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Blog - Page 345

  • Dissonances

     

    « Un être bon agit avec sérénité ; même les pensées qu'il a en rêve sont harmonieuses. »

    Hong Zicheng (Propos sur la racine des légumes I,47)

     

    Discutable, non ?

    Déjà, assimiler bonté et action sereine est un peu rapide. Certes qui se veut bon veillera à éviter la violence, les provocations, les perturbations.

    Mais il lui faudra bien parfois, sous peine de renoncer précisément à sa bonté, perdre en sérénité et admettre une certaine tension. Revendiquer la justice par exemple, ou la liberté, pour soi ou d'autres, voilà qui peut conduire à des oppositions pas toujours sereines.

    Quant à l'idée que les rêves seront harmonieux parce qu'on est bon, ce n'est pas l'avis de Freud. Mais alors pas du tout.

    Rappelons que dans la théorie freudienne un rêve est l'expression d'un désir inconscient. Et même, d'une certaine façon, il est sa réalisation sous forme symbolique, disons sa mise en œuvre sur la scène onirique. Ce que Freud nomme l'autre scène : une sorte d'envers de la réalité objective, sa doublure invisible mais indissociable.

    Ce désir, pourquoi est-il inconscient ? Parce qu'il est l'objet d'un refoulement.

    Et pourquoi est-il refoulé ? Parce qu'il ne correspond pas aux exigences du moi et du surmoi : il donne à la personne une mauvaise image de soi, il est jugé vulgaire, stupide, insignifiant. Ou illicite, immoral, scandaleux.

    En un mot le désir est refoulé parce qu'il est déclaré bête et/ou méchant par le tribunal de la conscience.

    Mais, poursuit la théorie freudienne, qui dit refoulé dit en même temps retour du refoulé. Le rêve est un des canaux du retour du refoulé et de l'expression du désir inconscient. (Comme le lapsus ou l'acte manqué).

    Une expression indirecte, codée, camouflée, et d'autant plus que le désir est jugé illicite et condamnable.

    Freud amène donc à relativiser, pour ne pas dire contester la phrase d'Hong.

    Il peut arriver pourquoi pas que le rêve soit harmonieux.

    Plus souvent, dans le tiraillement entre force de refoulement et celle de retour du refoulé, il se fait absurde, incongru, déroutant. Et d'autant plus que la tension est forte entre ces deux forces opposées.

    La bonté ne produit pas toujours des rêves harmonieux, ce serait plutôt l'inverse.

    Plus on est « moral », s'efforçant au bien suivant les bons conseils du surmoi (y en a aussi des mauvais, mais c'est une autre histoire), plus l'inconscient accumule de mochitudes, dans son office de poubelle à rebuts d'éthique. Matériaux peu propices à la sérénité diurne comme à l'harmonie onirique.

    Freud était comme nous, je suppose, il avait besoin d'harmonie (encore qu'il disait ne rien comprendre à la musique - sans doute n'avait-il d'oreille que pour les mots).

    Mais pas au point lui sacrifier la vérité.

     

  • Une fleur au chapeau

     

    « Toute étude exige concentration et dévotion. De même qu'il est vain de s'exercer à la vertu avec l'esprit tourné vers la réussite et la célébrité, il ne sert à rien de fréquenter les livres avec une inclination pour les fleurs de la rhétorique. »

    Hong Zicheng (Propos sur la racine des légumes I,44)

    Dévotion = s'y dévouer, s'y adonner à fond

     

    Vertu + réussite et célébrité = beurre + argent du beurre. Hong ne pense sûrement pas, dans son extrême subtilité orientale (ou subtilité extrême orientale) qu'avoir les deux soit exclu. Ni même condamnable.

    Il dit juste que la vertu demande de la simplicité, au sens propre. Ne pas dédoubler son désir. Ce qui ensuite résultera de la vertu c'est secondaire. (Oui bon si c'est réussite et célébrité on fera pas la gueule).

    Hong n'est pas vraiment pessimiste, peut être le suis-je davantage car je ne peux m'empêcher de penser à tous ces gens qui ne s'exercent pas à la vertu, mais s'exercent à la simuler, voire à seulement en afficher le discours.

    Ceux qui ont la vertu médiatique et/ou utilitariste. Mais je vais pas donner de noms, à quoi bon tirer sur les limousines.

