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Blog - Page 50

  • Accomplir (3)

    « N'allez pas croire que je sois venu abroger la Loi ou les Prophètes : je ne suis pas venu abroger, mais accomplir. (…) Car je vous le dis : si votre justice ne dépasse pas celle des scribes et des pharisiens, non, vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux. »

    (Matthieu 5, 17 et 20)

    La loi et les prophètes sont les textes de référence de la religion, portant en filigrane, à nouveau, les figures de Moïse et des grands prophètes d'Israël, Isaïe, Jérémie, Ezéchiel, Osée.

    Moïse pose les cadres de l'alliance entre Dieu et le peuple. Les prophètes les rappellent chaque fois que c'est nécessaire. Lorsque le peuple se montre infidèle à cette alliance, incapable d'en assumer les exigences. Lorsque le peuple est menacé, le rappel est alors celui de la fidélité de Dieu à sa propre promesse.

    Jésus s'inscrit donc dans un judaïsme classique.

    Cela étant, deux termes dans ces phrases correspondent à la lecture « à nouveau » qui est l'objet de ce discours sur la montagne (cf 1).

    Accomplir est un mot fort. Il s'agit d'aller jusqu'au bout de la loi, de la vivre de façon parfaite. « Vous donc vous serez parfaits comme votre père céleste est parfait » précise Jésus un peu plus loin (Mtt. 5, 48) dans le passage sur l'amour des ennemis, dont j'ai parlé à propos de la béatitude de la miséricorde (cf Béatitudes 3/9 23-12-22).

    Du même esprit relève l'expression « Si votre justice ne dépasse pas celle des scribes et pharisiens. »

    Les scribes veillaient à la précision des termes de la loi. Les pharisiens revendiquaient son application stricte. Les uns et les autres pratiquaient donc une forme d'intégrisme (sans y mettre nécessairement une connotation péjorative). On pourrait leur prêter une devise du genre : rien que la loi, toute la loi.

    Jésus d'une certaine manière les prend au mot. Rien que la loi toute la loi OK, du coup allons directement à l'essence de la loi : la justice. À quoi sert la loi, si ce n'est à s'ajuster au « royaume des cieux », aux propositions célestes de bonheur sur terre (détaillées dans le texte inaugural de l'enseignement sur la montagne comme on l'a vu dans la série précédente) ?

    Et pour cela il ne suffit pas de rites et d'actes cadrés dans telles et telles limites, il s'agit de sortir du cadre, de le dépasser.

    Bref d'y aller à fond, de « tout donner » comme on dit pour une course par exemple. La traduction d'André Chouraqui* le rend bien : « Si votre justice n'abonde pas plus que celle des sopherim et des péroushim, vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux. »

     

    *Desclée de Brouwer 1989 (je l'ai déjà mentionnée à propos des Béatitudes). 

     

     

     

     

     

  • Elle brille pour tous (2)

    «Vous êtes la lumière du monde. Une ville située sur une hauteur ne peut être cachée. Quand on allume une lampe, ce n'est pas pour la mettre sous le boisseau mais sur son support, et elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison. De même, que votre lumière brille aux yeux des hommes, pour qu'en voyant vos bonnes actions ils rendent gloire à votre père qui est aux cieux. »

    (Matthieu 5, 14-15)

    Un texte simple, clair, pour ne pas dire lumineux … Quoique. De l'apparente évidence, très vite des questions surgissent. Qui est ce « vous » à qui ce discours s'adresse ? Qui sont « ceux qui sont dans la maison » ? Et quelle maison ?

    D'un point de vue intérieur au récit (dit diégétique) c'est le personnage nommé Jésus qui s'adresse par ce « vous » aux personnages nommés disciples, ces gens qui l'ont suivi sur la montagne, et l'écoutent. Mais ce « vous », d'un point de vue dit métadiégétique (qui consiste en une sorte de zoom arrière, replaçant le récit dans la situation globale de communication), est aussi celui que l'auteur du texte adresse à ses lecteurs.

    Le texte de Matthieu est écrit pour les premières communautés chrétiennes. Du coup la « maison » peut désigner ces communautés. De manière directe, c'est probable. Mais le texte incite aussi à identifier cette maison au monde entier, à la terre qui est le lieu de vie de la « famille humaine ». Une idée qui a entraîné, pour le meilleur et le pire, le prosélytisme de cette nouvelle religion. Et aussi sa volonté de se démarquer plus ou moins élégamment de sa « maison-mère », le judaïsme.

    Pourtant on peut supposer que lorsque Jésus de Nazareth parle ici de lumière, son propos est simplement d'évoquer des textes bien connus par les gens qui l'écoutent, en y mettant son propre éclairage, pour les faire entendre à nouveau.

