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Blog - Page 48

  • Donné par surcroît (9)

    « Ne vous inquiétez donc pas en disant : ''Qu'allons-nous manger, qu'allons-nous boire, de quoi allons-nous nous vêtir ?'' – tout cela, les païens le recherchent sans répit – il sait bien, votre père céleste, que vous avez besoin de toutes ces choses. Cherchez d'abord le Royaume et la justice de Dieu, et tout cela vous sera donné par surcroît. » (Matthieu 6, 31-33)

    Il sait bien, votre père céleste, que vous avez besoin de toutes ces choses : ah quand même (ne peut-on s'empêcher de penser). Le texte ne méprise ni ne dénie les besoins essentiels. Ce qui mérite d'être souligné : il n'y a pas d'appel à une quelconque ascèse, ou à un détachement d'ordre bouddhiste.

    Ou, si ascèse il y a, elle évoque davantage le conseil épicurien du carpe diem. Se défaire de l'inquiétude du lendemain, voire de son obsession (comme le dit sans répit), et se contenter de cueillir, de glaner le bon de chaque jour.

    Et comme le fait l'épicurisme avec la distinction entre le nécessaire et le superflu, l'idée essentielle ici est de hiérarchiser les priorités : d'abord le Royaume et la justice de Dieu.

    Voilà qui nous renvoie aussi à la béatitude « Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice : ils seront rassasiés. » (Mtt 5, 6) (cf précédent parcours 6/9)

    Cela vous sera donné par surcroît (vous sera ajouté traduit Chouraqui) amène la même notion d'en plus, de plénitude que rassasiés.

    Le rapprochement des deux semble dire : les deux faims, la faim de nourriture concrète, et la faim de justice, peuvent (doivent ?) trouver une réponse commune. Et en effet, la vie en mode « Royaume », c'est un mode où les humains œuvrent à rendre la terre céleste.

    Et comment ? En se comportant en humanité vraiment humaine : avec pour valeur cardinale la justice. Car la justice implique la prise en compte des besoins de chacun, et par là le partage concret, et aussi la considération égale de chacun des êtres humains, à tous points de vue.

    Le texte évangélique donne un peu plus loin une illustration de la liaison royaume/partage dans l'épisode de la multiplication des pains (Matt. 14, 15-21 et Matt. 15, 32-38). À partir d'un peu de nourriture, apportée par quelques uns et mise à sa disposition, Jésus nourrit toute la foule présente. C'est évidemment une allégorie*, mais elle vise à montrer que le mode « royaume » peut marcher, susciter des solutions.

     

    *Qui est liée au rite de « rompre le pain » très tôt adopté par les premières communautés chrétiennes comme ciment de leur unité.

     

  • L'herbe des champs qui est là aujourd'hui (8)

    « Nul ne peut servir deux maîtres : ou bien il haïra l'un et aimera l'autre, ou bien il s'attachera à l'un et méprisera l'autre. Vous ne pouvez servir Dieu et l'Argent. » (Matthieu 6, 24)

    Jésus de Nazareth ne semble pas un adepte du « en même temps ». Il faut entendre les termes dans leur force. Servir a le sens de se dévouer totalement à, tout faire pour. Quant à l'Argent, avec la majuscule, il s'agit de Mamon : l'argent déifié, l'argent qu'on idolâtre.

    Mais le texte ne s'appesantit pas sur ce qu'il donne pour une évidence, il prend une autre perspective.

    « Voilà pourquoi je vous dis : ne vous inquiétez pas pour votre vie de ce que vous mangerez, ni pour votre corps de quoi vous le vêtirez. La vie n'est-elle pas plus que la nourriture, et le corps plus que le vêtement ? » (Mtt 6, 25)

    Là on se dit : il est bien gentil, le rabbi Jésus, mais il plane un peu, non ? La vie est plus que la nourriture, d'accord, mais sans nourriture, la vie est vite terminée. Et comment concilier ceci avec « donne-nous aujourd'hui le pain dont nous avons besoin » ? (cf 7)

    L'apparente contradiction se dénoue par le mot « aujourd'hui » qui apparaît de plus en plus comme un mot-clé de tout ce discours sur la montagne.

    On a déjà relevé en effet (cf 1) l'opposition de temps il a été dit/ je vous dis : « Vous avez appris qu'il a été dit aux anciens (…) et moi je vous dis ».

    Après l'opposition passé/présent, re-dire/dire à nouveau, l'aujourd'hui va être mis en regard du futur, de l'avenir.

