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Le blog d'Ariane Beth - Page 206

  • (10/12) Ecrire (pour pas grand chose non plus)

     

    Écrire, qu'est-ce à dire ? Vaste question. Je vais parler pour moi.

    Si j'écris c'est je crois bien parce que j'ai peur que le monde existe moins, que les choses de la vie se perdent si je ne les écris pas. Si je ne les enrôle pas, pour le dire au mieux avec Montaigne (qui d'autre).

    Le monde, les choses, pas dans leur réalité objective, évidemment : ils n'ont besoin ni de moi, ni de personne, pour être là.

     

    Non, ce que je m'escrime à enrôler par peur de le perdre, c'est la façon dont je ressens les choses, l'écho particulier qu'elles provoquent en moi. C'est certes le fait de chacun, de ressentir les choses à sa façon.

    En chacun toute chose résonne, dans la rencontre entre ce qu'elle est et ce qu'il est.

    Seulement beaucoup de gens, la plupart il me semble, se moquent de noter cette résonance, et parfois même y font à peine attention. (Mais comment savoir on ne voit que la surface).

     

    D'où vient chez certains cette peur de perdre le monde, et qu'il s'évanouisse ? Peur de perdre le monde, ou peur de se perdre, soi ? Les deux ensemble sans doute. Tout besoin d'écrire inclut, parfois en (se) le cachant, le besoin de s'écrire (à) soi.

    En toute personne qui cherche à laisser trace de son écho au monde, il y a quelque chose de Narcisse.

    La trace peut prendre différentes formes, création artistique, artisanale, impression d'une marque sur un domaine de la société. Il y a des Narcisses au pinceau, au piano, au marteau, au bureau même. Et il y a les Narcisses au stylo.

    OK stylo c'est pour l'assonance. Narcisse aujourd'hui est au clavier, après avoir été au burin, au calame, à la plume d'oie ou d'acier.

     

    Bon ça suffit les bêtises : ces citations glanées sur internet, pour que tu ne sois pas venu pour rien dans cette page, ô lecteur aux mille patiences.

     

    « Un chef d'œuvre de la littérature n'est jamais qu'un dictionnaire en désordre » (Jean Cocteau)

    Aussi astucieux qu'Ulysse-personne (cf 2/12)

     

    « Écrire c'est aussi ne pas parler. C'est se taire. C'est hurler sans bruit » (Marguerite Duras)

    C'est beau. Mais c'est triste. Mais c'est beau. Duras, quoi.

     

    « Qu'est-ce qui pousse certains auteurs à se cacher derrière un pseudonyme ; est-ce qu'un écrivain, finalement, possède une existence réelle ? » (Paul Auster)

    Non sans doute. Précisément : il se fabrique un monde d'écriture où tout est tellement plus facile que dans la vraie vie, il se protège comme il peut de la rugueuse réalité. 

     

  • (9/12) Penser (pour rien)

    « Aujourd'hui j'arrête de penser. J'aurais dû y penser avant. Je ne comprends pas comment l'idée ne m'en est pas venue plus tôt. Ça m'aurait bien simplifié la vie. J'aurais dû me laisser vivre, comme on dit si bien. Mais non, au lieu de ça, j'ai pensé »,

    se reprochait-elle.

     

    « Car peut-on à la fois vivre et penser ? Non bien sûr ça tombe sous le sens. Pourquoi m'a-t-il fallu tout ce temps pour le comprendre ? Par quelle absurdité n'ai-je passé mon temps à vivre que réflexion faite, que tout bien pesé »,

    s'interrogeait-elle.

     

    « Penser, peser, le même mot. Je le savais pourtant, je l'ai su, très tôt, avant même d'avoir l'âge de raison. Penser ou être léger, tel est le choix. Oui mais on tombe sur une aporie, car choisir, vraiment choisir, ne peut se faire qu'en connaissance de cause »,

    argumentait-elle.

     

    « Quoique »,

    objectait-elle,

    « ce n'est pas exactement entre vivre et penser l'incompatibilité. N'est-elle pas plutôt entre percevoir et penser ? Sachant que penser met en jeu un stock de données engrangées, mobilise la mémoire, même pour une pensée minimale, il faut nécessairement du temps pour penser. Même très peu, un laps de temps très court, presque imperceptible, par exemple quand l'on pense en un éclair »,

    raisonnait-elle.

