Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Le blog d'Ariane Beth - Page 360

  • Verbe pro

     

    Les proverbes sont un plaisir de lecture, dans leur brièveté aphoristique.

    Ils sont en outre censés exprimer un certain bon sens, la sagesse des nations, ce genre de choses.

    Mais c'est quoi le bon sens ? Bonne question, je vous reconnais bien là. Répondons avec la précision mathématique d'un algorithme sondagier.

     

    Proposition honnête Le bon sens couvre la surface délimitée par le cercle ayant pour centre le point de convergence maximale de l'opinion moyenne, et un rayon de longueur aussi minimale que possible.

    Théorème 1 On dira plus simplement qu'en première approximation le bon sens est le noyau dur du conformisme.

     

    Scolie1 Cet énoncé peut-il équivaloir à dire que le bon sens a horreur de l'excentricité ?

    Scolie2 Ma foi à première vue on dirait.

     

    Corollaire du théorème 1 Contrairement au sens interdit, le bon sens ne fait courir ni risque d'accident ni risque de sanction. Au contraire, en prime de toutes les gratifications matérielles résultant du conformisme, il assure la sérénité psychologique découlant du sentiment de conformité.

     

    Scolie1 Voilà qui est toujours bon à prendre, même pour un esprit philosophique & indépendant (et je ne veux nommer personne).

    Scolie2 Tu crois que ce corollaire nous autorise à ne pas aller au-delà de la première approximation ?

    Scolie1 Évidemment ! Ce n'est pas à démontrer.

    Scolie2 Super. On se creusera moins le ciboulot.

     

    Théorème 2 À propos de creuser, si je suivais ce filon des proverbes pour des petits commentaires ? À votre avis les scolies ?

     

    Scolie1 Bonne idée ! Ça nous fera un peu voyager, vous savez ce qu'on dit : Tous les chemins mènent à Rome.

    Scolie2 Logiquement faudrait le dire en latin.

    Scolie1 Tu crois pas si bien dire : les proverbes ça se trouve dans les pages roses du dico. À côté des citations latines.

    Scolie 2 Pas chez Robert Petit, lui il fait pas dans les trucs roses. Et puis il s'adresse pas aux étudiants flemmards, mais aux locuteurs curieux de savoir ce qu'ils disent quand ils le disent.

     

    Bon les scolies ça suffit ! Fin de la récré. La prochaine fois on commence.

    Scolie1 Mieux vaut tard … Quoi ? Ça va ça va j'ai rien dit.

     

     

     

  • A l'humilitif

     

    « Une impertinence particulièrement risible des critiques, c'est que, comme les rois, ils disent : nous. Or ce n'est pas seulement au singulier, mais au diminutif, à l'humilitif même, qu'ils devraient parler.

    Ainsi par exemple : 'Ma chétive petite personne, ma lâche astuce, mon incompétence déguisée, ma vile gueuserie' etc.

    C'est de cette façon qu'il convient de parler à des filous déguisés, à ces serpents qui sifflent hors du trou sombre d'une feuille de chou littéraire, et à l'industrie desquels il faut enfin imposer un terme. »

    Schopenhauer (Parerga et paralipomena)

     

    C'est pour de telles phrases que lire Schopenhauer peut être vraiment jubilatoire. Une belle cure de catharsis. 

    Allez, Arthur, je t'enrôle dans ma FAM (Force Anti Morosité), bataillon SHI (Style Humour Intelligence).

    Schopenhauer pense ici à ceux qui sont incapables de comprendre sa philosophie. Conformistes par intérêt et par incapacité de penser et parler en première personne, de façon autonome. 

    La pertinence du propos est tout aussi évidente pour l'édition (spécial dédicace à mon ci-devant éditeur - y avait longtemps que ça me démangeait le clavier. Merci Arthur).

    Et pour la critique littéraire, la critique artistique en général. Que de stupidités crasses entend-on, lit-on, sur un livre, un film, une expo.

    Bref qu'est-ce qu'un critique compétent ? Un oxymore.  Voilà, ça c'est fait.

