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Blog - Page 176

  • Un temps pour tout (15/16) Illumine les yeux

    La question du soleil dans le texte du Qohélet, le rapport entre l'ombre et la lumière, suscite à bien des égards le rapprochement avec un autre texte biblique, le psaume 19.

    Vu que je suis toujours d'accord avec ce que j'en ai dit dans ce blog (sept 2018), j'y renverrais bien le lecteur-trice. Mais bon il aura la flemme d'aller voir je n'en doute pas (lucidité quand tu nous tiens).

    Je rappelle donc le propos, et son rapport à notre lecture actuelle.

     

    Le ps 19 commence « Les cieux racontent la présence d'El, et le firmament décrit l'œuvre de ses mains » (v.2). Pas franchement raccord avec tout est vanité sous le soleil.

    Sauf que ça continue « Le jour pour le jour exhale le dire, et la nuit pour la nuit vivifie la connaissance » : thématique semblable dans les deux textes du contraste entre l'ombre et la lumière.

    « Nul dire, nulle parole dont le son puisse s'entendre. » : même impossibilité de discerner le dessein de Dieu, voire de lui en supposer un.

    Le tout consonne chez le Qohélet avec « Il fait toute chose belle en son temps ; à leur cœur il donne même le sens de la durée sans que l'homme puisse découvrir l'œuvre que fait Dieu depuis le début jusqu'à la fin. » (3,11)

     

    Autre point de convergence important : le statut de rhapsode de leurs auteurs. Qohélet le revendique on l'a vu (1/16). Le psaume 19 est visiblement composé à partir de deux textes différents cousus ensemble, avec une couture repérable au brusque changement thématique*, assorti d'un changement du nom divin (d'El à YHWH).

     

    Enfin si le psaume présente une création plutôt lumineuse et harmonieuse et Qohélet un monde assombri du brouillard des vanités, les deux y proposent à l'être humain, in fine, le même chemin de sagesse et de joie.

    « L'enseignement de YHWH, parfait, convertit l'être, le témoignage de YHWH, fidèle, donne au simple la sagesse.

    Les préceptes de YHWH, droits, réjouissent le cœur ; le commandement de YHWH, lumineux, illumine les yeux. » (ps 19, 8-9)

     

    Qohélet formule la même idée, même si c'est de façon plus sobre et nettement  moins poétique : « Fin du discours : Tout a été entendu. Crains Dieu et observe les commandements, car c'est là tout l'humain. » (Qo 12,13)

     

    Pour finir mon discours à moi, c'est sur cette fin du discours que je reviendrai la prochaine fois.

     

     

    *du tableau grandiose de la nature à l'évocation d'un homme à sa table d'étude, lisant la torah.

     

  • Un temps pour tout (14/16) Voir le soleil

    « Au jour du bonheur, sois heureux, et au jour du malheur, regarde : celui-ci autant que celui-là, Dieu les a faits. » (Qo 7,14)

     

    « Si l'homme vit de nombreuses années, qu'il se réjouisse en elles toutes, mais qu'il se souvienne que les jours sombres sont nombreux, que tout ce qui vient est vanité. » (11,8)

     

    La conjonction des deux sagesses, stoïcienne et épicurienne, ramène à l'idée qu'il y a un temps pour tout, rencontrée au début du chapitre 3 (cf 10/16)

    On a vu que grâce a elle Qohélet relativisait la bipolarité de son tempérament mélancolique.

    Ici, presque à la fin, Qohélet y revient. Rien de nouveau dans son texte comme sous le soleil ?

    Je vois deux choses qui font que cette reprise n'est pas répétition.

     

    Après plusieurs spirales d'entrelacement des fils sombres et lumineux, une chose apparaît : la bipolarité n'est pas juste le ressenti d'un poète, d'un philosophe un peu mélancolique. Elle est la caractéristique objective de toute vie.

    Si Qohélet et quelques autres qui lui ressemblent (tel Montaigne) s'en font l'écho mieux que d'autres, c'est tout simplement qu'ils y résonnent intimement, comme la corde vibre sur la bonne fréquence.

