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Le blog d'Ariane Beth - Page 363

  • Dédain civilisé

     

    « Montrer de la colère ou de la haine dans ses paroles ou ses traits est inutile, dangereux, imprudent, ridicule, vulgaire. »

    Schopenhauer (Aphorismes sur la sagesse dans la vie)

    Faites ce que je dis mais pas ce que je fais, Hegel en est témoin. Et il est loin d'être le seul. Colère, haine, peut être pas, mais en tout cas Schopenhauer est du style à balancer des mégatonnes d'ironie dans ses phrases missiles.

    Et les cibles ne manquent pas. Y en a pour tout le monde : un festival d'invectives qui évoque Nietzsche, nourri de Schopenhauer comme on sait. (cf ce blog 28-1-2015)

    Un incontournable : les femmes. Ève en fut réduite au pagne en feuilles de figuier, mais nous ses filles on peut remercier Arthur pour la garde robe.

    « juvéniles, futiles et bornées (...) une sorte d'intermédiaire entre l'enfant et l'homme. »

    « Que peut-on attendre de la part des femmes, si l'on réfléchit que, dans le monde entier, ce sexe n'a pu produire un seul esprit véritablement grand, ni une œuvre complète originale dans les beaux-arts, ni en quoi que ce soit un seul ouvrage d'une valeur durable. » (Parerga et paralipomena)

     

    D'un autre côté les femmes sont vengées par ceci :

    « On peut voir, comme symptôme extérieur de la grossièreté triomphante, la compagne habituelle de celle-ci : la longue barbe ; cet attribut sexuel au milieu du visage indique que l'on préfère à l'humanité la masculinité commune aux hommes et aux animaux. On veut avant tout un homme, et seulement après un être humain. La suppression de la barbe, à toutes les époques et dans tous les pays hautement civilisés, est née du sentiment légitime opposé : celui de constituer avant tout un être humain in abstracto, sans tenir compte de la différence animale de sexe. La longueur de la barbe a toujours, au contraire, marché de pair avec la barbarie, que son seul nom rappelle. » (P&P)

     

    Ou encore ce trait joliment cinglant balancé à Napoléon (forcément, une idole de Hegel).

    « Tout faible garçon qui, par de petites méchancetés, se procure un mince avantage au détriment des autres, si peu grave que soit ce détriment, est aussi méchant que Bonaparte. » (P&P)

     

    Cependant il me semble que, comme chez Nietzsche, l'insulte dessine en creux les valeurs que l'insulté bafoue. En un sens elle témoigne, mieux que l'indifférence, d'une foi en l'amélioration de l'humanité, d'une ardeur, d'un désir.

    Avec un soupçon de bienveillance, cette pratique rejoindrait ce que Carlo Strenger nomme le dédain civilisé.

    Attaquer sans pitié paroles ou actes que l'on considère comme négatifs et dangereux pour le corps social, mais sans disqualifier les personnes.

    Ouvrir une porte à un au-delà de la bêtise ou de la méchanceté, mais qui ne serait pas interdite aux méchants cons eux-mêmes.

    Un sacré programme.

     

  • T'ar ta gueule ...

     

    « Quand un hégélien se contredit soudainement dans ses affirmations, il dit : 'Maintenant, la notion s'est transformée en son contraire.' »

    Schopenhauer (Parerga et paralipomena)

     

    Comme Monsieur Jourdain de la prose, nous sommes donc nombreux à pratiquer l'hégélianisme sans le savoir. Y compris Schopenhauer. Raison pour laquelle on peut le supposer sourire (ironiquement certes) en notant cette remarque.

    Que reproche-t-il alors vraiment à Hegel ?

    « Cet homme, pour anéantir de nouveau la liberté de la pensée conquise par Kant, osa transformer la philosophie, cette fille de la raison, cette mère future de la vérité, en un instrument des intrigues gouvernementales, de l'obscurantisme, et du jésuitisme protestant : mais pour dissimuler l'opprobre, et en même temps pour assurer le plus grand encrassement possible des intelligences, il jeta sur elle le voile du verbiage le plus creux et du galimatias le plus stupide qui ait jamais été entendu, du moins en dehors des maisons de fous. » (Essai sur le libre arbitre)

    Hegel va donc à l'encontre du progrès, en réactionnaire et obscurantiste. Mérite-t-il seulement le nom de philosophe, cet homme stupide-fou-creux ?

    Schopenhauer, en bon polémiste, sait parfaitement où frapper. Car il n'est pires injures pour celui qui a pondu une philosophie selon laquelle l'Histoire serait gouvernée par le mouvement de la raison.