    Ainsi (puisque ce passage suit directement les béatitudes) le lien lumière-bonheur :

    « Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu une grande lumière. Sur ceux qui habitaient le pays de l'ombre, une lumière a resplendi. Tu as fait abonder leur allégresse, tu as fait grandir leur joie. » (Livre d'Isaïe chap 9, 1-2)

    Ou le lien lumière- éthique (en voyant vos bonnes actions) :

    « Les préceptes du seigneur sont droits, ils réjouissent le cœur ; le commandement du seigneur est lumineux, il illumine les yeux. » (Psaume 18, v.9) (trad Lalou et Calame)

    Et surtout il me semble que ce texte peut être compris de façon encore plus simple, en laissant de côté les questions inutiles de boutiques religieuses.

    Tous les habitants de la maison-monde sont invités à se faire lumière, à s'éclairer mutuellement. Pourquoi ?

    « Pour qu'en voyant vos bonnes actions ils rendent gloire au père des cieux. »

    Remarquons que le mot gloire appartient lui aussi au champ sémantique de la lumière. Rendre gloire au père des cieux peut s'interpréter alors comme faire briller sur terre une lumière de caractère « céleste ».

    Comment ? Par des actions bonnes, un bon agir qui fait du bien. Conforme à la miséricorde, la douceur, la paix, bref ces qualités « matricielles » qui, pour les auteurs de ces textes, caractérisent leur dieu. Un dieu qui n'est pas vu comme un maître, un seigneur au pouvoir et vouloir absolus, mais un parent absolument aimant*.

     

    *Cf le n°3/9 de ma série précédente sur les béatitudes.

  • Prenant la parole (1)

    « À la vue des foules, Jésus monta dans la montagne. Il s'assit, et ses disciples s'approchèrent de lui. Et, prenant la parole, il les enseignait. » (Matthieu 5, 1-2)

    « Il les enseignait en homme qui a autorité et non pas comme leurs scribes. » (Mtt. 7, 29)

    Telle sont les phrases par lesquelles Matthieu commence et conclut la section « sermon sur la montagne » de son évangile (chap 5,6,7).

    Jésus de Nazareth y présente son propre condensé de la Torah, assorti de son propre commentaire. Autrement dit il assume une position de rabbi, d'enseignant. Cela n'a rien en soi d'exceptionnel. L'étude et le commentaire du texte sont d'emblée consubstantiels au mode religieux juif.

    (Même si selon les lieux et les temps l'autorisation de lire et surtout d'interpréter a été plus ou moins difficile d'accès, pour les femmes par exemple ...)

    Cela étant, Matthieu affirme une différence entre le rabbi Jésus et les autres : Il les enseignait en homme qui a autorité.

    Question : en quoi consiste cette autorité ?

    Regardons la mise en scène du discours de la section 5-7.

    Il n'a pas lieu dans la synagogue, lieu habituel de l'enseignement des rabbis, mais sur la montagne. Monter sur la montagne évoque différents épisodes bibliques. Par exemple le non-sacrifice d'Isaac (Genèse 22, 1-18), ou encore le sacrifice réalisé par le prophète Élie au mont Carmel pour conjurer la sécheresse (1 Rois 18).

    Mais ici la montagne n'est pas lieu de sacrifice. La scène évoque plutôt un autre moment du livre, moment-clé s'il en est : celui où Moïse monte sur le mont Sinaï pour y recevoir les dix paroles qu'il sera chargé de transmettre au peuple. (Exode 24, 12, puis Ex 34 après qu'il a brisé les premières tables*).

    Sauf qu'il y a ici une différence de taille : Moïse monte seul recevoir la parole de Dieu dans les nuées du Sinaï. Il est présenté comme un homme à part, qui seul peut accéder à la sainteté d'un lieu à part pour recevoir la parole fondatrice.

    Jésus, lui, ne monte pas seul sur la montagne, au contraire une foule de ses disciples l'y accompagne. Aucune séparation, aucune « sainteté » ni du lieu ni des protagonistes.

    Quant à la parole dont il va s'agir, elle n'est pas nouvelle, tous la connaissent. Il ne s'agit pas pour Jésus de dire du nouveau**, il s'agit de dire « à nouveau ». Comme le musicien interprète l'œuvre déjà mille fois jouée : selon son propre savoir, sa propre personnalité, son propre rapport au monde et à la musique.

    C'est le sens du refrain : « Vous avez appris qu'il a été dit aux anciens (…) et moi je vous dis ». D'un côté un énoncé au passé formulé en une tournure impersonnelle, de l'autre un énoncé au présent, assumé par un « moi  je » qui parle en son nom propre.

    L'autorité de la parole de Jésus est là, dans ce présent, dans ce je.

     

    *Dans l'épisode complexe de la réception de la loi, on peut relever pas mal de divergences, voire de contradictions, entre Exode et Deutéronome, et tout autant à l'intérieur des livres eux-mêmes. Ce qui n'est pas à déplorer : rendant impossible toute lecture fondamentaliste, cela éveille d'emblée l'esprit critique du lecteur et le met devant la nécessité de chercher son interprétation.

    **Il va le préciser un peu plus loin dans le texte.