    Y a quand même un truc qui me chiffonne dans le propos d'Hong : le mépris pour l'inclination pour les fleurs de rhétorique.

    Car personnellement j'incline.

    Incliner à la rhétorique consiste à goûter la fonction poétique du langage. Pas poétique au sens genre littéraire poésie. Au sens de créativité et de jeu avec le langage.

    (Vous avez en tête les autres fonctions du langage j'espère : phatique, référentielle, expressive, conative. Sinon révisez-moi ça vite fait pour l'oral du bac).

    Le jeu avec le langage n'est pas seulement humour. C'est surtout le jeu dans les rouages d'un mécanisme. Et en plus quand ça joue bien, ça peut donner du poétique au carré, cf le titre de Magritte ceci n'est pas une pipe.

    Tout ceci pour dire que faire la fine bouche devant la rhétorique c'est en fait méconnaître ce que parler veut dire. Parabolare consiste à tourner autour du pot plutôt que mettre direct dans le mille.

    La vertu demande simplicité, oui, mais le langage n'est que duplicité. (Et après on s'étonne que la vie ne soit pas un long fleuve tranquille.)

    Bref disons que par exemple au hasard Platon (ne jamais perdre une occasion de débiner Platon) a perdu lui une occasion de se taire quand il débine lui les sophistes.

    Surtout qu'en plus sans vouloir l'enfoncer (quoique) c'est quand même l'hôpital qui se fout de la Charité, vu qu'en fait de tchatche et d'embrouille le Socrate de Platon il se pose un peu là, je lui ferai dire.

    Mais revenons za notre Hong : avec ses aphorismes s'il y est pas à fond, dans la fleur de rhétorique, je veux bien manger tous les chapeaux de Magritte.

     

  • Poker face

     

    « Ne laissons pas entendre dans nos propos que nous savons qu'on nous trompe. Ne laissons pas voir sur notre physionomie que nous sentons qu'on nous offense. Nous en retirerons une délectation infinie et un inépuisable profit. »

    Hong Zicheng (Propos sur la racine des légumes I,126)

     

    Voilà un propos qui vient compléter le précédent, le propos I,162.

    Et le complexifier. Y a de la chinoiserie dans l'air ou je m'y connais pas.

    Quoique. Peut être au contraire est-ce une simplification à toute épreuve.

    La base du toujours fort utile Machiavel pour les nuls.

    Car le machiavélique ne grimace pas en faisant eh eh.

    Le machiavélique porte son masque de poker face en toutes circonstances.

    Quel que soit son état d'esprit, que l'on soit confiant ou pas, sincère ou pas dans son attitude confiante, c'est vrai qu'on n'a rien à perdre à afficher l'impassibilité. Et même, dit Hong, on a tout à gagner.

    En profit sonnant et trébuchant, et aussi en plaisir. Une délectation infinie.

    Le profit, c'est clair. Celui qu'on trompe mais qui fait genre qu'il le voit pas a évidemment une longueur d'avance. À malin malin et demi : adage valable à Pékin comme à Paris ou n'importe où.

    Une longueur d'avance qui lui permettra d'anticiper pour se défendre efficacement de la tromperie. Et plus si affinités.

    Genre passer à l'attaque lui-même, par esprit de vengeance ou pour toute autre (aussi bonne) raison.

    Mais la délectation, en quoi consiste-t-elle ?

    Pour ma part j'y vois le plaisir paradoxal du bon comédien, qui incarne au plus près son personnage, mais sans y être collé. Plaisir du second degré. Voir le pas-malin jouer au malin, se voir malin feintant le pas-malin. Précisément en simulant la pamalinitude dont il se croit exempt. (On arrive au 3° degré là).

    Un spectacle drôle. Quoique un peu grinçant je vous l'accorde.

    Quoique. Que le rire soit jaune ou noir qu'importe c'est du rire.

     

    L'éthique c'est comme le vin, y en a qui l'ont triste, y en a qui l'ont gaie.

    Sauf que pour le vin on n'y peut pas grand chose, alors qu'on peut choisir son éthique.

    Nausée garantie avec désespérés & moralistes grincheux (je vous en épargne la longue liste) ou joyeux trip avec disons au hasard Spinoza, Nietzsche, Montaigne.