    Schopenhauer discerne une mauvaise foi chez Hegel. Il n'est pas rationnel, il est calculateur. Il n'écrit pas pour l'avènement de la déesse Raison, mais pour la mesquine raison de faire carrière auprès des puissants.

    Et d'enfoncer le clou.

    « La philosophie de Hegel n'a de clair que son intention, qui est d'obtenir la faveur des princes par la servilité et l'orthodoxie. La clarté de l'intention contraste de façon très piquante avec l'obscurité de l'exposé, et on voit se développer, à la fin de tout un volume plein de galimatias et de non sens ampoulés, la noble philosophie des vieilles femmes qu'on étudie d'ordinaire en quatrième, à savoir Dieu le Père, le Fils et le Saint-Esprit. » (Parerga et paralipomena)

    Pas faux, non ? Mais ne soyons pas naïfs, ces vacheries expriment avant tout la jalousie de Schopenhauer envers un rival reconnu, adulé par le public se pressant à ses cours, tandis que lui, pauvre Arthur, soliloquait devant des chaises vides.

    On comprend mieux sa phrase sur la lucidité supérieure de l'inimitié (cf Conseil d'amie). La sienne l'a rendu clairvoyant pense-t-il sur la bêtise hégélienne.

    Pour ma part je ne trancherai pas. Quoique. J'avoue sans vergogne savourer ce débinage de Hegel.

    Bien fait pour lui qui m'a infligé tant d'heures d'ennui à attendre désespérément la récré ...

     

  • Danse avec les loups

     

    « Particulièrement vers son terme, la vie rappelle la fin d'un bal masqué, quand on retire les masques. On voit à ce moment quels étaient réellement ceux avec lesquels on a été en contact pendant la vie. En effet, les caractères se sont montrés au jour, les actions ont porté leurs fruits, leurs œuvres ont trouvé leur juste appréciation et toutes les fantasmagories se sont évanouies. Car il a fallu du temps pour tout cela. »

    Schopenhauer (Aphorismes sur la sagesse dans la vie)

     

    C'est marrant avec Schopenhauer, on est toujours devant le fameux verre à moitié vide ou à moitié plein. Si j'étais taquine, je dirais qu'il avait peut être des côtés plus hégéliens qu'il ne voulait le dire ou le croire.

    Parce que bon, le principe de la dialectique hégélienne c'est quoi sinon :

    a)ce verre est vide. Globalement. Plutôt.

    b)bon OK il est quand même un peu plein. Si on veut.

    c)vous savez quoi ? On va dire qu'il est plein de vide et/ou vide de plein, ce foutu verre. Ouais. Voilà.

     

    Exemple. Que penser de la proposition : La vie est un bal masqué ?

    1ère partie (verre à moitié vide)

    La vie est un jeu de dupes où tout le monde fait semblant a)pour se croire quelqu'un de bien b)pour manipuler les autres c)pour les deux.

    Le mieux qu'on ait à y faire, c'est d'avoir à la main une coupe de champagne, à remplir dès qu'elle se vide.

    Il est conseillé de bien choisir son masque, parce qu'à mon humble avis (différent de celui de Schopenhauer, sans me vanter) au bout d'un certain temps, on finit toujours par lui ressembler.

    Le sentiment qui dominera à la fin sera le ressentiment sous la forme de a)remords b)regret c)les deux.

    2ème partie (verre à moitié plein)

    La vie est une fête sympa où on peut s'éclater à danser, où l'on se divertit à regarder les masques, à deviner ce qu'il y a dessous. Sous les beaux, les qui font peur, les moches ou ridicules, les tristes et les rigolos.

    Et quand on les enlève, le divertissement finit en beauté, c'est une apothéose de surprises.

    Bref la vie c'est cool. On a bien brisé quelques verres, mais comme un éclat de rire. Et de toutes façons il en reste assez pour finir le champagne.

    3ème partie (plénitude vide et vacuité pleine)

    Qu'importe le flacon pourvu qu'on ait l'ivresse. L'habit ne fait pas le moine. Mais le masque fait-il la personne ? Que dirons-nous d'un moine masqué ?

    Qui se déguise en renard portera-t-il un loup ?

    Conclusion (on va pas y réveillonner, parlons d'autre chose)

    Schopenhauer évoque ici (volontairement ou pas?) le Don Giovanni de Mozart. Masques et faux semblants, vérité et mensonge, amour et trahison. À la fin le Commandeur.

    Mais tout le temps du bal une musique plus vivante que la vie elle-même.