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  • Psaume 42 (1/5) Exil

    1 Au chef du chœur. Illumination aux fils de Qorah.

    2 Comme la biche soupire près des cours d'eau, ainsi mon être soupire après toi Elohim.

    3 Mon être a soif d'Elohim d'El vivant. Quand viendrai-je à la face d'Elohim ?

    4 Mes larmes sont mon pain jour et nuit, quand tout le jour il m'est dit : où est ton Elohim ?

    5 Je me souviens et je verse sur moi mon être : je passais dans la foule, je les menais en procession jusqu'à la maison d'Elohim, cris de joie et de reconnaissance d'une multitude en fête.

    6 Pourquoi t'affaisses-tu mon être, pourquoi gémis-tu sur moi ? Désire Elohim car encore je lui rendrai grâce pour le salut de sa face.

    7 Mon Elohim mon être s'affaisse sur moi. C'est pourquoi je me souviens de toi depuis la terre du Jourdain, depuis l'Hermon, depuis le mont Mitsar.

    8 L'abîme appelle l'abîme à la voix de tes cataractes, tous tes brisants et tes vagues sur moi sont passés.

    9 Le jour YHWH commande son amour, et la nuit son chant est avec moi, prière à l'El de ma vie.

    10 Je dirai à El mon rocher : pourquoi m'as-tu oublié, pourquoi marcherais-je, sombre, sous l'oppression ennemie ?

    11 Meurtrissant mes os ils m'outragent mes oppresseurs en me disant tout le jour où est ton Elohim ?

    12 Pourquoi t'affaisses-tu mon être, pourquoi gémis-tu sur moi ? Désire Elohim car encore je lui rendrai grâce pour le salut de ma face, lui mon Elohim.

     

    Dans ce psaume on retrouve la foule en fête du ps 150, le pain des larmes du ps 127, le désir du ps 131 et sa formule-clé mon être sur moi.

    S'y ajoute la thématique de l'oppresseur, l'ennemi, non encore rencontrée et pourtant très présente dans les psaumes, donnant libre cours à l'angoisse du poète, avec la répétition lancinante de la question, existentielle s'il en est : pourquoi ?

    Comme la torah, les psaumes sont répartis en 5 livres. Le ps 42 commence le deuxième livre (42-72) où domine le thème de l'exil, assorti de l'espérance de délivrance. Exil de quoi ?

    Le thème superpose plusieurs plans.

    L'exil est ici réalité historique, avec le rappel de la terre perdue (v.7), des fêtes qui s'y déroulaient librement (v.5). Souvenir de bonheur fortement mis en contraste avec l'oppression subie en terre étrangère (v.10-11).

    Mais cet exil, fruit des accidents de l'Histoire, ne fait que raviver l'exil ontologique, l'exil constitutif de la condition humaine.

    Un exil existentiel jouant lui-même sur deux axes.

    Le poète se découvre exilé d'une relation au peuple et à la figure d'El. Douloureux certes, mais explicable par l'intervention néfaste de l'ennemi. En revanche, elle est déconcertante, perturbante, la constatation d'être exilé de soi-même (v.6 et 12)

    C'est de cet exil-là que monte le cri du ps 42.

  • Ps 131 (3/3) Fort-da

    Freud décrit le jeu d'un enfant jetant de son lit une bobine accrochée à un fil tandis qu'il prononçait un ooo riche de sens, puis tirant le fil pour la remonter, saluant sa réapparition d'un joyeux « da » (voilà, ici).

    Freud entend dans ce ooo le mot fort (parti, loin). L'interprétation alors ne présentait plus de difficultés (phrase où l'on reconnaît bien son Sigmund).

    Il comprend que cet enfant (dont on loue le calme) a trouvé moyen par ce jeu de se dédommager du renoncement pulsionnel nécessaire à accepter le départ de sa mère sans caprice.

    Comment ? En mettant lui-même en scène le départ et retour de sa mère à l'aide d'un objet qu'il peut saisir.

    (Au-delà du principe de plaisir, chap 2 c'est moi qui souligne).

    Qu'en déduire ?

    1) L'auteur du ps 131 a lu Papa Freud de toute évidence (l'inverse aussi est probable).

