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Blog - Page 47

  • 48 nuances d'affects (1) Comme par la main

    Spinoza a conçu son Éthique non comme un traité abstrait, mais comme un manuel pratique, une sorte de guide sur le chemin (qu'il savait escarpé) du bien vivre.

    Une des formules qui le dit le mieux est peut être celle-ci (Introduction de la Partie 2) :

    « J'en viens maintenant à expliquer (…) (les choses) (...) qui peuvent nous conduire comme par la main à la connaissance de l'esprit humain et de sa suprême béatitude. »

    Certes quiconque s'est un tant soit peu plongé dans ce livre a constaté que la main, faut vraiment pas la lâcher, et que le côté pratique y a des moments « il le faut tout », comme disait ma mère.

    Cependant on ne peut nier les efforts de pédagogie déployés par Spinoza, visibles dans la précision des renvois qu'il fait continuellement aux étapes précédentes du parcours.

    Pour tirer vraiment profit de sa pensée, éviter les faux-sens, les contresens, une condition sine qua non : suivre son conseil (voire son injonction) de revenir en arrière chaque fois qu'on perd le fil, de relire encore et encore.

    Mon expérience m'a appris qu'une telle lecture n'est pas de tout repos, qu'elle exige du temps, de la patience, une solide attention. Et qu'il faut accepter les nombreux moments de découragement où l'on se dit décidément je comprends rien, Spinoza c'est pas pour moi voilà.

    Mais si l'on persévère (sans se persécuter non plus hein), on est récompensé par l'accès à une énergie d'intelligence et d'humanité que d'aucuns ont nommée le feu de Spinoza.

    Avec ardeur donc, offrons-nous un moment de pédagogie à la mode spinoziste.

    Spinoza termine son étude des affects (objet de la P3) par un sommaire récapitulatif dans la veine du classique ce qu'il faut retenir, l'encadré de la leçon du jour dans tout manuel scolaire qui se respecte. Il l'intitule tout simplement Définitions des affects.

    Le sommaire est inauguré par la définition du désir et conclu par celle de la lubricité. Preuve s'il en fallait que Spinoza ne manquait ni d'humour ni de suite dans les idées. (Précision pour ceux que la chose pourrait intéresser dans la VO latine désir c'est cupiditas, et lubricité libido).

    Notons encore qu'il n'y a pas moins de 48 définitions dans ce sommaire, preuve s'il en fallait que lorsque Spinoza se penchait sur une question il n'avait pas peur d'y aller à fond.

    Bref j'espère que cette présentation t'aura donné, lecteur-trice, le désir de m'accompagner dans ce parcours, main dans la main avec Spinoza.

     

  • Faites-le vous-même (11/11)

    « Demandez, on vous donnera ; cherchez, vous trouverez ; frappez, l'on vous ouvrira. En effet quiconque demande reçoit, qui cherche trouve, à qui frappe on ouvre. Ou encore, qui d'entre vous, si son fils lui demande du pain, lui donnera une pierre ? Ou s'il lui demande un poisson, lui donnera un serpent ? Si donc vous, qui êtes mauvais, savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus votre père céleste donnera-t-il de bonnes choses à ceux qui le lui demandent. » (Matthieu 7, 7-11)

    Pour saisir l'enjeu de ce texte, il est nécessaire de décoder le choix des exemples.

    L'opposition entre le pain et la pierre renvoie à l'épisode de la tentation de Jésus (Matthieu 4, 1-11). Jésus part au désert avant de se lancer dans sa prise de parole publique. Il jeûne quarante jours et quarante nuits : référence évidente aux quarante ans d'errance du peuple au désert après la sortie d'Égypte. Alors « Le tentateur s'approcha et lui dit : ''Si tu es le fils de Dieu, ordonne que ces pierres deviennent du pain'' ».

    Jésus ne lui lance pas : casse-toi, lâche-moi (même si c'est le but). Sa réponse explicite la référence au Sinaï, avec cette fois le rappel du don de la Torah « Il est écrit : '' ce n'est pas seulement de pain que l'homme vivra, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu ».

    À vrai dire, ça ne cloue pas tout de suite le bec du tentateur, il faut encore deux autres citations répondant à deux autres tentations.

