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  • Présent de Noël

     

    Comme ce mois de décembre était doux ! Une éternité qu'on n'avait pas vu tant de douceur en début d'hiver. C'était bon à prendre. Peut être qu'on couperait au froid, au gris, au temps pourri cette année ?

    Beaucoup s'angoissaient à propos du réchauffement atmosphérique. Mais pour de vieux os, davantage de chaud, eh bien ça aidait.

    On était en période de préparation des fêtes. Ce qui signifiait période de courses, d'achats, de recherche forcenée des cadeaux qu'on se sentait tenu de faire aux uns et aux autres. Tenu. Cette pression gâchait tout.

    Faire des cadeaux était une joie, une façon de dire son amour, son amitié. Des cadeaux, des présents : une façon de faire attention aux autres. En cherchant pour chacun d'eux à tomber juste en matière de goûts, de besoins. Oui, chercher des présents qui marqueraient une attention, ça, c'était une bonne chose.

    Mais tout se gâtait à cause du fric.

    En avoir ou pas, déjà. Pour marquer une attention digne de ce nom, un minimum d'argent était nécessaire. Conséquence évidente d'un système bâti sur un paramètre unique : vendre, monnayer, chercher à fourguer. À gagner un max de pognon ou au moins à ne pas en perdre.

    Ainsi, dans ce fonctionnement des sociétés, pour qui n'était pas riche ni même aisé (et c'était son cas), on ne pouvait atteindre que des choses bas de gamme. Ou des choses dont personne n'avait à vrai dire rien à faire. Très démotivant.

    Car à quoi bon offrir un truc qui ne sorte pas du quotidien ? Au contraire, ce qui pouvait être désiré, (chacun, en transposant sa propre expérience, son propre ressenti, pouvait voir cette évidence), était ce que, même sans souci d'argent, on hésitait à se payer.

    En se disant ce n'est pas urgent, c'est sans usage immédiat, je n'en ai pas vraiment besoin. Un truc tentant mais pas sérieux. Mais tentant.

    Et même pour qui avait assez d'argent, restait qu'on pouvait contester une participation automatique au système marchand. On pouvait au contraire préférer échapper à cette servitude, qui perdurait en soi dans un vague assentiment, jamais vraiment questionné.

    Cette période des fêtes incitait mieux qu'une autre à ce questionnement. Un présent de 25 décembre cette année, ce serait, ce pourrait être, se mettre à inventorier une zone inédite de non-fric.

    Depuis une éternité on n'avait pas vu tant de douceur en début d'hiver. Cette année gratuité serait son nom, à Noël.

     

     

     

     

     

  • Un capitaine canon

     

    L'abordage fut rapide. Le galion avait perdu ses haubans dans la bataille, il dérivait. Le bastingage était gravement endommagé, l'équipage décimé.

    Les assaillants n'avaient pourtant que de vieux mousquets, mais on aurait dit que leurs armes se rechargeaient automatiquement, comme par enchantement.

    Le capitaine, songeur, se disait qu'il aurait aimé vivre trois siècles plus tard et disposer d'armes vraiment performantes, de fusils d'assauts plus ou moins russes.

    Et à la place de son vieux canon, il aurait bien aimé pouvoir utiliser un lance-roquettes. Voire des missiles sol air comme sauraient en fabriquer les manufactures du royaume dans ce temps futur.

    On les vendrait à tous ces chefs de bande qui s'affrontaient dans des contrées à moitié désertiques, ce serait excellent pour la balance commerciale du royaume.

    Pourquoi donc ces guerres incessantes, au fait ? Des légendes couraient, des trésors enfouis dans le sous-sol, une sorte d'or inconnu, noir et liquide.

    Mais tout cela n'était pour l'heure que du rêve, hélas, cet âge d'or noir n'était pas encore venu. Alors, sans attendre l'invention du sous-marin à propulsion nucléaire qui lui aurait à coup sûr permis d'envoyer par le fond le vaisseau-pirate le temps de dire ouf, il fit mettre les canots à la mer.

