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Blog - Page 177

  • Un temps pour tout (12/16) Telle est sa part

    Foi en la providence, en une justice transcendante qui compensera un jour les souffrances …

    Sauf que tôt ou tard, un jour ou l'autre, on vient buter sur le mur de la réalité ultime. On a beau se raconter toutes les histoires qu'on veut, qu'on peut, on sait bien au fond que c'est elle qui a toujours le dernier mot.

    « Tout va vers un lieu unique, tout vient de la poussière et tout retourne à la poussière. Qui sait si le souffle des fils d'Adam monte vers le haut tandis que le souffle des bêtes descend vers la terre ?»

    (Qo 3,20-21)

     

    Question rhétorique qui récuse, dans une logique matérialiste, la notion d'immortalité de l'âme (comme dans la plupart des textes bibliques du premier testament).

    Quand le déserte le souffle de vie, ne reste de l'Adam que la poignée de terre dont il est fait, il se dilue en poussière. Poussière, fumée, deux métaphores jumelles de la radicale évanescence de l'existence humaine.

    Bilan de la recherche du Qohélet : non-sens en deçà, non-sens au delà. Le pari pascalien ? Même pas en rêve.

     

    Alors, pragmatique, il revient à la question du bonheur terrestre, la seule qui garde quelque validité.

    « Qui sait ce qui est le mieux pour l'humain pendant l'existence, pendant les nombreux jours de sa vaine existence qu'il passe comme une ombre ?» (6,12)

    Qui sait ? Il y a peut être un dieu pour savoir. Mais on a vu qu'il garde la réponse pour lui : « sans que l'homme puisse découvrir l'œuvre que fait Dieu depuis le début jusqu'à la fin ». (3,11)

     

    Alors le Qohélet se donne sa propre réponse.

    « Je vois qu'il n'y a rien de mieux pour l'homme que de jouir de ses œuvres car telle est sa part. Qui en effet l'emmènera voir ce qui sera après lui ? » (3,22)

     

    Jusqu'alors il voyait surtout la fumée, en était obnubilé. Mais il y a comme une éclaircie dans le brouillard et le Qohélet ici voit au mieux qu'il peut.

    Impossible d'accéder à l'après : très bien, reste maintenant. Telle est la part humaine du temps. La part qu'il peut tenir en main : jouir de ses œuvres à lui dans son temps à lui. C'est sur ce carpe diem que se termine le chapitre 3.

     

    Le texte, à cet endroit, a livré l'essentiel de son propos, à mon sens. Ensuite, il parcourt une spirale de répétition. Comme si l'on montait et descendait un escalier, avec, sans surprise, vanité à tous les étages.

    L'espoir de justice, le succès, le pouvoir (chap.4,10), la religion elle-même car Dieu est dans le ciel et toi sur la terre (chap.5,1). La richesse, une vie longue (chap.6), la sagesse (chap.7,8,11) : vanités sur vanités, juste des nuances de noir dans la fumée.

     

  • Un temps pour tout (11/16) Qui sait ?

    Le Qohélet a commencé le chapitre 3 en alternant champ/contrechamp, et avec la caméra à l'épaule, à hauteur d'homme.

    À partir du v.9 il élargit la perspective, se place en surplomb pour considérer les choses du point de vue divin. Le point de vue à même, espère-t-il, de le sortir du brouillard pour trouver réponse à la question cruciale qu'il a placée en plein milieu du livre (cf 6/16) :

    « Qui sait ce qui est le mieux pour l'humain pendant l'existence, pendant les nombreux jours de sa vaine existence qu'il passe comme une ombre ?  » (Qo 6,12)

     

    De ce point de vue en surplomb, que voit-il ?

    « Je vois l'occupation que Dieu a donnée au fils d'Adam pour qu'ils s'y occupent. » (Qo 3,10) Euh oui mais encore ?

    Heureusement Chouraqui explicite : « J'ai vu l'intérêt qu'Elohim a donné aux fils de l'humain pour s'en violenter ».

