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Le blog d'Ariane Beth - Page 203

  • (7/21) L'esprit cloche

     

    Montaigne termine De l'âge (Essais I,57) sur l'idée vieillir ou ne pas vieillir n'est pas la question. Le temps ne fait rien à l'affaire, l'emploi du temps si.

    « Quant à moi, j'estime que nos âmes sont dénouées à vingt ans ce qu'elles doivent être, et qu'elles promettent tout ce qu'elles pourront (…)

    De toutes les belles actions humaines qui sont venues à ma connaissance, de quelque sorte qu'elles soient, je penserais en avoir plus grande part à nombrer celles qui ont été produites, et aux siècles anciens et au nôtre, avant l'âge de trente ans que après. » (I,57)

     

    Perso je ferais remarquer qu'on peut quand même nombrer nombre de beaux actes, grandes découvertes et créations accomplies en un âge mûr (ou même blet). Mais soit, voyons ce que nous dit la perception personnelle de Montaigne.

    « Quant à moi, je tiens pour certain que depuis cet âge et mon esprit et mon corps ont plus diminué qu'augmenté, et plus reculé qu'avancé.

    Il est possible qu'à ceux qui emploient bien le temps, la science et l'expérience croissent avec la vie ; mais la vivacité, la promptitude, la fermeté, et autres parties bien plus nôtres, plus importantes et essentielles, se fanissent et s'alanguissent. » (I,57)

     

    Conception physiologique dirait Nietzsche, matérialiste même. À l'appui de laquelle Montaigne apporte une citation de Lucrèce (c'est logique).

    « Quand les coups vigoureux du temps ont tassé notre corps, quand nos forces s'émoussent et que nos membres s'affaissent, l'esprit cloche, la langue et la pensée radotent. » (De rerum natura III 451)

    Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait, dit le proverbe, qui sous-entend par là que vieillesse saurait. Montaigne et Lucrèce disent ici : vieillesse ne peut plus grand chose, et quant à savoir faut pas trop y compter non plus.

    Certes les vieux peuvent faire valoir une certaine expérience, mais la savent-ils vraiment, la pensent-il vraiment ? C'est loin d'être sûr pour beaucoup.

     

    Il y a un vieux savoir qui est juste enkystement dans le passé. Comme si la pensée se lestait des lassitudes du corps. 

    Déjouer ce fanissement, cet alanguissement, est nécessaire pour bien employer le temps qu'il reste. C'est à dire rester apte à une pensée authentique, aux changements de paradigmes qu'elle implique.

    Ainsi on pourra actualiser son expérience, la transmettre. Faire qu'elle ne reste pas lettre morte.

     

    Conclusion : vieux ou pas, essayons le gai savoir.

    « C'est le pays de vos enfants que vous devez aimer. »

    (Ainsi parlait Zarathoustra)

     

     

  • (6/21) Bon public

    L'adolescent aime poser à l'indocilité, il feint de n'avoir pas envie d'apprendre (du moins ce que ses profs lui proposent, ou ses parents).

     

    Beaucoup de vieux ne font pas semblant : ils pensent vraiment n'avoir plus rien à apprendre (du coup le mot penser se discute). Et ils abreuvent les plus jeunes de leurs conseils et vaticinations. En général sur un mode bougon de mon temps on savait ça, on faisait pas ça, on était plus ci, moins ça…

    Bref c'est le genre de vieux à qui on a irrésistiblement envie de rétorquer le temps ne fait rien à l'affaire. Cela peut d'ailleurs servir de test. Celui qui capte le sous-entendu n'est pas totalement irrécupérable.

     

    Mais si le vieux n'est pas trop con, il sait le reconnaître : tant qu'il y a de la vie il y a de quoi découvrir. Sur le monde, sur les autres. Sur soi-même aussi.

    On gagne en lucidité. Ce n'est pas exactement parce qu'on gagne en intelligence ou vertu.

    C'est plutôt parce qu'on perd : des défenses, des inauthenticités, des vanités.

     

    Et puis tout simplement on apprend parce que c'est tout ce qu'il reste à faire.

