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  • Balance ton bourrin

    « N'importe quel affect de chaque individu discorde (discrepat = dissonne) de l'affect d'un autre autant que l'essence de l'un diffère de l'essence de l'autre. »

    (Spinoza Éthique part.3 prop.57)

     

    Dans la démonstration, Spinoza rappelle que tout affect dérive du désir, coloré en joie ou tristesse (cf scol prop.11), ce désir qui est « la nature ou l'essence-même de chacun » (dém prop.57)

    « De là suit que les affects des animaux que l'on dit privés de raison (car les bêtes sentent, nous ne pouvons absolument plus en douter à présent que nous connaissons l'origine de l'esprit) diffèrent des affects des hommes autant que leur nature diffère de la nature humaine. Cheval et homme, c'est vrai, sont tous deux emportés par la lubricité de procréer ; mais l'un, c'est une lubricité de cheval, et l'autre, d'homme.

    (scolie prop.57)

     

    La parenthèse est clairement un « à bon entendeur salut » à destination de certains de ses amis cartésiens trop cartésiens, accrochés au concept des animaux machines. La fin de la phrase montre cependant que ce n'est pas pour autant que Spinoza fait dans l'antispécisme.

    Pour lui un être humain a quelque chose, sinon de plus qu'un animal, du moins de vraiment différent.

    Où se joue la différence ? « Un homme ça s'empêche » dit Camus. C'est le choix d'un moins qui permet un mieux.

    Dans ma partialité, voire mauvaise foi bien féminine, je me demande si la phrase vise l'être humain en général ou un peu plus les mecs ?

    Spinoza pour sa part écrit homo et pas vir. Cependant l'exemple semble adresser le message plutôt à ses frères en virilité « eh les mecs, soyons des amoureux et pas des bourrins ».*

     

    « Le contentement de l'un discorde en nature du contentement de l'autre autant que l'essence de l'un diffère de l'essence de l'autre. Il suit (…) que la différence non plus n'est pas mince entre le contentement qui, par ex. mène l'ivrogne, et le contentement que possède le philosophe, ce que j'ai voulu faire remarquer au passage. »

    (scol prop.57)

     

    Voilà qui sent encore le sous-texte**. Pas nécessairement ou seulement à destination des autres. On peut aimer le vin et la philosophie.

    Et donc risquer d'être mené (ducitur) par un contentement ivrogne : face passive. Mais, face active, le contentement du philosophe est dans le pouvoir (le texte dit potitur) qu'il possède.

    Lequel ? Ne pas se laisser mener par le bout du nez (ou tout autre bout), mais au contraire prendre les choses par le bon bout de la raison (selon l'expression de Rouletabille, autre éminent philosophe).

     

    *Du point de vue philosophique on est loin du cynisme de Diogène.

    **(cf D'une âme ingrate)

     

  • Quelque chose qu'il nie des autres

    « (La) tristesse qu'accompagne l'idée de notre faiblesse s'appelle humilité ; et la joie qui naît de la contemplation de nous-mêmes, amour-propre (philautia) ou bien satisfaction de soi (acquiescentia in se ipso). »

    (Spinoza Éthique part.3 scolie prop.55)

     

    Le problème pour la phil-autia c'est qu'on manque d'auto-nomie, assujetti qu'on est au conformisme social humain trop humain*.

    Si bien que pour s'assurer qu'on est quelqu'un, qu'on le reste, on va en chercher toujours plus de preuves dans l'admiration d'autrui (facebook un jour facebook toujours).

     

    « De là vient que chacun adore raconter ses hauts faits et faire étalage de ses forces tant corporelles que spirituelles, et que les hommes, pour cette raison, sont pénibles les uns aux autres. »

    Phénomène déjà rencontré avec le grotesque orgueilleux (cf Mytho). Ici cette pénibilité révèle pleinement sa face obscure.