     

    La deuxième chose, c'est ça :

    « La sagesse est bonne comme un héritage, elle profite à ceux qui voient le soleil. » (Qo 7,11)

    « Douce est la lumière, c'est un plaisir pour les yeux de voir le soleil. » (11,7)

     

    Tout est vanité sous le soleil. Précisément : sous le soleil.

    Le brouillard des vanités peut cacher le soleil, mais il ne peut l'empêcher de briller, il ne peut l'empêcher d'être le soleil. La question est donc de se rendre capable du plaisir de voir le monde à la clarté du soleil sans qui les choses ne seraient que ce qu'elles sont, c'est à dire vanités.

    C'est à cet ensoleillement du regard que commence (et finit) tout effort de sagesse.

    Mais on est d'accord, c'est plus facile les jours clairs où rien ne le cache, le soleil.

    Ou alors faut chercher un autre soleil.

     

  • Un temps pour tout (13/16) Et je fais l'éloge de la joie

    « Je vois qu'il n'y a rien de mieux pour l'humain que de jouir de ses œuvres car telle est sa part. » (Qo 3,22)

     

    Le comparatif mieux énonce la relativité, écarte l'absolu. La phrase répond, dirait-on, à « Dieu vit tout ce qu'il avait fait. Voilà, c'était très bon. » (Gen1,31).

    Réponse précautionneuse que ce comparatif, face au superlatif proclamé par le divin dans l'enthousiasme de son acte créateur. Telle est sa part  est affirmation d'humilité (humus = adama), renonciation à l'hubris.

    Chacun son domaine : à Dieu l'absolu de la vie, à l'humain une part de vie, limitée. Sa vie.

     

    Ce carpe diem va devenir l'autre refrain du texte, en contrepoint régulier de la ritournelle sur la vanité. Le fils lumineux entrelacé au fil noir (cf 6/16).

    Pour mieux en saisir la portée, mettons-le en regard de la double invalidation de l'existence à laquelle il répond. D'abord la mort est le dernier mot de l'existence.

    En outre, contrairement aux croyances religieuses, vaines comme le reste, nulle justice transcendante pour réparer dans l'au-delà une existence qui aura rencontré l'injustice et la souffrance ici-bas.

    « Regardez les pleurs des opprimés : ils n'ont pas de consolateur (…) Et moi je félicite les morts qui sont déjà morts plutôt que les vivants qui sont encore en vie. Et plus heureux que les deux celui qui n'a pas encore été, puisqu'il n'a pas vu l'œuvre mauvaise qui se pratique sous le soleil. » (4,1-3)

    « Il y a une chose certaine : un chien vivant vaut mieux qu'un lion mort. Car les vivants savent qu'ils mourront ; mais les morts ne savent rien du tout (…)

    Tout ce que ta main se trouve capable de faire, fais-le par tes propres forces ; car il n'y a ni œuvre ni bilan ni sagesse dans le séjour des morts où tu t'en iras. » (9, 4-5 et 10)

     

    Bref le Qohélet a compris Que philosopher c'est apprendre à mourir. C'est son côté stoïcien.

    Cependant, comme Montaigne, il apprendra surtout à tracer son chemin personnel d'existence, en associant à la lucidité stoïcienne, parfois abstraite, une vision épicurienne terre à terre, proposant à l'adam de limiter son désir aux plaisirs naturels et nécessaires.

    Le mieux qu'on ait à faire de sa vie, c'est cultiver au jour le jour le plaisir de vivre. Ni plus ni moins.

    « Il est un fait, sur la terre, qui est vanité : il est des justes qui sont traités selon le fait des méchants et des méchants qui sont traités selon le fait des justes.

    J'ai déjà dit que cela est vanité et je fais l'éloge de la joie ; car il n'y a pour l'homme sous le soleil rien de bon sinon de manger, de boire, de se réjouir ; et cela l'accompagne dans son travail durant les jours d'existence que Dieu lui donne sous le soleil. » (8,14)

    La vie est vanité, on vit pour rien. La joie de vivre est l'autre face du pour rien, sa face lumineuse. La joie de la gratuité.