    2) Le sevrage qui rend à la mère son autonomie ouvre à l'enfant la possibilité de la sienne. La séparation imposée, il la rejoue avec un objet qu'il peut saisir. En faisant comme s'il tenait sa mère au bout du fil, cet enfant se prend en fait lui-même en mains, devient acteur au lieu de subir passivement. 

    L'enfant sevré n'est plus dans le nirvana de la fusion, mais il va se trouver lui même, individu délié, et apprendre à se tourner vers l'autre comme autre. L'enfant sevré sur sa mère entre dans la loi du désir.

    3) Cette loi s'inscrit en lui de manière intra-psychique, posant un des premiers jalons de la construction de sa personnalité.

    C'est ce que le poète note en fine pointe du texte, lorsqu'il substitue au lien archaïque avec la mère le lien du sujet adulte à sa propre existence : comme l'enfant sevré sur moi mon être.

    On le voit, c'est lire ce psaume à faux que négliger les implications précises du terme enfant sevré. C'est rester prisonnier d'une conception du religieux bien caractérisée par Marx dans sa fameuse métaphore d'opium du peuple. L'opium calme la douleur, l'angoisse, mais c'est au prix de l'annihilation de l'énergie et de la lucidité.

    Le ps 131 au contraire n'incite pas à s'écraser devant un Tout-Puissant, à abdiquer sa liberté et son affirmation (avec au cœur un ressentiment qui ne pourra qu'exploser en violence sur les autres).

    Il n'incite pas davantage à calmer son angoisse avec un Tout-Calmant, comme l'opiomane aspire sa drogue, comme le bébé suce le sein.

    Il énonce en son dernier verset le juste lien qui doit unir YHWH et Israël, l'attente et le désir.

    Conclusion : à chacun son fort-da. Ce que le bébé freudien met en scène avec sa bobine, le poète le figure dans l'image de son psaume.

     

     

  • Ps 131 (2/3) Un enfant sevré

    Le poète ne veut pas gonfler son ego de vanité, ni regarder de haut, il récuse avec le trop grand une identité en « moi-plus ». C'est à dire un mode de rapport au monde et aux autres combinant orgueil et égocentrisme.

    Mais cette humilité porte l'ambivalence du pharmakon qui peut être remède ou poison.

    Présentée comme facteur d'authenticité de l'être, ne recèle-t-elle pas aussi un risque, celui de son amoindrissement ? 

    Le v.2 est en général compris comme redondance du premier. Cependant le mot à mot dit si ne pas j'ai calmé et j'ai fait taire mon être. Il y a donc encore une négation.

    Lalou et Calame traduisent n'ai-je pas calmé et apaisé mon être ? Le point d'interrogation y rend la valeur hypothétique du « si » (Cf ce même mot dans le ps127 Si YHWH ne bâtit la maison).

    Pour ma part il me semble plus juste de dire, respectant le parallélisme des deux versets je n'ai pas calmé ni fait taire mon être. On me dira oui mais alors que faire de la particule si ? On peut la comprendre, me semble-t-il, par quelque chose comme « dans ce cas ».

    Ce qui enchaîne dans un esprit tout différent les deux versets : je ne me fais pas moi-plus, d'accord, mais ce n'est pas pour autant que cette option me conduit au calme, à l'inhibition et au silence.

    Au lieu de comprendre le v.2 comme un renforcement du v.1, on peut le comprendre comme cherchant au contraire à prévenir la caricature de l'humilité (en effacement, en écrasement) que risquait d'induire ce v.1.

    La possibilité de cette interprétation me semble ratifiée par la suite mon être est sur moi comme un enfant sevré sur sa mère. Sevré est essentiel : si on traduit nourrisson, bébé, ou même petit enfant, on fait de l'enluminure une image pieuse. Le tranchant du texte se perd dans le gnangnan.

    Le sevrage d'un enfant ne se fait pas toujours sans déchirement. Pas facile de renoncer à une relation où l'on fait corps avec sa nourrice, dans un fantasme de toute puissance et de sécurité, dans une bulle narcissique dont on gardera à tout jamais la nostalgie.

    Le sevrage est une étape difficile à vivre, il ne porte ni au calme ni au silence.

    Il a quelque chose de violent.

    Mais non pas de destructeur, au contraire, dit la suite du texte.