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Le blog d'Ariane Beth - Page 297

  • Fluctuat nec mergitur (1/2) Creux de vague

    Nombreux sont les psaumes de plainte, les moments d'intense déréliction où le poète se sent submergé, au bord de la noyade. Oui mais, a-t-on envie de lui dire, vous n'y pouvez rien, vous êtes embarqué.

    Dans une triple histoire.

    Son histoire personnelle d'abord, avec proches ou moins proches.

    Parfois compagnons consolateurs, comme les frères du ps 133, d'autres fois hommes de bien, justes parmi lesquels il se sait ou se veut inscrit.

    Souvent il est confronté à l'autre comme ennemi, oppresseur, engagé dans un conflit, de manière parfois incompréhensible (le traître du ps 41 v.10). L'enjeu du conflit est en général interprété dans le cadre de la fidélité à YHWH. Si on lui en veut, c'est parce qu'il témoigne et lutte pour lui.

    D'où la deuxième histoire, les péripéties de l'alliance du peuple avec YHWH, relatées dans de grands psaumes historiques, par ex. ps 78 ou 105-106, récapitulation et interprétation de cette histoire, en particulier de l'exil.

    La troisième histoire est le fait d'être humain, mortel. Le poète l'envisage en mélancolique, notant des sensations caractéristiques.

    Il perçoit son inconsistance et sa précarité de habel (cf Et c'est l'humain) :

    YHWH connaît les pensées de l'homme, elles ne sont que vapeur (ps 94,11) 

    Les fils d'Adam ne sont que vapeur, les fils d'homme ne sont que mensonge. Sur la balance ensemble ils s'élèvent plus que la vapeur (ps 62,10)

    Il est dans la nuit et l'obscurité, la surdité et la mutité, enfermé dans l'humeur sombre, quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle. Enfermement « hystérisé » parfois dans l'image du tombeau. Jusqu'au boutisme du pire, d'où il tire l'argument-choc de l'appel au salut :

    ceux qui se décomposent se lèveront-ils pour te rendre grâce ? Parle-t-on de ton amour dans la tombe, de ta fidélité dans l'anéantissement ? (ps 88,11-12).

    Autre sensation récurrente, l'effondrement et la dissolution de l'être :

    ma vie se consume dans les chagrins, ma vigueur s'effondre à cause de mon iniquité, et mes os sont usés (ps 31,11). Jusqu'au radical hors vie de Je suis une chose perdue (ps 31,13) ou Je parle et fini de moi (ps 39,14).

    À quoi s'ajoute la brûlure, l'assèchement, ainsi la belle métaphore racinienne avant la lettre Ma sève reflua dans la sécheresse de l'été (ps 32,4).

    C'est aussi inversement la noyade, assez souvent dans ses propres larmes : Je dissous mon lit dans mes larmes (ps 6,7).

    Noyade combinée parfois à l'engluement, la déglutition par la boue, dans un mouvement inverse de la venue à l'être de l'adam. Ainsi au début du chef d'œuvre que constitue, au centre du livre, le ps 69 :

    Sauve-moi, Elohim, car les eaux sont venues jusqu'à mon être. Je m'enfonce dans une boue profonde, sans appui, j'entre dans les profondeurs de l'eau, le courant me submerge (v.2-3).

    Bref embarqué, et vraiment mal barré.

  • Ps 42 (5/5) Comme un sceau sur ta face

    Récapitulons. La structure du psaume présente la séquence suivante :

    1) le poète affirme son identité de désirant d'Elohim, mais l'éprouve en tension avec la désolation du doute instillé par le sarcasme de l'oppresseur.

    2) il lutte contre cette défaite existentielle, alternant les moments d'abattement (larmes v.4, effondrement début v.6 et 7, noyade v.8) et de ressaisissement, où il tente de s'ancrer dans la mémoire salutaire (souvenir ressource v.5, désir du désir v.6, confiance v.9).

    Au v.9 le psaume semble avoir accompli sa performance de consolation, et apparemment le poète le croit aussi, avec la formule son chant avec moi ce laudo ergo sum comparable au cogito cartésien.