    « D'où de nouveau il suit que les hommes sont envieux par nature, autrement dit se réjouissent de la faiblesse de leurs égaux et, au contraire, sont attristés de leur vertu. »

    Leurs égaux. L'égalité essentielle qui fait de chacun un exemplaire de l'humaine condition. Mais précisément l'envie, naturelle à cette humaine condition, fait que chacun veut sortir du lot, être plus égal.

    Il est d'autant plus content de lui « qu'il peut mieux (se) contempler comme une chose singulière. » Là on dit oui OK, où est le mal ?

     

    « Et donc, là où chacun se réjouira le plus à se contempler lui-même, c'est quand il contemple en lui-même quelque chose qu'il nie de tous les autres. Mais si ce qu'il affirme de soi, il le rapporte à l'idée universelle d'homme ou bien d'animal, il ne se réjouira pas autant (…) il sera attristé s'il imagine que ses actions, comparées à celles des autres, sont plus faibles, tristesse que du reste il s'efforcera d'éloigner, et ce en interprétant de travers les actions de ses égaux ou en enjolivant les siennes autant qu'il peut. »

    Enjoliver ses actions, bon : Tartarin de Tarascon fait rire. Mais interpréter de travers (formule lourde de calomnies et diffamations) les actions des autres pour les rabaisser, là ça commence à craindre.

    Après quoi le scolie finit de nous plomber avec cette remarque trop souvent vérifiée :

    « À quoi s'ajoute l'éducation même. Car les parents, d'ordinaire, incitent leurs enfants à la vertu par le seul aiguillon de l'honneur et de l'envie. »

     

    *prop.29 : Nous nous efforcerons de faire tout ce que nous imaginons que les hommes considèrent avec joie, et au contraire nous aurons de l'aversion à faire ce que nous imaginons que les hommes ont en aversion. (cf Habituellement humanité)

  • Opium du peuple

    « L'amour et la haine à l'égard d'une chose que nous imaginons être libre doivent l'un et l'autre être plus grands, à cause égale, qu'à l'égard d'une chose nécessaire »

    (Spinoza Éthique part.3 prop.49)

     

    « De là suit que les hommes, du fait qu'ils s'estiment libres, se poursuivent les uns les autres d'un amour ou bien d'une haine bien plus grands qu'ils ne font des autres choses ; à quoi s'ajoute l'imitation des affects ».

    (scolie prop.49)

     

    D'où l'intérêt, pour esquiver une probable haine, d'arriver à convaincre les autres que le mal qu'on leur inflige est chose nécessaire.

    « C'est comme ça, c'est une loi de la vie, de l'économie (le célèbre there is no alternative de Thatcher en son temps), ou encore c'est la volonté de (tel ou tel) Dieu ».

    Ce qui amène naturellement la question : comment se fait-il que tous les perdants, les malmenés, les sacrifiés de ces fausses nécessités se laissent convaincre ?

     

    Réponse : Nous sommes par nature ainsi constitués que nous croyons facilement à ce que nous espérons, et difficilement à ce qui nous fait peur, et que nous en faisons soit plus soit moins de cas qu'il n'est juste. Et c'est de là que sont nées les superstitions auxquelles les hommes sont partout en proie. (Scolie prop.50)

    C'est à dire que la superstition nous convainc plus que la raison, triste réalité.

     

    Exemple aujourd'hui. Pourquoi est-on porté à minimiser (faire moins de cas qu'il n'est juste) le changement climatique dont l'emballement de plus en plus évident rapproche les conséquences destructrices non plus à moyen mais à court terme ?

    C'est que ça fait vraiment trop peur. À quoi s'ajoute l'imitation des affects (cf Raccord) : après tout, les autres y zont pas l'air de s'en faire. Alors pourquoi que je m'en ferais ? Les autres y font pas d'efforts de sobriété pour éviter la cata. Alors pourquoi que j'en ferais, moi, des efforts ?

     

    Ainsi se rend-on sourd à la raison qui appelle à modifier d'urgence notre mode de vie, et on préfère penser : la science trouvera bien une solution. Et l'on s'en remet passivement à ce qu'il faut bien appeler une superstition technologique.

    Paradoxal, non ? Je dirais même plus : oxymorique.