« XLIII. L'Humanité (humanitas) ou Retenue (modestia) est le Désir de faire ce qui plaît aux hommes et de s'abstenir de ce qui leur déplaît. »
(Spinoza Éthique Partie 3. Définition des affects)
Cet affect rapporte le désir de chacun, ce qui le constitue en propre, à son appartenance au genre humain en général. Il est une sorte de mise aux normes du désir individuel pour qu'il soit conforme à une certaine idée de l'humanité (modestia = ce qui fait qu'on garde la mesure).
Spinoza a développé cette idée plus haut dans cette partie 3. Cela commence par l'énoncé de la proposition 57 :
« N'importe quel affect de chaque individu discorde de l'affect d'un autre autant que l'essence de l'un diffère de l'essence de l'autre. »
Démonstration :
« Tous les affects se rapportent au Désir, à la Joie ou à la Tristesse, comme le montrent les définitions que nous en avons données. Or le Désir est la nature ou essence même de chacun ; donc le Désir de chaque individu discorde du Désir d'un autre autant que la nature ou essence de l'un discorde de l'essence de l'autre. »
Et le scolie de préciser :
« De là suit que les affects des animaux que l'on dit privés de raison (car que les bêtes sentent, nous ne pouvons absolument plus en douter à présent que nous connaissons l'origine de l'Esprit*) diffèrent des affects des hommes autant que leur nature diffère de la nature humaine. Cheval et homme, c'est vrai, sont tous les deux emportés par la Lubricité de procréer ; mais pour l'un c'est une lubricité de Cheval, et l'autre, d'homme. »
Ce passage permet je trouve de rapprocher l'humanité/retenue de la phrase de Camus : « Un homme, ça s'empêche. »
Le scolie pour finir nous met devant le problème crucial :
« Quoique donc chaque individu vive satisfait de la nature qui est la sienne et s'en contente (…) le contentement de l'un discorde en nature du contentement de l'autre autant que l'essence de l'un diffère de l'essence de l'autre. »
Ce qui bien sûr implique des différences de toutes sortes, en particulier des différences d'intérêts, sources d'oppositions si fortes qu'elles mettent en danger la cohésion de l'humanité elle-même (ce que l'actualité nous démontre tous les jours).
La question, question vitale, question de survie, est donc de pallier la discorde des désirs par un désir de concorde, de convergence dans la conception de l'être humain.
De subordonner ce qui me plaît à moi-individu, à ce qui en moi doit satisfaire à l'humanité en général. Du coup reste la question essentielle : comment ?
La réponse de Spinoza, j'y viendrai à la fin de ce parcours (bientôt donc) (qui a dit ouf ?).
*à présent que nous connaissons : sous entendu parce que je l'ai démontré (dans la partie 2 d'Éthique). Quant à l'insistance sur les affects des animaux, c'est la contestation explicite de la thèse cartésienne des « animaux machine ».