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Blog - Page 178

  • Un temps pour tout (9/16) Tout ça pour ça

    Dans la vanité des choses, finalement le seul but vraiment utile qu'on puisse se donner dans l'existence est la recherche du bonheur, se dit le Qohélet

    « Je me suis dit en moi-même : allons que je t'éprouve par la joie, goûte au bonheur ! » (Qo 2,1)

     

    Alors il décide d'explorer les voies réputées conduire au bonheur.

    « J'ai entrepris de grandes œuvres : je me suis bâti des maisons, planté des vignes (ben oui quand même), je me suis fait des jardins et des vergers, j'y ai planté toutes sortes d'arbres fruitiers, je me suis fait des bassins pour arroser de leur eau une forêt de jeunes arbres. » (Qo 2, 4-6)

    Le roi a donc été un être humain agissant sur le monde pour lui faire donner son fruit, conformément au projet de Dieu soi-même  :

    « Dieu prit l'adam et l'établit dans le jardin d'Eden pour le cultiver et le garder. » (Gen 2, 15)

    « L'homme d'action ne lâchera pas le monde extérieur sur lequel il peut éprouver sa force. » dit Freud pour sa part  (Malaise dans la culture chap.2).

    C'est un passage de Malaise où il suggère une typologie humaine selon la façon de chercher le bonheur et d'éviter la douleur.

    Outre l'homme d'action il évoque « l'homme principalement érotique (qui) privilégiera les relations de sentiments à d'autres personnes ».

    Une chose que le Qohélet a faite aussi : «Je me suis procuré des chanteurs et chanteuses, et, délices des fils d'Adam, une dame, des dames. » (Qo 2, 8).

    (allusion au harem de Salomon).

    Résultat ? « Eh bien ! Tout cela est vanité et poursuite de vent, on n'en a aucun profit sous le soleil. » (Qo 2, 11).

     

    Alors, dit Freud, c'est que tu dois être du troisième type : « Le narcissique qui incline plutôt à se suffire à lui-même cherchera dans ses processus animiques internes les satisfactions essentielles ».

    Je t'ai attendu, peut être ? (semble répondre le texte)

    Mais oui j'ai essayé ça aussi, le « travail sur soi », le « développement personnel » :

    « Je me suis aussi tourné, pour les considérer, vers sagesse, folie et sottise.

    (…) Le sage a les yeux là où il faut, l'insensé marche dans les ténébres. Mais je sais, moi, qu'à tous les deux un même sort arrivera.

    Alors moi je me dis en moi-même : ce qui arrive à l'insensé m'arrivera aussi, pourquoi donc ai-je été si sage ? Je me dis à moi-même que cela aussi est vanité. » (Qo 2, 12-15)

     

    Bref, j'ai tout essayé. Conclusion : tout ça pour ça.

    Plaisirs du corps, richesse, accomplissement d'un travail, d'une œuvre, vie relationnelle, famille, savoir, sagesse, vertu, jusqu'aux rites religieux (Qo 5, 1) : tout est vanité.

    « Voilà, je déteste la vie, car je trouve mauvais tout ce qui se fait sous le soleil : tout est vanité et poursuite de vent. » (Qo 2, 17)

  • Un temps pour tout (8/16) Un monde à soi

    Pour être heureux, être fou : très bien. Mais comment ?

    « J'ai délibéré en mon cœur de traîner ma chair dans le vin » (Qo 2, 3)

     

    Non mais sérieux : Traîner ma chair dans le vin ? Ça veut dire quoi : prendre un bain au Château-Yquem ? Boire ou traduire faut choisir, les mecs. Ou alors ils ont fumé (pour rester dans le contexte) un tapis offert par la reine de Saba à Salomon ?

    Ils essaient de se rattraper avec la note : le vin représente ici les jouissances matérielles. On comprend ce qu'ils ont en tête : j'ai décidé de traîner dans les bars, où le vin me donnera accès à d'autres jouissances matérielles.

    En clair tu fais boire la meuf pour la pécho plus facilement.

