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Blog - Page 44

  • 48 nuances d'affects (10) Quelque doute

    « XII. L'Espérance (spes) est une Joie inconstante née de l'idée d'une chose future ou passée sur l'issue de laquelle nous avons quelque doute.

    XIII. La Crainte (metus) est une Tristesse inconstante née de l'idée d'une chose future ou passée sur l'issue de laquelle nous avons quelque doute. »

    (Spinoza Éthique Partie 3. Définition des affects)

     

    Spinoza renvoie pour plus de précisions au scolie 2 de la prop 18 P3. Je le cite car il montre bien comment fonctionne la combinatoire des affects.

    « Par ce que l'on vient de dire, nous comprenons ce qu'est l'Espérance, la Crainte, la Sécurité (securitas), le Désespoir (desperatio), le Contentement (gaudium) et la Déception (conscientiae morsus, mot à mot : la morsure de conscience, autrement dit le remords).

    L'Espérance, en effet, n'est rien d'autre qu'une Joie inconstante née de l'image* d'une chose future ou passée dont nous doutons de l'issue.

    La Crainte, au contraire, une Tristesse inconstante également née de l'image d'une chose douteuse. »

    Pour ces deux affects on a combinaison du paramètre de base joie/tristesse avec le paramètre doute, incertitude, ailleurs Spinoza dit flottement d'âme. Un flottement qui empêche le curseur de se fixer durablement sur l'échelle joie/tristesse, ce qui rend l'affect inconstant.

    « De plus, si de ces affects le doute est supprimé, l'Espérance devient Sécurité, et la Crainte Désespoir. (…) Le Contentement, ensuite, est une Joie née de l'image d'une chose passée dont nous avons douté de l'issue. La Déception, enfin, est la Tristesse qui s'oppose au Contentement.»

    La suppression du paramètre doute a pour effet de fixer l'affect auparavant inconstant.

    Arrêter de flotter, être fixé, savoir à quoi s'en tenir. Notons que même lorsque la fixation se fait sur la tristesse du désespoir ou de la déception, on peut en ressentir un soulagement. Il est probable, lecteur-trice, que tu en as fait l'expérience, comme moi.

    « Tant pis, j'aurais préféré qu'il en aille, que je fasse, autrement, mais bon, au moins je sais à quoi m'en tenir. Meshuy c'est fait comme dit Montaigne. »

    C'est en gros de cette façon que Kierkegaard argumente la valeur possiblement positive du désespoir.

    Côté chose future, cesser d'espérer, d'être dans l'incertitude quant à l'issue d'un projet, d'une relation, permet de reconsidérer les choses autrement. De trouver la force de repartir pour de nouvelles aventures.

    Côté chose passée, admettre une bonne fois que sur telle chose, on ne peut pas être content de soi, de l'autre, ou de la vie, c'est certes une déception. Mais au moins on est libéré de la stérilité du regret et de la douleur du remords.

     

     

    *On remarque que Spinoza emploie indifféremment image et idée (cf 4 à propos d'imagination et 6 à propos d'idée).

     

  • 48 nuances d'affects (9) Dérision

    « XI. La Moquerie (irrisio) est une Joie née de ce que nous imaginons qu'il se trouve quelque chose que nous mésestimons dans une chose que nous haïssons. »

    (Spinoza Éthique Partie 3. Définition des affects)

     

    Une joie ? Oui, c'est mathématique. Démonstration. La joie est un plus (de perfection), la mésestime (cf 5) comme la haine (cf 7) sont des moins, des affects en négatif. Et donc, comme on disait à l'école, « moins par moins égale plus ». CQFD.

    L'articulation des affects entre eux fonctionne selon le mécanisme suivant :

    Joie et tristesse sont définies comme positionnables sur une échelle graduée.

    Cette échelle est le repère de base pour établir la définition (sens vraiment géométrique) de tous les affects, en faisant varier le curseur joie/tristesse. S'y ajoutent dans certains cas d'autres repères (on en rencontrera plus loin).

