avec les Duras, le commandant l’a appris à cette occasion. « Ça n’a rien à voir, je suis un fonctionnaire, mais quand même les liens du sang. »

     

    « M. Petitgarçon, ce qu'il a dit sur son collègue, hein ? C'est vrai, les histoires de pédophilie y en a plus qu’on croit. Je sais bien que le rapport du légiste n’indique pas ce genre de, mais le meurtrier a pu être dérangé. D’ailleurs le Cournonterral, il est bizarre, non ? Déjà lui arracher trois mots, c'est la croix et la bannière.

    - Il n’est pas bavard, c’est son droit.

    - Et un suicide à cause de harcèlement pédophile ? L’infirmière, elle …

    - Se suicider au sac plastique, faut y aller, non ? Et d’après la déposition de Mme Bracieux, la prof de lettres …

    - Assez dépressive d'après M. Petitg …

    - Si l’on s’en tient aux faits, Duras était très motivé par une scène qu’il devait jouer à la fête du collège. Il ne se serait pas suicidé de trac ? Si ?

    - Oh Chef, c’est mon cousin quand même !

    - Excusez-moi, Taxil, je ne voulais pas vous blesser. Vous savez ça m’aide à réfléchir, un peu de distance. Bref il faut attendre le relevé des empreintes sur le sac plastique. Pour l’instant, ce que nous savons, c’est que seuls n’ont pas d’alibi ce Cournonterral en effet, la prof de math et l'infirmière.

    - Ah oui, la prof de math, celle qui fume comme un pompier, une dépressive aussi, non, Chef ?

    - Vous la voyez maîtriser un garçon grand et nerveux comme Duras ? En plus franchement le mobile, je vois pas ... Pas plus d’ailleurs avec l’infirmière …

    - Pourtant elle, côté carrure, hein, Chef. Et le sac plastique, il venait d’où ?

    - Au Bonbon des Gorges, maison fondée en 1937. »

                                                                                                          ***

    Chair Mr le comisère,

    Nous ont veut pas faire les balance mes sait trop grâve suretout qu’Augustin s’était un copin. Le coupable on la vue c'est Rémy Sauvagnet. Voila, interroger le, Mr le commyserre.

                                                                                                                                  ***

    « Est-ce que tu peux essayer de m’expliquer pourquoi tu as fait ça, Rémy ? Tu le connaissais bien, Augustin, vous étiez dans la même classe …

    - C’est à cause d’Harpagon. »

     

    À suivre.

     

  • La journée des talents (5/8)

     

    Gaëtan Bondil est fatigué, repris par une nausée qu’il connaît bien.

    Depuis la divulgation par La Durance et FR3 de la mort de ce collégien, il a une liste interminable de candidats à la déposition.

    Il connaît la partition que chacun va jouer. Dissimulation, "innocent" mensonge, naïveté surjouée, mythomanie, manipulation. Soi-disant témoins : grégaires, charognards, corbeaux potentiels enfin autorisés à se déclarer, pour la bonne cause.

    Il faudra pourtant bien les entendre, les dépositions, les recueillir, les aveux.

    Mais de toutes façons, preuves ou pas, aveux ou non, il sait par expérience que chacun continuera imperturbablement à nourrir son intime conviction, auto-immune à toute atteinte de vérité. Heureusement la vérité est subtile, capable de se glisser dans tous les interstices de toutes les mauvaises fois.

    La vérité ... Comment ose-t-il encore de si gros mots ?

     

    « J’ai proposé au Conseil d’Établissement une action prioritaire en ce sens, mais les enseignants ont voté contre. Vous vous rendez compte ! Ils sont censés être des pédagogues et …

    - J’aimerais, Mme Poitrail, des précisions sur votre emploi du temps d’hier matin. M. Drouault m’a informé que la victime lui avait demandé l’autorisation de se rendre à l’infirmerie, peu avant la récréation.

    - C’est à dire ... J’ai diffusé une note auprès des enseignants pour les informer que je n’acceptais plus les élèves pour un prétendu bobo. Ils s’écoutent trop, il faut les éduquer, sinon c’est trop facile. Ils s’ennuient en cours, ce que je comprends, il y a si peu d’innovations pédagogiques chez nos enseignants. Alors ils demandent à aller à l’infirmerie. Mais vous serez d’accord avec moi, vous qui avez l’habitude du raisonnement rationnel et impartial, si on prenait au sérieux leurs états d’âme …

    - Ne vous inquiétez pas, Madame, j'ai compris que l’âme n'entre pas dans vos compétences ».

    Anaïs pince les lèvres. Sa bouche n’est plus qu’une incision de scalpel soulignée d'un rouge à lèvres sanglant. Bondil la contemple un instant. Il faut que les élèves aient l’âme bien dolente en effet pour aller chercher réconfort auprès d'elle.

    « Je voudrais relier la déposition de M. Drouault et la vôtre, pour reconstituer l’emploi du temps de cet enfant.

    - Drouault le prof d’Arts Plastiques ... Il y aurait ... Je ne vais pas vous apprendre votre métier, mais une enquête de moralité ...

    - Oui ? 

    - Je ne sais pas si ... la discrétion ...

    - Nous cherchons la vérité, Madame. La vérité sur un meurtre.

    - Il s’est séparé de sa femme, enfin c'est elle qui l’a quitté. Nous parlions, entre femmes, vous voyez ? Raphaël, enfin M. Drouault, aurait des pratiques, sexuelles enfin, c’est gênant ... un peu … brutales. »

    Une langue pointue vient lécher le trait sanglant de scalpel.

    « Augustin Duras s’est-il, oui ou non, présenté à l’infirmerie hier, un peu avant dix heures ?

    - C’est à dire, je n’y étais pas : vous comprenez, si j’ouvre l’infirmerie à la récréation, évidemment c’est la cohue …

    - Ah ? Ils s’ennuient aussi en récréation ? »

     

    À suivre.