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Blog - Page 179

  • Un temps pour tout (6/16) Moi Qohélet

    Jusqu'ici c'était un ton impersonnel, un propos général, générique faudrait-il dire, concernant le genre humain dans son ensemble.

    Mais au v. 12 de ce premier chapitre, c'est l'irruption soudaine d'un je précis.

    « Moi, Qohélet, j'ai été roi sur Israël, à Jérusalem ».

     

    Ainsi se désigne Salomon, l'auteur présumé du livre (cf 1/16). Pourquoi cette soudaine entrée en scène ?

    Le propos radical tout est vanité se pose implicitement comme indiscutable avec le v.8 : les mots, on ne peut plus les dire. Et pourtant si, des lecteurs pour le discuter, il va s'en trouver.

    Ne serait-ce que pour demander, tout à fait logiquement : alors pourquoi tu parles ? Et puis : tout est vanité, on veut bien (façon de parler) mais ça reste à démontrer, à prouver. N'y a-t-il pas d'autres points de vue possibles ?

     

    Salomon-Qohélet va s'employer à démontrer la conclusion (paradoxalement posée en liminaire remarquons-le) (au cyclique comme au cyclique). Oui tout est vanité, je maintiens.

    Et pourquoi je parle ? Parce que je peux le faire tant que je suis vivant.

    Et j'en profite pour poser une question (qui se tient au cœur exact du texte : fin du chap.6 pour un livre qui en compte 12). La vie est vaine, mais il n'en est pas d'autre. Alors la seule question qui vaille est : comment se débrouiller au mieux dans le non-sens de la vie ?

    « En effet qui sait ce qui est le mieux pour l'humain pendant l'existence, pendant les nombreux jours de sa vaine existence qu'il passe comme une ombre ? » (Qo 6,12)

     

    Cette question constitue le point de nouage des deux fils avec lesquels le rhapsode tisse son texte.

    Avec un fil noir il déroule les circonstances de la vanité de toute chose. « J'ai vu toutes les œuvres qui se font sous le soleil ; mais voici que tout est vanité et poursuite de vent. » (1,14)

    Mais régulièrement il y entrelace le fils lumineux du mieux pour l'humain dans sa vaine existence.

     

    Cet entrelacement m'en évoque deux autres.

    Celui, c'est évident, qui organise les Essais (cf 3/16)

    Mais aussi celui par lequel Freud caractérise le rapport entre les pulsions de mort et de vie dans Malaise dans la culture.

    Il montre qu'elles sont inextricablement liées dans l'économie psychique de l'être humain, et par là sont les éléments nécessairement conjoints du fonctionnement de toute société humaine.

     

  • Un temps pour tout (5/16) Les mots usés

    « Quel profit y a-t-il pour l'humain de tout le travail qu'il fait sous le soleil ?

    (Qohélet 1,3)

     

    Pour éclairer (oui si je veux) la signification du soleil, regardons la séquence initiale du chapitre, délimitée par le retour de la clausule sous le soleil.

    Elle va du v.3 ci-dessus au v.9 : « Ce qui a été, c'est ce qui sera, ce qui s'est fait, c'est ce qui se fera : rien de nouveau sous le soleil. »

    Quel profit pour l'humain sous le soleil, rien de nouveau sous le soleil 

    Radicale constatation du non-sens. Aux deux sens.

    La vie ne progresse pas, n'avance pas. Et ne sert à rien.

    Colonne pertes : tout. Colonnes profit : rien. Tout est vanité.

     

    Une vie se déroulant selon un schéma cyclique du temps, rendu perceptible par la mécanique des éléments naturels.

     

    Aller-retour du soleil sur son orbite  « Le soleil se lève, et le soleil se couche ; il aspire à ce lieu d'où il se lève.» (v.5)

     

    Tournoiement d'un vent déboussolé  « Le vent va vers le midi et tourne vers le nord, le vent tourne, tourne et s'en va, et le vent reprend ses tours. » (v.6)

    Au passage : belle écriture, non ? Le Qohèlet est beaucoup de choses sans doute, mais surtout poète.

