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Le blog d'Ariane Beth - Page 298

  • Ps 42 (3/5) Je me souviens

    Mais le chant est impuissant à faire cesser le sarcasme, de retour au v.11. Cependant il peut développer la vertu d'un viatique pour traverser le temps d'oppression et nourrir l'espoir d'avenir.

    Comment ? Par la remémoration du bonheur passé.

    Je me souviens et je verse sur moi mon être : je passais dans la foule, je les menais en procession vers la maison d'Elohim, cris de joie et de reconnaissance d'une multitude en fête (v.5)

    L'évocation du chant d'hier, le bonheur de fêter Elohim au sein de son peuple est littéralement un ressourcement, lisible dans la séquence des v. 3, 4, 5 Mon être a soif, mes larmes sont mon pain, je me souviens et je verse sur moi mon être.

    En réponse à la soif du moi desséché, d'abord viennent les larmes, comme la résurgence amère de la dérision subie, des insultes bues jusqu'à la lie.

    Mais ces larmes sont une eau empoisonnée qui corrode l'être, comme les mots de l'oppresseur obnubilent la pensée.

    En antidote à ce poison je me souviens et je verse sur moi mon être : en faisant mémoire, je remonte à la source vive de mon être véritable.

    L'acte de résistance à l'oppression devient alors possible dans une sorte de réouverture du temps. Ce qui semble perdu dans le passé va, par la grâce de la remémoration, se projeter dans un futur possible.

    L'accompli (cela a été) comme appui d'un inaccompli (cela peut encore et toujours être) : tel est le passage que met en œuvre l'aspect performatif de la parole.

    Le poète parviendra à persévérer dans l'être en persévérant dans la louange, en ne cessant de la réitérer. Un mouvement dont l'efficacité se lit dans la figure de style qui fonde le poème : la reprise du v.6 au v.12.

     

     

  • Ps 42 (2/5) Son chant avec moi

    Au début du poème, le gros plan sur la biche fascine, l'identification de l'être désirant à l'animal assoiffé piège l'affect. Et l'on risque de négliger l'arrière plan près des cours d'eau, vu comme simple décor de l'image bucolique.

    Au contraire, l'image ne tire son pouvoir signifiant que du rapprochement des deux plans. La métaphore pose l'équivalence : le poète est biche assoiffée, El est eau vive.

    Se plonger dans cette eau pour en rafraîchir son être, la boire ? Non, dit le poète. Moi je crie ma soif en sachant que l'eau est là, tout près. Ce que je dis ici dans ce psaume, ce ne sont ni les paroles d'un homme comblé qui a étanché sa soif, ni celles d'un désespéré perdu dans un désert aride.

    Il y a ma soif, il y a l'eau, et moi je suis dans le cri du désir ainsi mon être soupire après toi Elohim.

    Mes larmes sont mon pain jour et nuit quand tout le jour il m'est dit où est ton Elohim ?(4) Meurtrissant mes os ils m'outragent mes oppresseurs en me disant tout le jour où est ton Elohim ? (11)

    Le désir est douleur dans le sentiment d'abandon face à l'oppresseur. Où est ton Elohim ? Question ironique et sadique que le poète a intégrée.

    Avec les larmes-pain, il remâche les mots de l'amertume, les mots traumatiques : même hors de la présence de l'oppresseur, ils restent inscrits en lui pour y accomplir leur œuvre de sape.

    Mais sous l'évidence aveuglante de ce pouvoir destructeur, le poète continue à affirmer la présence consubstantielle au monde. Le jour YHWH commande son amour, et la nuit son chant est avec moi prière à l'El de ma vie (v.9). Ce verset distingue-t-il deux modalités différentes de présence selon le jour ou la nuit ?

    Il s'agit plutôt d'affirmer que l'amour décisif de YHWH est actif (en cours de procédure, comme on le dirait d'un programme d'ordinateur) de jour comme de nuit, donc métaphoriquement dans le malheur comme dans le bonheur.