    « Regardez les oiseaux du ciel : ils ne sèment ni ne moissonnent, ils n'amassent pas dans des greniers, et votre Père céleste les nourrit ! Ne valez-vous pas beaucoup plus qu'eux ? (…) Observez les lis des champs, comme ils croissent : ils ne peinent ni ne filent, et je vous le dis Salomon lui-même, dans toute sa gloire, n'a jamais été vêtu comme l'un d'eux ! Si Dieu habille ainsi l'herbe des champs qui est là aujourd'hui, et qui demain sera jetée au feu, ne fera-t-il pas bien plus pour vous, gens de peu de foi ! » (6, 26-30)

    Un texte poétique avant tout, que le poète François d'Assise aimait citer, lui qui posait sur la simple beauté de la nature un regard émerveillé.

    Mais passé ce moment poétique on se dit : les oiseaux n'amassent pas dans les greniers, je veux bien, mais ils ne se gênent pas pour picorer dans les réserves que les hommes amassent.

    Et que les hommes ont raison d'amasser, d'ailleurs : le miracle de la manne, c'est pas ad vitam aeternam … Sans se faire esclave de l'argent et de l'accumulation, sans devenir un gros méchant capitaliste, il faut bien s'occuper du nécessaire pour vivre, non ?

    On verra la prochaine fois comment le texte entend cette objection, et résout la tension entre confiance et prévoyance.

     

  • Notre part (7)

    « Donne-nous aujourd'hui le pain dont nous avons besoin,

    pardonne-nous nos torts envers toi,

    comme nous-mêmes avons pardonné à ceux qui avaient des torts envers nous,

    et ne nous conduis pas dans la tentation,

    mais délivre-nous du Tentateur. » (Matthieu 6, 11-13)

     

    Le pain dont nous avons besoin. Chouraqui dit notre part de pain. Il replace ainsi le besoin dans la vie de la collectivité. Chacun a besoin de pain, mais ne peut oublier que l'autre à côté de lui en a besoin de même. Ce pain sera donc à partager.

    Aujourd'hui peut se comprendre de deux manières (non exclusives l'une de l'autre).

    Le pain est vital, on en a besoin tout de suite. Donne-nous aujourd'hui, pas demain.

    Deuxième façon de comprendre : le don de ce pain, c'est au jour le jour, on ne peut pas (on ne doit pas?) en faire provision. Et là on pense à un autre texte. Le livre de l'Exode évoque le moment où le peuple sorti d'Égypte erre dans le désert où il n'y a rien a manger. Les gens se plaignent : en Égypte on était esclaves mais au moins on ne mourait pas de faim. Moïse comme d'habitude répercute la revendication.

    Et c'est l'épisode de la manne.

    « Sur la surface du désert, il y avait quelque chose (…) tel du givre sur la terre. Les fils d'Israël regardèrent et se dirent l'un à l'autre 'man hou ?' qu'est-ce que c'est ? (…) Moïse leur dit 'c'est le pain que le Seigneur vous donne à manger' »

    Moïse leur interdit d'en faire provision. C'est chacun sa part chaque jour, selon ses besoins, « ni plus ni moins » insiste-t-il. Mais évidemment ça ne rate pas, certains passent outre. Résultat « cela fut infesté de vers et devint puant ». (Exode 16, 14-20)

    À méditer pour le capitaliste qui sommeille en chacun (beaucoup d'insomniaques).

    Pardonne comme nous avons pardonné renvoie à la béatitude heureux les miséricordieux il leur sera fait miséricorde. Et répète l'idée que si l'homme ne fait pas sa part, Dieu ne pourra faire la sienne.

    Ne nous conduis pas dans la tentation mais délivre-nous du Tentateur. La phrase évoque le livre de Job, où l'autorisation est donnée à l'Adversaire de tenter Job le juste, comme une sorte de concours genre on va voir qui est le plus fort : dieu ou son antagonique ? (Job 1, 6-12)

    Ici la question n'est pas celle d'une lutte métaphysique du Bien et du Mal.

    Au contraire est clairement récusée l'idée perverse de faire de l'humain le jouet de deux super puissances rivales. À cet égard le mot tentation est bien ambigu.

    C'est pourquoi sans doute Chouraqui préfère traduire : ne nous fais pas entrer dans l'épreuve mais délivre-nous du criminel.

    Une traduction qui rappelle que la seule question qui vaille est le bien ou le mal que les hommes se font les uns aux autres, le bien ou le mal vécus dans l'immanence de leur être.

    L'occasion de citer une fois de plus la phrase de Montaigne, qui dit tout ce qu'il y a à dire sur ce point :

    « Quoi qu'on nous prêche, il faudrait toujours se souvenir que c'est l'homme qui donne et l'homme qui reçoit. » (Essais II, 12 Apologie de Raimond Sebon)