     

    Et pourtant le v.10 relance la plainte, à l'aide des simples mots je dis (ou dirai) : à la fois présent et futur, on a affaire à un inaccompli qu'on pourrait traduire je ne peux cesser de dire .

    En fait les v.10-11 viennent expliciter la teneur du chant-prière du v.9, dans une sorte de mise en abyme : détruit par mon oppresseur, je retrouve la vérité de mon être dans mon chant, mais mon chant dit la seule vérité qu'il puisse dire : que je suis détruit etc.

    Avec ce je dis le poète se dépouille de son volontarisme. Enfin ose s'exprimer le fond de sa pensée : j'essaie de tenir bon dans le souvenir et l'espérance, et toi qui es censé être mon rocher, est-ce que tu tiens bon pour moi ?

    Je me souviens (v.5), je me souviens de toi (v.7) et puis pourquoi m'as-tu oublié ? (v.10). Cruel rapprochement. Je suis atteint dans mes os, au fin fond de moi-même, si bien que ma propre bouche porte vers toi la question-même de mes meurtriers (v.11). Où est ton Elohim, disent-ils.

    Mais oui, c'est vrai : pourquoi m'as-tu oublié ?

    On mesure alors l'énergie nécessaire à endiguer la dissolution de l'être, l'intensité de la lutte pour arriver à inscrire le dernier verset, ne pas laisser finir le poème sur la question mortelle des oppresseurs. Ne pas leur laisser le dernier mot, et sa vie avec.

    Mais que dire ? La seule chose possible, j'existe encore, je suis qui je suis : désir du désir. Alors au v.12 un à un reviennent les mots du v.6.

     

    Et le poète réalise : la face-salut d'Elohim s'est inscrite sur sa propre face. Désire Elohim car encore je lui rendrai grâce pour le salut de ma face lui mon Elohim.

    Un autre poète biblique (ou le même qui sait) écrit pareillement

    Mets-moi comme un sceau sur ton cœur, comme un sceau sur ton bras. Car l'amour est fort comme la mort. (Cantique des Cantiques 8, 6)

     

     

     

  • Ps 42 (4/5) Désire encore

    Pourquoi mon être t'affaisses-tu gémis-tu sur moi pourquoi ? Désire Elohim car encore je lui rendrai grâce pour le salut de sa face (v.6)

    Pourquoi mon être t'affaisses-tu gémis-tu sur moi pourquoi ? Désire Elohim car encore je lui rendrai grâce pour le salut de ma face lui mon Elohim (v.12)

    Ces versets construisent un effet de refrain, le second présentant une modification légère mais significative.

     

    Mais un regard d'abord sur la suggestive image de l'être qui s'affaisse et gémit sur moi. Je comprends ce sur moi de manière concrète.

    Non pas gémir sur moi seulement au sens de déplorer mon sort, mais comme un geste de repli, de retour sur soi.

    On dirait que l'être, le souffle intime du sujet, vient, pathétique poupée de chiffon, chercher consolation auprès d'un moi (sa figure sociale) implicitement maternel. Image très proche de celle du ps 131.

    Mais ici l'être n'est pas vu comme l'enfant qui doit éduquer son désir exigeant par l'épreuve du sevrage.

    Ici le désir a déserté. Le sujet est vidé de sa force, s'effondre littéralement, en proie à une tragique détumescence existentielle. C'est bien pourquoi le poète exhorte son être dévitalisé à désirer Elohim.

    Il ne propose pas de le prier, de lui offrir des sacrifices ou pire sa souffrance. Non, il s'agit de retrouver l'état de désir du premier verset, où le poète s'est reconnu dans sa vérité profonde.

    En proie à une bipolarité, il connaît tantôt le ressourcement, tantôt le dessèchement qui effondre. 

    Ce qui permet de résoudre l'alternance, c'est de considérer le flux continu qui fait le passage entre les deux.

    Ce qui court sans cesse entre l'assèchement et le ressourcement, c'est cela la tension du désir.

    Où l'on revient à l'image inaugurale de la biche près des cours d'eau.