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  • Etoiles filantes (1/7)

    Madeleine est une vieille dame. Une vieille dame un peu triste par moments. Elle a vécu longtemps heureuse avec son mari, Léon. Elle a eu beaucoup d'amis. Mais le temps a passé, Léon est mort. Les amis aussi sont morts, les uns après les autres.

    Madeleine est seule.

     

    Elle pense parfois aux enfants qu'elle n'a pas eus. Aujourd'hui ce serait bon de les avoir autour de la table pour un repas de fête. Avec aussi les enfants qu'ils auraient eus à leur tour.

     

    Tout ce sang qui s'écoulait d'elle. Elle avait saigné si longtemps. Après elle ne se souvient plus très bien. L'hôpital, les blouses blanches, le regard du docteur derrière ses lunettes.

    Voilà : Madeleine, la jeune Madeleine de vingt-cinq ans, n'aurait jamais d'enfants ni de petits enfants.

    Et puis la jeune femme était devenue la vieille Madeleine, seule dans sa maison vide.

     

    Elle sort de moins en moins. Elle regarde beaucoup la télévision. C'est comme se promener dans la rue, mais sans les tiraillements dans ses reins, sans la fatigue de traîner ses vieilles jambes, sans la douleur après quand il faut les allonger sur le lit, un coussin sous les chevilles.

    A la télé c'est plein de gens, d'inconnus interchangeables qui lui sourient comme des amis. Qui sourient indifféremment à toutes les autres Madeleines qu'elle imagine parfois, pareillement devant leur poste, dans une robe de chambre du même tissu, dans une maison semblable imprégnée de la même odeur de quotidien doucement insipide, veuves elles aussi de la tendresse de leur Léon.

     

    Mais ce soir Madeleine n'a pas allumé la télévision.

    Ce soir soudainement, la télécommande en main, elle a suspendu son geste, sans savoir pourquoi. Puis elle est restée un long moment debout à la fenêtre, sans allumer non plus la lampe, tandis que la nuit venait peu à peu. Elle a regardé pourtant sa télévision, cet objet-là, restant de longues minutes fascinée par l'œil rouge au bas de l'écran opaque.

    C'était comme une toute petite braise.

    Une petite braise ... Tiens, et si elle se faisait un feu dans la cheminée, ce soir ?

     

  • En un mot Spinoza

    « J'entends ici sous le nom de désir (cupiditas) tous les efforts (conatus), impulsions (impetus) appétits (appetitus) et volitions (volitio) de l'homme, lesquels varient en fonction des variations de l'état d'un même homme, et il n'est pas rare de les voir tellement opposés entre eux que l'homme, tiraillé en des sens divers, ne sache où se tourner. »

    (Spinoza Éthique part.3 explication déf.1)

     

    Alors comment faire ? C'est la question de la partie 4 d'Éthique. Que nous ne lirons pas ensemble (je vais faire une pause de prise de tête).

    Mais je vous pitche le truc : la partie 3 a présenté forces en présence (les affects) et champ de bataille (l'être humain corps et intellect). La partie 4 va exposer la stratégie pour mener la guerre de libération.

     

    1) « Un affect ne peut être réprimé ni supprimé si ce n'est par un affect contraire et plus fort que l'affect à réprimer. » (part.4 prop.7).

    Ajoutons pour éviter d'errer du côté volonté et libre arbitre « La vraie connaissance du bien et du mal, en tant que vraie, ne peut réprimer aucun affect, mais seulement en tant qu'on la considère comme un affect. » (part.4 prop.14)

    Bref tout se joue dans le fonctionnement de la machine à affects que nous sommes. Machine de précision : il est nécessaire d'en étudier finement les rouages pour son usage optimal.

     

    2) Le désir est l'essence de l'homme.

    Une essence volatile caractérisée par sa dynamique ininterrompue d'adaptation aux variations de l'environnement naturel, relationnel, sociétal.

    C'est pourquoi l'éthique est sociale et politique. Ou elle n'est pas.

