Souvent la menace que perçoit le poète, malgré sa prégnance, reste floue. Elle ne provoque pas la peur qui sait préciser son objet, mais l'angoisse. L'angoisse est appréhension, c'est à dire le négatif du désir, alors que la mélancolie est son absence.
Mais dans les deux cas c'est la radicale défaite de l'être. Pas (seulement) la mort réelle, mais la mort psychique, l'atteinte du souffle (ruah) : tout à la fois énergie vitale et inspiration du poète.
En général l'angoisse repose sur un sentiment de culpabilité, on l'a dit l'auteur des psaumes a lu Freud.
Il se pense injuste aux autres, néfaste à lui-même. Plus fondamentalement, il fait défaut à « YHWH », échoue à se prononcer pour et dans le nom. Si l'ennemi a le dessus, c'est que je ne mérite pas que YHWH me sauve.
Qu'il dit. Car il l'espère en même temps, ballotté qu'il est dans les fluctuations d'âme (il a lu Spinoza aussi).
Ainsi la séquence au ps 39 je suis muet (devant l'ennemi) je n'ouvrirai pas la bouche car c'est toi qui agis (10) éloigne de moi tes coups, je succombe à l'irritation de ta main (11), à la fois demande à YHWH de détourner de lui la main qui châtie, et appel à cette main comme protection contre l'ennemi.
Ce n'est que dans quelques psaumes, assez rares finalement, que la culpabilité est clairement reconnue, présentée comme réelle, ainsi au ps 51 inspiré de la faute de David (cf Du sans nom à Salomon).
Quant à la mélancolie irréductible de la condition humaine, sa formulation la plus frappante est peut être la question de Job :
pourquoi donne-t-il la vie aux êtres amers ? (Jb 3,20)
La réponse du livre des louanges révèle un des enjeux fondamentaux de la Bible.
Embarqué dans la haute mer de mélancolie où il est sujet à tous les vagues à l'âme, le poète des psaumes suit par avance le fameux conseil de Pascal il vous faut parier.
La survie psychique, permettant souvent le sursaut qui rendra possible la survie tout court, repose pour lui sur la version poétique du pari pascalien.
J'ai peur, je crains qu'Elohim m'ait abandonné, et d'ailleurs il aurait des raisons de le faire. Eh bien, je fais un pari : au lieu de me désoler d'être abandonné, je pose dans mon poème un inaccompli/accompli, il ne m'aura pas abandonné.
Si j'anticipe le salut dans mon chant, mon chant me sera salut. Ce mouvement, rencontré au cœur du ps 42, est décidément la clé des psaumes. Ni théologie, ni réflexion philosophique et anthropologique abstraites, ils sont le pari d'un poète qui prend au mot le nom pour y inscrire son existence.