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Blog - Page 343

  • Sull'aria

     

    « Par une nuit où la lune brille sur la neige, on se sent soi aussi transparent. Par un jour où souffle une brise printanière on sent son esprit vibrer à l'unisson. »

    Hong Zicheng (Propos sur la racine des légumes II,93)

     

    Le jour où il a écrit ces mots, nul doute qu'il y était, Hong, dans l'œil unique du monde.

    Des mots qui disent de si belle façon l'exultation de se sentir relié. (Revoilà cette histoire de liaison libidinale). Un état où vous atteint dans toute son évidence l'absence de solution de continuité entre le monde perçu et soi qui perçoit : regarder par l'œil unique du monde, et ce faisant le devenir aussi soi-même.

     

    « Écouter avec un cœur paisible le bruit du vent dans un bois de pins ou le murmure d'un ruisseau sur les pierres, c'est connaître la merveilleuse musique de l'univers. » (II, 64)

    Dans la peinture chinoise le bois de pins est souvent présent. Il y a entre autres un tableau d'un dénommé Ma Lin (XIII°siècle) qui s'intitule En écoutant le vent dans les pins.

    (Ne vous étonnez pas, lecteurs, de cette référence pointue, elle vient d'un livre sur la peinture chinoise offert par une amie - il y a des éternités … Mais le temps compte-t-il dans l'œil unique du monde ?)

    Le vent dans les pins est également célébré en long en large et en travers dans nombre de haïkus (après la Chine le Japon).

    C'est vrai que le mouvement et le bruissement du vent dans les arbres (pins ou autres, dans ma rue y a un tilleul je ne vous dis que ça) a quelque chose d'apaisant et dynamisant à la fois.

    Il est porteur de souffle. Au sens concret, faisant respirer large. Au sens abstrait, revigorant l'esprit et la pensée.

     

    Et puis les phrases d'Hong nous disent aussi que l'œil unique du monde est tout autant une oreille.

    Ajoutons à ce propos que la merveilleuse musique de l'univers à l'unisson de laquelle on vibre, elle est dans la nature bien sûr, mais aussi dans certaines œuvres d'art, celles qui se sont créées dans l'œil unique du monde.

    Exemple entre mille : au 3° acte des Noces de Figaro la comtesse, sachant que son mari drague Suzanne sa camériste, dicte à celle-ci une lettre de rendez-vous pour le volage. (Il s'agit bien sûr d'un plan pour le confondre mais c'est une autre histoire).

    Où donc le rendez-vous ? Sotto i pini, sous les pins. (Si c'est pas raccord ça).

    Canzonetta sull'aria … commence la comtesse, et s'ensuit un duo à se mettre à genoux devant tant de grâce, de légèreté, de souffle et d'esprit.

     

    Car la merveilleuse musique de l'univers, s'il y en a un qui s'y entend, c'est bien Mozart.

     

     

  • Conversion énergétique

     

    « C'est au coucher du soleil que les nuages sont le plus lumineux. C'est vers la fin de l'année que les orangers sont le plus odorants. C'est au bout du chemin, au soir de la vie, que l'être noble doit sentir son énergie spirituelle se décupler.»

    Hong Zicheng (Propos sur la racine des légumes I,99)

     

    Voilà. On va dire ça. Un peu méthode Coué mais bon : quel choix on a ?

    Vieillir n'est déjà pas drôle, alors autant s'éviter la double peine. Décliner, s'affaiblir, s'affadir, puisque ainsi (s'en) va la vie, mais au moins que ce soit sans amertume.

    Je ne sais si c'est au coucher du soleil que les nuages sont le plus lumineux, mais il y a une chose dont je suis sûre : à ce moment où on sait qu'elle va disparaître, tout à coup on voit vraiment sa lumière, au soleil.

    Le miracle de la lumière. Si belle, si forte, si persévérante, si bienveillante. Comment ne pas ressentir envers elle gratitude et admiration, d'autant plus ferventes que la nuit approche.

    Alors par contre côté énergie spirituelle, pardon Hong, mais la mienne je la sens pas disons boostée à mort par l'approche du dernier bout de chemin. Faute de noblesse ?

    En tous cas je dirais plutôt je me dénoue de partout avec Montaigne (donc ouf : pas faute de noblesse). Une heureuse expression (à défaut que la chose le soit) que je relie à la pensée de Freud.

    Libido = force de liaison, intégration, construction. Pulsion de mort = déliaison.