     

    « Chose qui m'arrive parfois »,

    constatait-elle.

    « Mais l'éclair n'éclaircit pas les idées, on dit même sa lumière aveuglante»,

    élucidait-elle.

    (« Tout s'explique »

    entreparenthésait-elle avec auto-ironie).

     

    « Alors que percevoir est par définition chose radicalement immédiate »

    reprenait-elle.

    « Être et percevoir sont ainsi nécessairement confondus »

    déduisait-elle.

    « Mais pas avec la même nécessité être et penser. Quoiqu'en pense Descartes »,

    philosophait-elle.

    « Quoique. Descartes ne confond pas être et penser, puisqu'il les médiatise avec ce fameux donc. Ah mais voilà qui risque de mettre à terre tout mon raisonnement anti-pensée »,

    concluait-elle.

     

    « Car la question est »

    (ah donc ne concluait pas encore, au temps pour moi)

    « la question est : avec son donc Descartes constate-t-il juste que penser est en quelque sorte une preuve de vie (comme on photographie un otage avec le journal du jour), que vivre et penser sont concomitants sans qu'il faille y chercher une relation de cause à effet ? Ou bien affirme-t-il que pour être il faut penser ? Dans les deux cas, il est clair qu'il faut que je reprenne toute ma réflexion. Bref c'est pas aujourd'hui que je vais pouvoir arrêter de penser »,

    concluait-elle. (Oui ? Ça y est cette fois?)

    « D'ailleurs ça tombe bien, j'ai rien d'autre à faire. Et puis ... »

    (Ah non, stop !)

     

  • (8/12) Civilisation

    La société civile : drôle d'expression quand même. Pléonastique, non ? Une société est par définition civile en tant qu'ensemble des personnes qui sont la cité. Re-non ?

    La société civile. Ainsi nommée, oui je sais, pour la différencier du monde politique. Ce qui implique logiquement : celui-ci est la société incivile. CQFD.

    Que ce ne soit pas la seule partie du corps social atteinte de ce mal, on est d'accord. Le virus de l'incivilité est endémique. Simplement il y a des zones du spectre social où il s'exprime de façon plus visible.

    Celles du pouvoir (politique, économique surtout), et, à l'autre bout, comme en miroir, celles où l'impuissance se convertit en violence.*

     

    Quant à l'expression réseaux sociaux, hein ? Un remarquable cas d'école de la langue de bois dont on fait les pipeaux. Un terme-pipeau qui pianote en virtuose sur toutes sortes d'ambiguïtés.

    Pipeau ou piano faut choisir, dira le lecteur. En fait c'est juste qu'une métaphore en cache une autre. C'est une métaphore poupée-russe, si vous voulez.

     

    Tout ça pour dire ce qui me gêne dans le terme réseaux sociaux est qu'il confine au mensonge (par omission au mieux) (et quand je dis confiner j'euphémise un max).

    Car il laisse subliminalement entendre que les réseaux seraient par définition des éléments contribuant à construire la société, à fabriquer du lien social. De fait ils représentent une forme quantitativement importante du lien social, on ne peut le nier.

    Mais côté constructivité réelle pour la société, disons qu'il y a du déchet.

     

    Et par ailleurs (ou pas si ailleurs) on peut s'interroger sur la fibre sociale des firmes capitalistes que sont avant tout ces réseaux. Terriblement sujettes à la paresse fiscale comme d'autres à la paresse intestinale. Sans compter une relation pas vraiment sociale avec leurs employés, surtout d'en bas.

    Et avec ça complices (à l'insu de leur plein gré ça va sans dire) d'atteintes aux droits zé législations, d'atteintes à la vérité.

    Mais soyons justes : tout ça n'est pas très porteur pour l'action (boursière oui) (pourquoi y en a d'autres?)

    Alors qu'avec un truc bien glauque ou bien méchant, c'est clic garanti. Genre le bras d'un bandit-manchot à tous les coups gagnant.

     

     

    *effet miroir mis en lumière dans Code 93 d'Olivier Norek (Michel Lafon 2013)