    Ainsi il n'y a pas deux chants différents, mais un seul, qui se poursuit de jour en jour, formulé mot à mot Le chant de lui avec moi, prière à l'El de ma vie.

    Un chant qui est la réponse trouvée par le poète à la question torturante où est ton Elohim. Où est-il ? Son chant avec moi.

    Il est dans le fait que je persiste à le chanter, il est ici-même dans mon psaume en train de se faire.

    Le chant vient étayer le sujet (d'où peut être la nomination YHWH émergeant au v.9 ?), soutenir sa persévérance à être malgré la destruction systématique que veut lui imposer l'oppresseur.

    Je le chante donc je suis avec lui.

    Donc je suis, je persiste dans l'être (puisqu'il est l'El de ma vie).

     

     

  • Psaume 42 (1/5) Exil

    1 Au chef du chœur. Illumination aux fils de Qorah.

    2 Comme la biche soupire près des cours d'eau, ainsi mon être soupire après toi Elohim.

    3 Mon être a soif d'Elohim d'El vivant. Quand viendrai-je à la face d'Elohim ?

    4 Mes larmes sont mon pain jour et nuit, quand tout le jour il m'est dit : où est ton Elohim ?

    5 Je me souviens et je verse sur moi mon être : je passais dans la foule, je les menais en procession jusqu'à la maison d'Elohim, cris de joie et de reconnaissance d'une multitude en fête.

    6 Pourquoi t'affaisses-tu mon être, pourquoi gémis-tu sur moi ? Désire Elohim car encore je lui rendrai grâce pour le salut de sa face.

    7 Mon Elohim mon être s'affaisse sur moi. C'est pourquoi je me souviens de toi depuis la terre du Jourdain, depuis l'Hermon, depuis le mont Mitsar.

    8 L'abîme appelle l'abîme à la voix de tes cataractes, tous tes brisants et tes vagues sur moi sont passés.

    9 Le jour YHWH commande son amour, et la nuit son chant est avec moi, prière à l'El de ma vie.

    10 Je dirai à El mon rocher : pourquoi m'as-tu oublié, pourquoi marcherais-je, sombre, sous l'oppression ennemie ?

    11 Meurtrissant mes os ils m'outragent mes oppresseurs en me disant tout le jour où est ton Elohim ?

    12 Pourquoi t'affaisses-tu mon être, pourquoi gémis-tu sur moi ? Désire Elohim car encore je lui rendrai grâce pour le salut de ma face, lui mon Elohim.

     

    Dans ce psaume on retrouve la foule en fête du ps 150, le pain des larmes du ps 127, le désir du ps 131 et sa formule-clé mon être sur moi.

    S'y ajoute la thématique de l'oppresseur, l'ennemi, non encore rencontrée et pourtant très présente dans les psaumes, donnant libre cours à l'angoisse du poète, avec la répétition lancinante de la question, existentielle s'il en est : pourquoi ?

    Comme la torah, les psaumes sont répartis en 5 livres. Le ps 42 commence le deuxième livre (42-72) où domine le thème de l'exil, assorti de l'espérance de délivrance. Exil de quoi ?

    Le thème superpose plusieurs plans.

    L'exil est ici réalité historique, avec le rappel de la terre perdue (v.7), des fêtes qui s'y déroulaient librement (v.5). Souvenir de bonheur fortement mis en contraste avec l'oppression subie en terre étrangère (v.10-11).

    Mais cet exil, fruit des accidents de l'Histoire, ne fait que raviver l'exil ontologique, l'exil constitutif de la condition humaine.

    Un exil existentiel jouant lui-même sur deux axes.

    Le poète se découvre exilé d'une relation au peuple et à la figure d'El. Douloureux certes, mais explicable par l'intervention néfaste de l'ennemi. En revanche, elle est déconcertante, perturbante, la constatation d'être exilé de soi-même (v.6 et 12)

    C'est de cet exil-là que monte le cri du ps 42.