     

    Cycle de l'eau « Tous les torrents vont vers la mer, et la mer n'est pas remplie. » (v.7)

     

    Quant à la terre, l'auteur la caractérise à travers le corps de l'humain. Ce qui consonne avec le livre de la Genèse, où Adam est ainsi nommé car fait de la terre (adama).

    Au passage : conception écologique, non ? Cette communauté élémentaire comme fondant le lien indissociable entre l'être humain et sa planète-asile.

     

    « Tous les mots sont usés, on ne peut plus les dire, l'œil ne se contente pas de ce qu'il voit, et l'oreille ne se remplit pas de ce qu'elle entend. » (v.8)

    Les sens de l'humain, moyens de mise en relation avec le monde et les êtres qui le peuplent, sont eux aussi soumis à ce phénomène cyclique, négation de progrès et de gain.

    Ce qu'on voit, on ne l'imprime pas, ce qui entre par une oreille sort par l'autre. Et surtout les mots ne sont que paroles paroles …

    Après l'absence de sens comme direction le long d'une flèche du temps, on a ici l'absence de sens comme signification.

     

    Bref, état des lieux posé en ce début du livre : le monde tourne à vide, et la vie humaine est assignée à l'insignifiance.

    Les mots sont usés, on ne peut plus les dire ... Quoique.

    Le Qohélet ne se prive pas d'en dire quand même un certain nombre. Car le texte ne fait que commencer.

     

  • Un temps pour tout (4/16) L'ombre de ton ombre

    La formule initiale du livre (Qohélet 1, v.2) « Vanité des vanités, tout est vanité », frappe par son côté superlatif, absolu. La vanité envahit tout, recouvre tout, imprègne tout, impossible d'y échapper.

    Elle est comme l'air dans lequel on baigne, vivre c'est respirer la vanité.

     

    Le mot hébreu signifie littéralement fumée, vapeur, brouillard. Il désigne ce qui est évanescent, nébuleux.

    Ce mot c'est habèl. Voilà qui nous rappelle quelque chose, non ?

    Eh oui, c'est le nom-même donné au second fils d'Adam (le terrien) et Ève (la vivante), ce pauvre Abel, victime du premier meurtrier de l'humanité, son frère Caïn (mot qui signifie à peu près - vaguement ? -  le réalisé, le concrétisé).

     

    Comment ne pas se dire que cette histoire était courue d'avance, avec la tension posée par ces deux noms ?

    Nommé ainsi, le second fils n'est-il pas d'emblée assigné à n'être qu'ombre, vague forme, vision fantomatique ?

    On serait presque tenté de dire fantasme.

    Bref ce pauvre Abel voit le jour dans le registre du flou. Et quand c'est flou … que peut-il arriver sinon que l'homme devienne un loup pour l'homme ?

    Un jour faudra que nous allions faire un tour du côté de Genèse 4, ce texte extraordinaire. Mais pour l'instant revenons à notre Qohélet.

     

    « Habèl habalim hakol habèl : fumée de fumées tout est fumée. »

    Il y a dans ces mots quelque chose d'une incantation. Fumée blanche ou fumée noire ? Magie blanche ou magie noire ? Ça dépend. De quoi ?

    Avant tout de la façon de les prononcer. Accentuons leur rugosité, on fait surgir les faces grimaçantes des sorcières de Macbeth, nées des brouillards de la lande. Murmurons-les à mi-voix, ils apaisent comme une berceuse.

     

    En cette orée du texte, devant ces fumée/nuée/brouillard informes et indécis, nous voici plongés aussi dans l'indécision. Est-ce juste un léger voile qui sera vite traversé, ou faudra-t-il avancer longtemps, toujours, sans visibilité ?

    De quoi disposerons-nous pour y voir clair ?

    Du soleil, bien sûr, qui apparaît dès le début du chapitre, en contrepoint de la fumée.

    « Quel profit y a-t-il pour l'humain de tout le travail qu'il fait sous le soleil ? » (Qo1,3)