Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Le blog d'Ariane Beth - Page 208

  • (4/12) Une couronne à Stockholm

    Quel mot pour dire cette aventure : confinement ? confinement/déconfinement ? épisode covid ? Je dirais bien juste tout ça. Mais la paresse locutoire ne passera pas par nous, ô lecteur-trice : tentons de nommer ce ça.

    Commençons par remarquer qu'il y a trois choses différentes enchaînées. Le virus, la maladie qui en découle, les situations qui découlent de la maladie.

     

    Premièrement donc : nommer le virus soi-même.

    « Coronavirus » ? Trop ou trop peu. C'est un coronavirus certes, mais ils sont nombreux dans la famille, faut donc préciser. Il s'agit d'un SARS coronavirus.

    Mais dans la branche SARS aussi ils sont quelques-uns. L'épidémie de 2003 en Asie fut le fait d'un nommé SARS CoV. D'où le nom exact du deuxième de la dynastie, SARS CoV-2.

    On n'a pas nommé le premier directement CoV-1, malgré les fortes probabilités qu'il ait une descendance sans trop tarder : superstition je gage (la superstition n'épargne pas l'esprit scientifique).

    Cela étant, SARS CoV-2, nom le plus exact mais pas franchement rock'n roll, n'a pas séduit grand monde sur les ondes et sous les cieux.

    Le mot plébiscité reste coronavirus. Il sonne bien, et ceux qui n'ont pas taillé les cours de latin y entendent le mot couronne. Ça fait riche.

     

    D'autres disent corona. Moins par latinisme que par habitude de l'apocope du parler contemporain : gagnons du temps et faisons cool. Ça fait surtout penser à la marque de bière. (C'est peut être pour ça en fait ?)

     

    D'autres encore, des épidémiologistes, des spécialistes, disent nouveau coronavirus : façon discrète de laisser entendre qu'ils savent qu'il y en a eu d'autres, mais ne veulent pas étaler leur savoir.

    Ils emploient peu SARS CoV-2 : c'est vrai que cette suite rebutante de lettres et chiffres fait formulaire de sécu, d'administration fiscale (ou ogive nucléaire cf ce blog Du virus 3/8 11 mai 2020).

     

    Moi ? (Merci de poser la question, lecteur). Dire SARS CoV-2 satisferait mon souci scrupuleux de précision. Mais j'évite, crainte de passer pour une frimeuse. Résultat j'en reste à virus tout court.

    Reste la question du déterminant.

    Dire le virus lui donne un statut vraiment disproportionné, en fait un symbole, le mythifie, le déifie quasiment. Alors je dis ce virus. Façon de le relativiser, de le remettre à sa place. Il y aussi là quelque chose de mobilisateur. Ce virus ici maintenant auquel nous avons à faire face.

     

    Dans le même ordre d'idée, on pourrait presque dire notre virus. Mais non : trop gentil, trop familier. D'accord on n'a pas le choix de s'habituer à sa présence, d'avoir à le fréquenter, ou plutôt à s'efforcer de le tenir à distance, pendant de longs mois encore.

    Mais ce n'est pas une raison pour se laisser gagner par le syndrome de Stockholm.

  • (3/12) Léger maintenant

     

    « Je me rappelle avoir marché des journées entières sur les chemins en me félicitant d'être heureux de rien. Je n'étais pas heureux de rien, je savourais la légèreté. »

    (Amélie Nothomb Soif)

     

     

    « Je ne croirai qu'en un dieu qui s'entendrait à danser. Et lorsque je vis mon diable, je le trouvai grave, minutieux, profond, solennel ; c'était l'esprit de pesanteur – par lui toutes choses tombent.

    On ne tue pas par la colère, mais on tue par le rire. Allons, tuons l'esprit de pesanteur !

    J'ai appris à marcher : depuis ce temps je me laisse courir. J'ai appris à voler : depuis je n'attends plus qu'on me pousse pour changer de place.

