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Le blog d'Ariane Beth - Page 296

  • Psaume 19 (2/3) Sive natura

    Au plan de l'écriture, le passage d'un nom à l'autre (d'El à YHWH) fait supposer la compilation de deux poèmes primitifs, l'un à la louange de la nature, l'autre à la louange de la loi, cousus ensemble au moment de la composition globale du recueil.

    Remarquons que le couturier, le rhapsode qui a fait l'assemblage n'a pas cherché à effacer la couture entre les deux thèmes. Au contraire (tel un Jean-Paul Gaultier) il la stylise, la met en évidence par l'absence de transition entre les v.7 et 8.

    Stylisation dont la brutitude (oui ça n'existe pas, comment on dit pour dire que c'est brut mais pas brutal ?) vient donner toute sa force au sens du texte, et à l'intention couturière du poète.

    Suivons le fil de sa création.

    Figurons-le à sa table de travail en train de dérouler les rouleaux du livre pour étudier la loi. Voici qu'un rayon de soleil vient s'y poser.

    Lumière, chaleur, c'est beau, ça fait du bien. « Soleil toi sans qui les choses ne seraient que ce qu'elles sont. Ça me rappelle un texte … voyons … ah voilà. »

    C'est un poème (v.1-7) qui dit : la réalité du monde c'est la présence rayonnante d'El. Elle se diffuse dans l'espace-temps en vibration de vie, le soleil en est le symbole et l'agent. Il est porteur d'une énergie clairement libidinale, présenté en mâle conquérant, tout à son exultation de faire l'amour au cosmos, illuminé de son propre rayonnement (v.6-7).

    Ah oui un bien beau poème …

    Mais notre homme, studieux, revient au texte qu'il s'est donné pour étude : une louange à l'enseignement de YHWH (v.8-15), à l'architecture éthique de la torah, le roc sur lequel l'être humain peut se construire pour s'accomplir (cf par-fait v.8).

    Texte solide c'est sûr mais moins fun a priori. Quoique ?

    Alors c'est l'illumination, un soudain branchement métaphorique se fait en lui : ce soleil qui réchauffe ses vieux os (je sais pas pourquoi je le vois plutôt vieux), il est présent de la même présence dans le texte qu'il a sous les yeux (usés par toutes ses lectures) :

    Le commandement de YHWH, lumineux, illumine les yeux (v.9).

    Ton serviteur aussi en est éclairé (v.12)

    Révolution du soleil sur son orbite, rouleaux de la torah déroulés pour la lecture, deux mouvements dont il perçoit tout à coup la similitude.

    Ce sont la joie et le bien-être ressentis qui opèrent la révélation, qui donnent le critère d'interprétation (spinoziste un jour spinoziste toujours).

    Il discerne dans ce double affect, plaisir du corps dans le soleil, plaisir de l'esprit dans son étude, une unique libido (freudien un jour freudien toujours) pareillement à l'œuvre en lui et dans le monde.

    La parole de YHWH est coextensive à la vie, le texte de la loi se tisse sur la trame du monde.

    Il décide donc, logiquement, de coudre les deux poèmes.

     

     

  • Psaume 19 (1/3) Présence

    1 Au chef de chœur. Psaume à David.

    2 Les cieux racontent la présence d'El, et le firmament décrit l'œuvre de ses mains.

    3 Le jour pour le jour exhale le dire, et la nuit pour la nuit vivifie la connaissance

    4 Nul dire, nulle parole dont le son puisse s'entendre.

    5 Leur vibration jaillit par toute la terre, et leurs mots vont aux confins du monde où, pour le soleil, Il a posé une tente.

    6 Et tel un époux sortant du dais, tel un brave, il se réjouit de courir la distance.

    7 Il jaillit de l'extrémité du ciel, son orbe en couvre toute l'étendue : nul n'est caché de sa chaleur.

    8 L'enseignement de YHWH, parfait, convertit l'être, le témoignage de YHWH, fidèle, donne au simple la sagesse.

    9 Les préceptes de YHWH, droits, réjouissent le cœur ; le commandement de YHWH, lumineux, illumine les yeux.

    10 Le tremblement de YHWH, pur, tient à travers le temps ; les jugements de YHWH, vérité, sont justes tous ensemble.

    11 Plus désirables que l'or, que l'abondance d'or pur ; plus doux que le miel, que le rayon de miel pur.

    12 Ton serviteur aussi en est éclairé ; les garder a un effet immense.

    13 Qui comprend ses erreurs ? Innocente-moi de celles qui me sont voilées.

    14 Préserve aussi ton serviteur de l'orgueil, qu'il ne me domine pas. Alors je serai intègre, innocent d'une grande transgression.