    (Oui je sais je suis en boucle sur les mêmes. Je les prends en otage de mon radotage. C'est que n'ayant plus de temps à perdre, je vais à ce qui me va vraiment.)

    (Par contre vous avez remarqué à mon âge j'éprouve encore le besoin de me justifier. La névrose : en voilà un truc qui prend pas une ride).

    Bref ceci pour dire que jusqu'à un certain moment du parcours, rien de ce qu'on vit ne se perd, tout fait expérience, tout vous arrime au corps de la vie (parfois par un bricolage de bouts de ficelle, mais qu'importe).

    Et puis un jour (sans soleil) on a beau essayer encore, ça ne marche plus. Un truc s'est enrayé dans le moteur, ou bien on manque de carburant : toujours est-il que c'est la panne.

    Le stock d'énergie (spirituelle ou autre) non seulement ne s'est pas décuplé, mais il s'épuise, et on n'émet plus qu'une lumière bien faiblarde.

    Reste à accepter. Et suivre le conseil de Schopenhauer de se considérer de manière désintéressée, c'est à dire radicalement non narcissique. Comme de l'extérieur, de manière objective dit-il, un objet parmi les autres. (Comme un voisin, comme un arbre, dit Montaigne).

    Et là il paraît qu'on se voit vivant dans l'œil unique du monde.

    Bon ça le fait pas tout le temps, admet Schopenhauer, mais il suffit que ce soit arrivé une fois pour que ça change toute la perspective.

    Vous savez quoi : il a raison je crois bien.

     

     

     

  • Mea culpa

     

    « Il vaut mieux transmettre les paroles et les gestes admirables des anciens que discourir sur les erreurs et les fautes des modernes. »

    Hong Zicheng (Propos sur la racine des légumes I,157)

     

    Il ne s'agit pas de prétendre que tous les anciens sont admirables, ni tous les modernes fautifs. Comme dit Brassens citant Molière le temps ne fait rien à l'affaire. (je sais plus si c'est dans les Femmes savantes ou le Misanthrope, j'ai la flemme de chercher, anyway he's Molière isn't he?)

    1) À l'échelle d'une vie individuelle, on peut être sage jeune et con vieux, et inversement. Ou sage jeune et vieux. Ou hélas con jeune et vieux (carton plein).

    Dans un panel donné de population on trouvera donc ainsi représentés vieux cons, jeunes cons, vieux sages, jeunes sages, dans des proportions que nous admettrons équivalentes. (On n'en sait rien d'accord mais on n'a pas de statistiques).

    2) À l'échelle historique pareil. Le fait qu'une époque soit éloignée dans le temps ne lui donne pas un brevet de sagesse ou d'admirabilitude. Quand on dit C'était mieux avant j'ai toujours envie de répondre : avant que tu ouvres la bouche ?

    (Mais comme je suis polie je ne le dis jamais). (Non en fait ce n'est pas par politesse mais je ne pourrais le dire qu'aux gens capables de l'entendre. Donc des gens pas trop cons. Qui par conséquent ne l'auraient probablement pas dit. CQFD).

    Mais le right now n'est pas pour autant nécessairement clever and beautiful, ça va sans dire.

    En fait si on a l'impression qu'il y a plus d'anciens que de contemporains admirables, ou plus de contemporains que d'anciens négligeables, c'est que le temps fait son érosion, comme l'eau ou le vent dans un paysage.

    Ce qui subsiste est la roche la plus dure, la plus consistante.

    Bref pour ma part je reformulerais simplement « Il vaut mieux transmettre les paroles et les gestes admirables que discourir sur les erreurs et les fautes. »

    Se concentrer sur l'admirable, ce qu'on peut admirer parce que c'est beau, instructif, constructif, plutôt que perdre son temps et son énergie à s'agacer ou s'ulcérer de l'erreur, de la faute. (Ne serait-ce que pour s'éviter un ulcère).

    (En revanche la dénoncer si elle est source de mal et d'injustice, OK).

    Il y a en outre dans la phrase d'Hong une subtilité qui tient à la mise en regard de transmettre et discourir. On préfère souvent faire valoir son grain de sel parce que c'est le sien, plutôt que s'effacer pour seulement donner à goûter le sel des autres.

    C'est humain trop humain, donc le plus fréquent.

    Et puis y en a qui jouent sur les deux tableaux. Ils essaient de transmettre, parce que c'est l'essentiel, mais sans se priver de discourir quand même un peu, tout superflu que ce soit.

    Une faute sans doute, et pas spécialement moderne. Mais vénielle, non ?