     

     

    Oui je sais ce que va dire mon lecteur (qui est forcément compétent, subtil, intelligent, lui : puisqu'il me lit).

    « Ne scies-tu pas d'une main la branche à laquelle tu t'accroches de l'autre, ma vieille Ariane ? (Belle prouesse acrobatique au demeurant) Tes balivernes ici-même sont-elles autre chose qu'une forme de lecture critique ? »

    OK je plaide coupable. Mais à l'humilitif. Car pour ma défense :

    1)je pratique la critique sous forme aussi informelle que possible, et totalement gratuite (ce qui réduit la gravité du délit il me semble, y en a qui pourraient en prendre de la graine, hein ?)

    2)je ne m'attaque qu'aux morts.

    Mais non : pas parce qu'ils ne sont plus là pour me répondre !

    Au contraire quel plaisir ce serait de polémiquer pour de bon avec Schopenhauer, conférer en live avec Montaigne, me faire une toile avec Spinoza, ou rencontrer Freud à un coin de rêve !

    À défaut, je me serai toujours amusée à parler avec eux comme Schopenhauer parle à sa poupée.

     

     

  • Faites votre bonheur

     

    « Ce qui, par dessus tout, contribue le plus directement à notre bonheur, c'est une humeur enjouée, car cette bonne qualité trouve de suite sa récompense en elle-même.

    En effet, celui qui est gai a toujours motif de l'être par cela même qu'il l'est. Rien ne peut remplacer aussi complètement tous les autres biens que cette qualité, pendant qu'elle-même ne peut être remplacée par rien.

    Qu'un homme soit jeune, beau, riche et considéré, pour pouvoir juger de son bonheur, la question sera de savoir si, en outre, il est gai ; en revanche, est-il gai, alors peu importe qu'il soit jeune ou vieux, bien fait ou bossu, pauvre ou riche : il est heureux. »

    Schopenhauer (Parerga et paralipomena)

     

    Dieu m'amuse, il est clair que la joie n'a pas de meilleurs chantres que les mélancoliques grand teint. On ne parle bien que de ce qui vous manque, la parole est désir.

    Et affaire de point de vue. Une certaine distance produit une mise en perspective, et on obtient une image plus construite, plus complète.

    Schopenhauer pose ici la différence entre le tempérament, chose intrinsèque à l'individu, et les différentes qualités, qui se révèlent attributs extrinsèques.

    Non seulement richesse ou considération, choses de l'ordre de l'avoir, mais même beauté ou jeunesse, que l'on ressent comme participant davantage de l'être.

    L'humeur enjouée est ainsi donnée à ceux dont c'est l'humeur (dirait aussi M. de la Palice). Rien qu'à eux. Et à ceux-là tout le reste aussi est alors donné par surcroît.

    Tout le reste, c'est à dire la possibilité de jouir de tout. Le monde est à eux.

    N'allez surtout pas me cafarder à Schopenhauer parce qu'il le prendrait mal, mais je trouve que ce raisonnement n'est pas sans rapport avec le concept luthérien d'élection gratuite.

    Ce serait la grâce (que Dieu octroie sans avoir à motiver sa décision style pourquoi untel et pas l'autre) qui sauve, et non les actes.

     

    « Chacun est bien ou mal selon ce qu'il s'en trouve. Non de qui on le croit, mais qui le croit de soi est content. » Essais I,14 (Que le goût des biens et des maux dépend en bonne partie de l'opinion que nous en avons)

    Montaigne, de façon un peu plus moderne, remplace l'humeur, chose innée, donnée sur laquelle on n'a pas de prise, par l'opinion, autrement dit l'idée que l'on peut élaborer de soi.

    Élaboration pas entièrement consciente certes. N'empêche qu'elle nous met concrètement devant une certaine forme de responsabilité active.

    - Et donc implique culpabilité pour les mélancoliques ayant du mal à s'aimer ?

    - Si tu pouvais arrêter de voir le verre à moitié vide, Arthur !