    Tandis que les pirates grimpaient à bâbord, les canots furent descendus à tribord. L'évacuation fut menée à bien dans l'ordre et le calme.

    Les matelots faisaient preuve d'un sang-froid qui devait beaucoup aux exercices d'entraînement de la Marine Royale : simulation de catastrophe naturelle, répétition de plan Orsec, anticipation d'attaque terroriste biologique.

    En outre l'un d'eux, rescapé du Titanic, maintenait le moral de ses camarades en leur assurant que la rencontre d'un iceberg en pleine mer des Caraïbes était totalement exclue.

    Le capitaine, pourtant lecteur assidu des rapports du GIEC, préféra ne pas aborder la notion de réchauffement climatique : les circonstances appelaient l'action immédiate plutôt que le débat de fond, surtout si l'on voulait éviter d'y sombrer.

    Au bout d'une heure, le canot suffisamment loin du navire et des hurlements des pirates, on n'entendit plus, sur l'onde et sous les cieux, que le bruit des rameurs qui frappaient en cadence les flots harmonieux.

    Le capitaine sentit une grande paix l'envahir, et murmura pour lui-même :

    « Ô temps suspends ton vol ».

    Au-dessus d'eux, un albatros passa.

     

     

     

     

  • Orgie pour tous

    « T'en as pas marre toi ?

    - Oh là là m'en parle pas ! On se demande comment ils arrivent à ce niveau de décibels, on dirait qu'ils sont cinquante. Et le bordel qu'ils ont mis ! Vaut mieux pas penser à la chambre de Sophie façon champ de bataille ...

    - Le boulot pour ranger après ...

    - Les pires c'est les petits triplés, non les … enfin les deux, là, Sigismond et Sigisbert, y en a pas un pour rattraper l'autre !

    - Soi-disant des hyperactifs elle a dit la mère. Tu parles, elle a bon dos l'hyperactivité. C'est rien que des sales gosses mal élevés, ou alors très très cons, c'est tout …

    - Tu crois que c'est parce que c'est des garçons qu'on leur passe tout ? Qu'on encourage l'agressivité façon Obélix ? D'abord taper, réfléchir après ...

    - Oh non, ce serait trop beau, on pourrait au moins compter sur les filles. Mais regarde la petite Regina, et Gisella, encore plus agitées si tu veux mon avis.

    - Comment ils font leurs parents à tous ces mioches ? Ça c'est la question. Tu crois qu'ils sont pareils chez eux, ou c'est seulement ici, pour nous faire tourner en bourriques genre les mamies c'est là pour ça ?

    - Crois pas. À mon avis ils sont comme ça tout le temps … Les parents ils sont débordés, mais ils le planquent, ils gèrent au quotidien comme ils peuvent, ils font genre c'est notre choix d'éducation. Mais en clair à l'arrivée ils maîtrisent rien.

    - Oui mais alors ça veut pas dire que nous on aurait raté un truc à notre génération, dans l'éducation de nos enfants à nous, les parents hyperdébordés de ces hyperactifs ? On n'a pas été trop hypercool, nous ? Tu crois pas ? À voir le résultat, des fois on peut avoir des doutes …

    - Mais non, on a fait ce qu'il fallait. On leur a ouvert l'esprit, on a évité de les culpabiliser, on leur a donné des valeurs en profondeur, on a favorisé leurs énergies. Globalement tout ça va bien évoluer tu verras. Les gamins agités qu'on se tape là en ce moment, c'est un épiphénomène, le contexte, tout ça. Et pour dire même plus, ça leur passera avant que ça nous reprenne, sûr.

    - Ouais t'as raison en fait. Ils s'éclatent à l'anniversaire de leur copine, c'est un peu normal. La pagaille maxi, une orgie d'orgeat et de fraises tagada, c'est de leur âge après tout. Ils ont le temps d'être raisonnables.

    - S'ils le deviennent finalement … Regarde, nous, on est vieilles, on est grand mères, mais adultes et raisonnables, tu crois qu'on le sera jamais ?

    - T'as raison. Et tu sais quoi on s'en fout. Allez, on se fait un autre oinj ? »