     

    À mon humble avis, c'est voir les choses par le petit bout de la lorgnette, si j'ose dire. Je pense que l'idée de ce verset rejoint plutôt ceci :

    « L'action des stupéfiants dans le combat pour le bonheur et le maintien à distance de la misère est à ce point appréciée comme un bienfait que les individus, comme les peuples, leur ont accordé une solide position dans leur économie libidinale (…)

    Ne sait-on pas qu'avec l'aide du 'briseur de souci' (le vin, référence à un poème de Goethe) on peut se soustraire à chaque instant à la pression de la réalité et trouver refuge dans un monde à soi offrant des conditions de sensations meilleures ? »

    (Freud. Malaise dans la culture chap.2)

     

    Plus parlant, non ?

    Freud continue :

    « Il est connu que c'est précisément cette propriété des stupéfiants qui conditionne aussi leur danger et leur nocivité. Ils portent le cas échéant la responsabilité de ce que de grands montants d'énergie qui pourraient être utilisés pour l'amélioration du sort des hommes se trouvent perdus sans profit. »

    (Au passage, on voit le rapport, Sigmund l'avait en tête j'en suis sûre, avec la notion marxiste d'opium du peuple).

     

    Le Qohélet, lui, continue ainsi :

    « Mon cœur s'est conduit avec sagesse pour saisir la folie, le temps de voir ce qu'il est bien pour les fils de l'adam de faire sous le ciel, pendant les jours comptés de leur vie »

    (je panache ici les deux traductions dont je dispose, pour aller au plus clair) (c'était pas gagné).

     

    Saisir la folie mais juste le temps de voir. Car il semble se dire : le briseur de souci, ça va un moment, vu que mes jours sont comptés.

    Je vais arrêter de perdre du temps et de grands montants d'énergie que je ferais mieux d'utiliser, en temps que roi, pour l'amélioration du sort des hommes.

    Et déjà pour l'amélioration de mon propre sort, en tant que moi.

     

  • Un temps pour tout (7/16) Un intérêt malin

    « J'ai eu à cœur de chercher et d'explorer par la sagesse tout ce qui se fait sous le ciel. » (Qo1,13)

     

    Le Qohélet prend la parole pour raconter son exploration existentielle dans le brouillard de vanité et de non-sens, avec pour boussole la sagesse. Normal.

    En tant que roi Salomon, parangon de sagesse, il a une réputation à tenir.

    Je rappelle au passage que ladite réputation de sage repose surtout sur un fameux jugement (1er livre des Rois, chap.3, v.16-28), dans lequel notre roi-rassembleur propose une division pour le moins radicale. Piquant, non ?

    En fait l'épisode montre surtout son pragmatisme, qui se retrouve aussi dans ce livre.

     

    À propos de la sagesse, pour le Qohélet une chose est claire : ça nuit. Ben oui, comme se coucher tard (salut au grand Devos).

    Et d'ailleurs ça fait souvent se coucher tard. Et mal dormir. Bref

    « C'est une occupation de malheur que Dieu a donnée aux fils d'Adam pour qu'ils s'y appliquent » (1,13)

    Chouraqui dit carrément « C'est un intérêt malin qu'Elohim donne aux fils de l'humain pour s'en faire du mal. »

    Sa formulation m'intéresse davantage, car comment ne pas la rapprocher de la mise en garde divine à propos de l'arbre du connaître bien et mal ? Laquelle sera transgressée moyennant le conseil d'un serpent fort malin (Gen 2 v.16-17 et 3 v.1-4)

     

    Le texte de Genèse 2/3, remarquons-le, met devant un fameux paradoxe, et même ce qu'il faut appeler un double bind. (Fréquent dans la Bible cf 2/16).

    Les auteurs de la Genèse sont des sages qui s'en prennent à la sagesse. Le Qohélet fait de même.

    C'est là encore ce que fait souvent Montaigne. En particulier dans l'Apologie de Raimond Sebon (Essais II,12). Encore que, plus que la sagesse, ce soit la raison qu'il questionne dans ce chapitre. Avec l'idée que raison et sagesse ne sont pas toujours superposables.

     

    N'est-ce pas la raison, entendue comme calcul rationnel, vision comptable en gains et pertes, qui conclut que tout est vanité ?

    « Ce qui est tordu ne peut se réparer, ce qui manque ne peut être compté. » (1,15) ou encore

    « En beaucoup de sagesse il y a beaucoup d'affliction ; qui augmente le savoir augmente la douleur. »

     

    C'est pour cela que, retournant comme un gant cette logique implacable, le Qohélet décide de prendre les choses dans l'autre sens.

    La sagesse est un intérêt malin ? Soyons plus malins, essayons la folie.