    " Il est avant tout utile aux hommes de nouer des relations et de s'enchaîner de ces liens par lesquels ils fassent d'eux tous un seul plus apte "

    Pour cela " il faut de l'art et de la vigilance. Car les hommes sont (…) la plupart envieux, et plus enclins à la vengeance qu'à la miséricorde. Et donc, supporter chacun d'eux avec son tempérament et se retenir d'imiter leurs affects, demande une singulière puissance d'âme. " Je signale au passage que Maxime Rovère précise cette puissance dans son livre "Que faire des cons ?"  sous titré "pour ne pas en devenir un soi-même". (Vaste programme ...)

    Puissance qui ne consiste surtout pas "à critiquer les hommes, réprouver les vices", attitude juste bonne "à briser les âmes d'hommes au lieu de les affermir" (cf part.4 chap 12 et 13)

     

    Cette singulière puissance d'âme combine « vaillance et générosité. Par vaillance (animositas, force d'âme) j'entends le désir par lequel chacun s'efforce de conserver son être sous la seule dictée de la raison. Et par générosité, j'entends le désir par lequel chacun, sous la seule dictée de la raison, s'efforce d'aider les autres hommes et de se les lier d'amitié. » (Scolie prop.59)

     

    Et moi, par homme au souffle ardent, homme vigilant et généreux, j'entends en un mot Spinoza.

  • Antidotes anti-talion

    « Après ce qu'on a dit il est clair, je crois, pour chacun, que les affects peuvent se combiner entre eux de tant de manières, et il peut en naître tant de variétés, qu'on ne peut les dénombrer. Mais il suffit à mon dessein d'avoir énuméré les principaux ; car les autres que j'ai omis seraient plus curieux qu'utiles. »

    (Spinoza Éthique part.3 scolie prop.59)

     

    Cependant, dans sa précision scrupuleuse, Spinoza juge utile de terminer sa 3° partie en reprenant dans l'ordre les définitions d'affects, et en y intercalant ce qu'il faut observer de chacune.

    On a ainsi les définitions de 46 affects selon le schéma joie/tristesse, qui permet de mettre en face de chaque affect son contraire.

    Une récapitulation idéale pour lecteur pressé et/ou paresseux (mais je sais que tu n'es ni l'un ni l'autre, ma lectrice, mon lecteur) (sinon tu ne serais plus là depuis longtemps).

    Je n'en retiens que ces deux passages fondamentaux.

     

    « Il n'y a pas à s'étonner du fait qu'absolument tous les actes dont on a coutume de dire qu'ils sont 'mal' soient suivis de tristesse, et ceux qu'on dit 'bien', de joie. Car cela dépend au plus haut point de l'éducation (…)

    Ce sont les parents qui, en réprouvant ceux-là, en en faisant souvent reproche à leurs enfants, et au contraire en conseillant ceux-ci, en en faisant l'éloge, ont fait qu'à ceux-là se sont trouvés joints des mouvements de tristesse, et de joie à ceux-ci (…)

    Donc chacun se repent d'un acte ou s'en glorifie* selon qu'il est éduqué. »

    (Spinoza Éthique part.3 explication déf.27)

     

    « La colère est le désir qui nous incite, par haine, à faire du mal à celui que nous haïssons » (déf.36)

    «La vengeance est le désir qui nous excite, par haine réciproque, à faire du mal à qui, pareillement affecté, nous a infligé un dommage. » (déf.37)

    « La cruauté ou férocité est le désir qui excite quelqu'un à faire du mal à qui nous aimons, ou à qui nous fait pitié. » (déf.38)

     

    « À la cruauté s'oppose la clémence, qui n'est pas une passion, mais une puissance de l'âme par laquelle l'homme maîtrise colère et vengeance. » (Explication déf.38)

     

    D'où les antidotes anti-talion, anti-violence : l'éducation et la clémence, l'éducation à la clémence.

     

    *Sur gloire et repentir cf Satisfaction de soi et Pénible à tous