    Maintenant je suis léger, maintenant je vole, maintenant je m'aperçois au-dessous de moi-même, maintenant un dieu danse en moi. »

    (Nietzsche Ainsi parlait Zarathoustra. Lire et écrire)

     

     

    « Tant d'années,

    et vraiment si maigre savoir,

    cœur si défaillant ?

    Pas la plus fruste obole dont payer

    le passeur, s'il approche ?

     

    - J'ai fait provision d'herbe et d'eau rapide

    je me suis gardé léger

    pour que la barque enfonce moins.»

     

    (Philippe Jaccottet Pensées sous les nuages. On voit)

     

     

    Pour une fois, des citations sans ajout de propos oiseux : ça fait du bien, n'est-ce pas, lecteur ? (Savoure, je crains que ça ne se reproduise pas de sitôt).

    - Qu'est-ce que tu dis, Blanche ?

    - Rien rien Ariane, je parlais à notre lecteur.

     

     

     

  • (2/12) L'air de rien

    « La théorie c'est quand on sait tout et que rien ne fonctionne. La pratique c'est quand tout fonctionne et que personne ne sait pourquoi. Ici nous avons réuni théorie et pratique : rien ne fonctionne et personne ne sait pourquoi. » Albert Einstein.

    (où et quand il a dit ça je sais pas j'ai trouvé sur internet à propos de rien - du mot rien je veux dire)

     

    Je sais une chose que je ne sais rien, disait Socrate d'après Platon (qui lui était sûr de savoir quelque chose) (pardon, mais dire du mal de Platon j'y résiste rarement, c'est un des grands plaisirs de ma vie).

     

    En tout cas Woody Allen conclut Whatever works (2009), du moment que ça marche ...

     

    Rien est un mot subtil, d'une subtilité parallèle au fameux je ne me nomme pas d'Ulysse au cyclope Polyphème. Je ne dis pas mon nom, ou bien je n'ai pas de nom, je (ne) suis personne : comment décider entre les deux ?

    Le mot rien en soi, tel qu'il est fait, dans sa matérialité même, en tant que signifiant, est un mot aussi astucieux qu'Ulysse aux mille ressources.

     

    Rien vient du mot latin res = une chose.

    En fait plus exactement il vient de rem, puisque la forme de beaucoup de nos mots vient de l'accusatif latin. Au fil du temps, et de l'emploi par tant de locuteurs en tant de circonstances variées, des six cas du latin classique n'en sont restés que deux, le nominatif cas du sujet, et l'accusatif cas du COD.

    Ce dernier a été très vite le plus présent quantitativement dans le discours, vu qu'il était utilisé pour tout ce qui n'était pas sujet, pour les compléments en tout genre.

    Car une langue, ce sont des gens qui parlent. Et la plupart n'ont pas envie de se compliquer la vie quand ils parlent (ni en général).

    « Oui bon là faudrait un génitif, un datif, un ablatif, mais bon on s'en fout, whatever works, du moment qu'on se comprend. » Et va pour l'accusatif. C'est ainsi que les langues se simplifient.

     

    Donc chose, rem, rien.

    Ainsi rien dit toute chose. Toute chose qui se présente, comme elle se présente, quand elle se présente.

    Rien, en soi, en tant que signifiant, ce n'est donc pas rien du tout, mais plutôt rien de spécial, rien de précis.

    « Je me rappelle avoir marché des journées entières sur les chemins en me félicitant d'être heureux de rien. Je n'étais pas heureux de rien, je savourais la légèreté. »

    (Amélie Nothomb Soif)

     

    Rien ne fonctionne et personne ne sait pourquoi. Rien ne fonctionne, mais y a quand même quelque chose, là, qui se passe, comme ça peut. Ça s'appelle la vie.

    Personne ne sait pourquoi, du coup tout le monde continue à chercher.

    Ça aussi ça s'appelle la vie.