Le scolie sur la jalousie cité la dernière fois est un exemple frappant d'un fait que tout lecteur d'Éthique est amené à remarquer.
Dans les définitions et propositions, Spinoza déroule son raisonnement avec une impassibilité bien géométrique.
Mais les scolies qu'il y adjoint régulièrement, dans un souci de concrétisation de sa pensée, deviennent l'occasion de "se lâcher", voire de régler quelques comptes personnels.
Il le fait souvent sur un ton ironique, comme on l'a vu à propos du glorieux pénible à tous. Parfois avec une désarmante impertinence, comme envers le grand Descartes qu'il admirait profondément (Introduction part.3).
D'autres fois le ton se fait désabusé :
« il appert (il ressort avec évidence) que les hommes sont bien plus disposés à la vengeance qu'à rendre le bienfait. » (part.3 scolie prop.41)
D'autres fois encore c'est même l'amertume, et jusqu'à la violence du scolie sur la jalousie vu la dernière fois.
Bref Spinoza est un homme comme un autre, affecté d'une contradiction bien humaine. Il peut s'ouvrir un accès à l'impassibilité, grâce à l'exercice de la puissance de l'esprit, ce mode où tout n'est qu'ordre et géométrie.
Et comme son esprit à lui est particulièrement puissant, ça marche pas mal en général.
Mais en même temps il ne cesse d'être passible de vulnérabilité, susceptible des embrouillaminis affectifs du mode rugueuse réalité.
Ses écorchures à la rugosité de la vie, on peut à l'occasion les lire entre les lignes. Ainsi se devine dans la prop.42 une souffrance à la mesure de la générosité du projet de nous conduire comme par la main à la connaissance de l'esprit humain et de sa suprême béatitude :
« Qui a, mû par amour ou espérance de gloire*, fait du bien à quelqu'un, sera attristé s'il voit son bienfait reçu d'une âme ingrate. »
*Ben oui aussi. "De dire de soi moins qu'il n'y a n'est pas humilité mais sottise", comme dit (à peu près) Montaigne.