    « Notre vie, disait Pythagoras, retire (ressemble) à la grande et populeuse assemblée des jeux olympiques. Les uns y exercent le corps pour en acquérir la gloire des jeux ; d'autres y portent des marchandises à vendre pour le gain.

    Il en est, et qui ne sont pas les pires, lesquels ne cherchent autre fruit que de regarder comment et pourquoi chaque chose se fait, et êtres spectateurs de la vie des autres hommes, pour en juger et régler la leur. »

    (Montaigne Essais I,26 De l'institution des enfants)

     

    Le vieux, fût-il dans une forme olympique, doit admettre qu'il n'est plus dans la course. Il n'a plus grand chose à gagner et encore moins à vendre. Il est de fait assigné à la position sceptique dont Montaigne parle ici.

    Cette place en retrait de spectateur peut être vécue, ça se comprend, sur le mode de la frustration. Surtout pour ceux qui ont eu l'occasion d'avoir des rôles de premier plan, de tenir la vedette.

    Mais même pour ceux qui n'ont eu que de petits emplois, ont joué les utilités, c'est pas facile. Il faut accepter de s'effacer. Ou plutôt d'être effacé.

    Vous êtes désormais transparent(e), et comme disent les jeunes, on ne vous calcule plus autant.

     

    Reste une chose à faire : être bon public. Public actif, participatif, attentif, stimulant, pour aider les acteurs du jour à donner le meilleur d'eux-mêmes.

     

     

  • (5/21) Mal barrés

     

    Adolescence et obsolescence sont dans un bateau …

    C'est quoi cet enchaînement nul ? Première atteinte de la démence sénile ? Retomberais-je, en amont du long fleuve, en enfance ?

     

    Pas du tout. Considérons en effet que l'adolescent et l'obsolescent sont sinon dans le même bateau du moins dans des galères comparables.

    Dans les deux mots le même suffixe latin marquant un processus. Un work in progress si ça vous parle plus (avoir tous les âges touche aussi le langage).

     

    Sans ignorer les enfants malmenés, on peut dire que l'enfance est un monde plutôt stable en général. On s'y s'épanouit dans la sécurité, sous la protection de parents et autres adultes, dans la confiance qu'ils connaissent la vie et savent vous guider (naïveté charmante).

    Mais soudain à l'adolescence tout se met à tanguer. La terre se dérobe sous vos pieds. Perte de repères, incertitude, angoisse (tout ça généralement dénié et converti en diverses provocations).

     

    Et ne parlons pas du narcissisme qui en prend un sale coup, sous l'effet des remaniements physiques qui viennent casser l'image d'angelot ou de poupée.

    Le corps se met à exhiber sa sexuation, provoquant gêne, honte.

    Mais aussi, c'est vrai, nouvelle fierté, parfois sensation d'un nouveau pouvoir. Assorti forcément de nouvelles injonctions (règles, érection : mots parlants). L'anatomie c'est le destin, dit Freud.

    Qu'on le veuille ou non, c'est à partir de l'anatomie qu'il va falloir désormais envisager son destin. Qu'il va falloir assumer son existence en y cherchant liberté et vérité (ce qui implique donc la contestation possible des diverses injonctions sociales liées à l'anatomie).

     

    Période inquiète au sens fort, moment terriblement âpre et rugueux.

    Mais période qui ouvre sur un avenir. Même le plus déboussolé des adolescents a la notion confuse que le papillon finira par s'extirper de la chrysalide.

    Au contraire, même le plus optimiste des vieux est obligé de voir qu'il file un mauvais coton.

    Ses remaniements physiques n'oeuvrent qu'à son délitement. Quant à ses tangages, il y décode le signe avant-coureur du naufrage. Bref le vieux se sait mal barré.

    Deux solutions alors.

     

    Il peut se laisser dériver (conduite parallèle à la provocation adolescente).

    Ou bien il choisit de continuer à ramer avec les autres dans la galère de la vie.

     

    (Quoi métaphore pourrie ? Je ne fais que costumiser une pensée de Pascal).