    Mais ça finit par marcher, et la conclusion de l'épisode est très réconfortante : « Alors le diable le laisse, et voici que des anges s'approchèrent, et ils le servaient. » (Mtt 4, 11)

    L'opposition entre le poisson et le serpent se décode facilement pour les premiers lecteurs de Matthieu. Le poisson était un signe de reconnaissance des premiers adeptes chrétiens car le mot en grec, ichtus, correspond à l'acronyme de jésus christ fils de dieu sauveur.

    Quant au serpent, il s'agit bien sûr de celui qui, au jardin d'Éden, embobine Adam et Ève. On connaît la suite : éjection du jardin, entrée dans la rugueuse réalité : travailler pour vivre, enfanter dans la douleur, et à la fin mourir quand même. (cf Genèse 3, 14-24)

    Donner le poisson et non le serpent correspond donc à l'idée du salut apporté (rendu) à l'humanité par Jésus.

    Puis le texte rappelle une fois de plus que ce salut se construit, non par des rites, prières, ou professions de foi, mais par la mise en œuvre d'un bien-vivre entre humains : « Ainsi, tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le vous-mêmes pour eux : c'est là la loi et les prophètes. » (7, 12)

    Enfin, exactement comme les béatitudes se concluaient par l'avertissement du prix à payer pour les incarner (cf précédent parcours 9/9), le chapitre 7 finit sur la difficulté d'accomplir les conseils de Jésus, en l'imageant par deux métaphores.

    « Entrez par la porte étroite. Large est la porte et spacieux le chemin qui mène à la perdition, et nombreux ceux qui s'y engagent : combien étroite est est la porte, et resserré le chemin qui mène à la vie, et peu nombreux ceux qui le trouvent. » (13-14)

    « Tout homme qui entend les paroles que je viens de dire et les met en pratique peut être comparé à un homme avisé qui a bâti sa maison sur le roc. » Elle résiste à la tempête et à l'inondation. Mais « tout homme qui entend les paroles que je viens de dire et ne les met pas en pratique peut être comparé à un homme insensé qui a bâti sa maison sur le sable. » (24-27)

    Par exemple oui c'est sympa, la petite paillote sur la plage (quoique pas toujours légal, mais c'est une autre histoire), mais faut compter avec les aléas du changement climatique ...

     

     

  • Alors tu verras clair (10)

    « Ne vous posez pas en juges, afin de n'être pas jugés : car c'est de la façon dont vous jugez qu'on vous jugera, et c'est la mesure dont vous vous servez qui servira de mesure pour vous. Qu'as-tu à regarder la paille qui est dans l'œil de ton frère ? Et la poutre qui est dans ton œil, tu ne la remarques pas ? » (Matthieu. 7, 1-3)

    Passage amusant à visualiser. Après la poésie des lis et des petits oiseaux (cf 8), on a ici une image bien surréaliste, dont la criante absurdité vaut tous les discours.

    La première phrase, reprise là encore d'une béatitude (cf précédent parcours 3/9) est un conseil de prudence. La seconde va au delà, en questionnant l'aptitude à juger elle-même.

    Juger sera peut être possible, mais il y a une condition.

    « Comment vas-tu dire à ton frère : ''Attends ! Que j'ôte la paille de ton œil'' ? Seulement voilà : la poutre est dans ton œil ! Hypocrite, ôte d'abord la poutre de ton œil, et alors tu verras clair pour ôter la paille de l'œil de ton frère. » (7, 4-5)

    Voilà qui peut prendre un certain temps, et demande un gros travail « sur soi » comme on dit. Du coup c'est vrai que le plus simple est de ne pas porter de jugements.

    Ce qui ne veut pas dire bien sûr qu'on renonce à essayer d'être juste pour son compte, et de rechercher la justice (cf 9).

    Sans doute est-ce même le contraire : moins on juge au sens de cataloguer, accuser, plus on se donne les moyens d'une justice constructive, une justice, non de reproche, de châtiment et de mort, mais de réparation et de vie « afin d'être vraiment les fils de votre père qui est aux cieux, car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et les injustes. » (Mtt. 5, 45)

    Bon avec ou sans poutre dans l'œil, la chose la plus claire c'est qu'il y a du boulot.