    15 Agrée les paroles de ma bouche et les murmures de mon cœur devant ta face, YHWH mon roc, mon libérateur.

     

    Tel un son et lumière, ce psaume fait jouer l'écho entre parole lumineuse et lumière parlante. Le soleil y rayonne, pivot de la métaphore qui donne la structure et le sens du texte (v.7-8).

    Plutôt que créature d'El, il est émanation de sa présence, matérialisation d'un dire indicible (v.4). Vibration au v.5 c'est mot à mot ligne. La ligne, suivant la courbe du soleil, qui relie le livre de la nature et celui de la loi (précisée en enseignement témoignage v.8, préceptes commandement v.9, tremblement jugements v.10).

    L'enchaînement des deux thématiques, contemplation/écoute de la nature, et discours éthique, présente un caractère tout sauf anodin : le passage de la dénomination d'El (v.1) à celle de YHWH (v.8).

    Je l'ai rappelé au début du parcours (Au pluriel), El évoque la puissance d'un créateur/ordonnateur du monde. YHWH relie existentiellement chaque être humain au Nom, lorsqu'il le prononce.

    La partie en El dit la Présence (ou présence cf Nom/nom) dans l'univers.

    Celle en YHWH désigne un chemin éthique à l'être humain.

     

    La question est : quel rapport entre les deux ?

     

  • Fluctuat nec mergitur (2/2) Il vous faut parier

    Souvent la menace que perçoit le poète, malgré sa prégnance, reste floue. Elle ne provoque pas la peur qui sait préciser son objet, mais l'angoisse. L'angoisse est appréhension, c'est à dire le négatif du désir, alors que la mélancolie est son absence.

    Mais dans les deux cas c'est la radicale défaite de l'être. Pas (seulement) la mort réelle, mais la mort psychique, l'atteinte du souffle (ruah) : tout à la fois énergie vitale et inspiration du poète.

    En général l'angoisse repose sur un sentiment de culpabilité, on l'a dit l'auteur des psaumes a lu Freud.

    Il se pense injuste aux autres, néfaste à lui-même. Plus fondamentalement, il fait défaut à « YHWH », échoue à se prononcer pour et dans le nom. Si l'ennemi a le dessus, c'est que je ne mérite pas que YHWH me sauve.

    Qu'il dit. Car il l'espère en même temps, ballotté qu'il est dans les fluctuations d'âme (il a lu Spinoza aussi).

    Ainsi la séquence au ps 39 je suis muet (devant l'ennemi) je n'ouvrirai pas la bouche car c'est toi qui agis (10) éloigne de moi tes coups, je succombe à l'irritation de ta main (11), à la fois demande à YHWH de détourner de lui la main qui châtie, et appel à cette main comme protection contre l'ennemi.

    Ce n'est que dans quelques psaumes, assez rares finalement, que la culpabilité est clairement reconnue, présentée comme réelle, ainsi au ps 51 inspiré de la faute de David (cf Du sans nom à Salomon).

    Quant à la mélancolie irréductible de la condition humaine, sa formulation la plus frappante est peut être la question de Job :

    pourquoi donne-t-il la vie aux êtres amers ? (Jb 3,20)

    La réponse du livre des louanges révèle un des enjeux fondamentaux de la Bible.

    Embarqué dans la haute mer de mélancolie où il est sujet à tous les vagues à l'âme, le poète des psaumes suit par avance le fameux conseil de Pascal il vous faut parier.

    La survie psychique, permettant souvent le sursaut qui rendra possible la survie tout court, repose pour lui sur la version poétique du pari pascalien.

    J'ai peur, je crains qu'Elohim m'ait abandonné, et d'ailleurs il aurait des raisons de le faire. Eh bien, je fais un pari : au lieu de me désoler d'être abandonné, je pose dans mon poème un inaccompli/accompli, il ne m'aura pas abandonné.

    Si j'anticipe le salut dans mon chant, mon chant me sera salut. Ce mouvement, rencontré au cœur du ps 42, est décidément la clé des psaumes. Ni théologie, ni réflexion philosophique et anthropologique abstraites, ils sont le pari d'un poète qui prend au mot le nom pour y inscrire son existence.