    En outre le mot latin irrisio note par son préfixe in (in-risio/irrisio) une dynamique, quelque chose d'actif. Et Spinoza associe toujours joie/action/puissance.

    Affecter de mésestime l'objet de haine provoque un mouvement de libération : « Mais au fond je m'en moque, ce truc est totalement dérisoire, alors mieux vaut en rire et passer à autre chose. »

    Cependant ne rêvons pas. Cette façon plutôt soft de se débarrasser du négatif que l'on rencontre a ses limites, comme le précise Spinoza dans l'explication.

    « En tant que nous mésestimons une chose que nous haïssons, en cela nous nions d'elle l'existence, et en cela nous sommes joyeux (= moins par moins égale plus cf supra). Mais puisque nous supposons que l'homme n'en hait pas moins ce dont il se moque, il suit que cette Joie n'est pas solide (la haine étant un réservoir de tristesse cf 7) »

     

  • 48 nuances d'affects (8) Propension aversion dévotion

    « VIII. Le Penchant (propensio) est une Joie qu'accompagne l'idée d'une chose qui est par accident cause de Joie.

    IX. L'Aversion (aversio) est une Tristesse qu'accompagne l'idée d'une chose qui est par accident cause de Tristesse.

    X. La Dévotion (devotio) est l'Amour pour celui que nous admirons. »

    (Spinoza Éthique Partie 3. Définition des affects)

     

    Propensio et aversio reprennent le schéma parallélisme/opposition auquel on commence à être habitué. Il est ici mis en évidence par la valeur des préfixes.

    « Pro » indique la tendance au rapprochement, le fait d'aller vers. Sens concret qui donnera le sens moral en faveur de.

    « A » (= ab) indique le fait de se séparer, de s'éloigner de quelque chose.

    Le penchant provoquera le désir de proximité avec cette chose cause de joie. L'aversion celui de prendre ses distances avec elle. Cela se fait par accident, autrement dit indépendamment de notre volonté. Spinoza, pour le préciser, renvoie à la proposition 15 de cette partie 3, et à son scolie.

    « N'importe quelle chose peut être par accident cause de Joie, de Tristesse ou de Désir. »

    Scolie : « Nous comprenons par là comment il peut se faire que nous aimions ou que nous ayons en haine certaines choses sans nulle raison connue de nous, mais seulement par Sympathie (comme on dit) et Antipathie. Et c'est aussi à cela qu'il faut rapporter les objets qui nous affectent de Joie ou de Tristesse du seul fait qu'ils ont une ressemblance avec des objets qui nous affectent habituellement des mêmes affects. »

    Ces affects par accident présentent les caractères du fonctionnement inconscient.

    Freud note ainsi qu'il y a « un certain trait » de ressemblance avec (tel) objet (personne, idée), qui gouverne nos choix à notre insu. Il nous fera tomber amoureux du même type de personne, ou nous découvrir inconditionnels d'un même type d'idée, d'un même domaine artistique ou autre.

    Quant à l'objet dont le trait est si décisif, ça nous étonnera pas qu'il aille le chercher dans la constellation affective archaïque. On tombera systématiquement amoureux, dit-il, du garçon/fille qui a les yeux/la voix de papa/maman, on deviendra un collectionneur compulsif en souvenir des heures passées à admirer la collection de timbres de tonton Truc, on n'aimera en littérature que les histoires de vampires car Mémé adorait nous en lire pour nous endormir, ou bien l'on préférera la poésie anglaise de la Renaissance dont était férue notre nounou, qui nous en récitait sur le chemin du square où elle nous emmenait jouer ...

    Dévotion, quant à lui, est un mot qui ne m'en inspire guère, de sympathie. J'y lis une sorte d'attachement aveugle, de respect exagéré, où le dévoué perd son autonomie, dissout sa personnalité propre dans la soumission à un objet.

    Ce n'est pourtant pas ce que dit ici Spinoza, compte tenu de sa définition de l'amour (cf 6) qui est de l'ordre de : parce que c'était lui parce que c'était moi.

    Là encore il faudrait donc un autre mot.