    « J'ai encore vu sous le soleil qu'au siège du jugement là était la méchanceté, et qu'au siège de la justice, là était la méchanceté ». (3,16)

     

    La lucidité du Qohélet (je vois, j'ai vu) le conduit donc à rencontrer la figure d'un dieu pas franchement empathique envers son adam, et pas davantage motivé à jouer au justicier transcendant.

    Déprimant décidément, non ?

    Alors, ne reste plus à Qohélet qu'à essayer la méthode Coué :

    « Il fait toute chose belle en son temps ; à leur cœur il donne même le sens de la durée sans que l'homme puisse découvrir l'œuvre que fait Dieu depuis le début jusqu'à la fin. » (3,11)

    Si je vois les choses en noir, c'est que ma vision est limitée. La beauté, l'achèvement de la construction divine ne sautent pas aux yeux mais, j'en ai l'intuition dans mon cœur, cette beauté se révélera en son temps.

    L'alternance des moments positifs et négatifs (cf 10/16) ne peut que produire un équilibre satisfaisant, à terme l'œuvre divine tombera forcément juste.

     

    « Je sais que tout ce que fait Dieu, cela durera toujours ; il n'y a rien à ajouter, ni rien à retrancher, et Dieu fait en sorte qu'on ait de la crainte devant sa face. »(3,14)

    «Je me suis dit en moi-même : Dieu jugera le juste et le méchant, car il y a un temps pour chaque chose et pour chaque action. » (3,17)

    Je sais, je me suis dit tentent d'interpréter positivement le constat déprimant je vois j'ai vu. Pourquoi pas ? Tout est bon de ce qui aide à vivre.

    L'ennui, c'est que la méthode Coué, elle aussi, ne peut avoir qu'un temps.

     

  • Un temps pour tout (10/16) Tout est relatif

    Après son odyssée existentielle, le Qohélet est donc rendu, littéralement, au point mort. « Voilà, je déteste la vie. » (Qo 2,17)

    Une phrase qui fait écho à celles de Job « Pourquoi ne suis-je pas mort dès le sein ? Pourquoi donne-t-il la lumière à celui qui peine et la vie aux êtres amers ? »

    (Jb 3, v.11 et 20)

     

    Leurs situations sont au départ comparables, tous deux sont des hommes de biens et de bien : riches, puissants, pieux et sages.

    La différence c'est que l'auto-malédiction de Job est réaction aux malheurs qui le frappent, réponse à l'incompréhensible malédiction divine.

    Le Qohèlet, lui, est désespéré sans raison objective. Il a tout pour être heureux (comme on dit), mais, en proie à une prégnante anhédonie, il ne peut que ressasser tout est vanité.

    Cet écran de fumée* qui obscurcit sa vision du monde peut s'interpréter comme le symptôme de sa mélancolie.

     

    La mélancolie est souvent associée à la bipolarité. Une bipolarité en effet décelable dans la formule initiale, dont on peut suivre le ressassement au long du livre : tout est fumée sous le soleil. L'existence se présente comme un tableau en clair-obscur, structurée de contrastes entre ombre et lumière.

    Le chapitre 3 commence (v.1-8) en parcourant chaque détail du tableau, chaque déclinaison du binôme clair-obscur.

     

    Ce texte bien connu est simple et beau. Il passe en revue les différents domaines de la condition humaine (vie physique, psychique, relations, travail) pour en dédramatiser les aléas. Comment ?

    Littéralement, il les relativise, rendant visible simultanément chaque terme et son pôle complémentaire.

    Ainsi le passage de l'un à l'autre est replacé dans le cadre d'une alternance normale, prévisible. Et peut être même souhaitable.

     

    « Un temps pour enfanter et un temps pour mourir » (v.2)

    « Un temps pour chercher et un temps pour perdre » (v.6)

    « Un temps pour se taire et un temps pour parler » (v.7)

    « Un temps de guerre et un temps de paix ». (v.8)

     

    Cette oscillation finit par donner au texte un rythme rassurant de berceuse.

    Comme une berceuse, il apporte le calme, la paix.

     

    C'est déjà pas mal. Mais notre Qohélet voudrait bien en finir une bonne fois avec ses affres, émerger de son brouillard.

     

     

    *Même symptôme en fait chez Caïn (Gen 4, 4-6).