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Le blog d'Ariane Beth - Page 401

  • Joie

     

    Imaginons ... flemmarde ... blabla … auto-citation blabla etc. (cf Conatus)

    « La joie se décline dans un sympathique lot d'affects que Spinoza a répertoriés avec le soin pointilleux qu'on lui connaît.

    Laetitia. Épanouissement, dilatation de l'être, illumination du visage, sourire, tel un paysage soudain riant dans l'éclosion du printemps.

    Joie primaire et spontanée, joie d'exister dans "l'existence-même, c'est à dire  l'éternité*". La joie de Rimbaud dans l'aube d'été.

    "L'affect de joie, quand il se rapporte à la fois à l'esprit et au corps, je l'appelle titillatio ou hilaritas." (scol prop11 P3). Ces deux affects s'opposent dit-il à douleur et à mélancolie.

    Titillatio est chatouillement, caresse, plaisir d'être, éprouvé corps et âme.

    "C'est beau d'avoir élu domicile vivant / Et de bercer le temps dans un cœur consistant" (dit Supervielle).

    Hilaritas est gaieté, belle humeur. C'est le mot qui a donné hilarité, précieuse faculté de se laisser alléger par un bon mot, une image drôle, de prendre la vie du bon côté.

    L'hilaritas, contagieuse et ainsi unificatrice, est une bonne manière qu'on se fait entre humains, une douceur dont on se réconforte dans les âpretés de l'existence.

    Gaudium, le contentement, "est une joie qu'accompagne l'idée d'une chose passée qui s'est produite au-delà d'une espérance." (P 3 déf 16)

    Au-delà, non pas nécessairement en la satisfaisant. Mais, tout compte fait, la joie est là, la joie de se dire : c'est bien ainsi.

    Gaudium est le mot qui a donné joie en français (et autres langues). Il est remarquable que Spinoza, pour définir l'affect en général, ait préféré laetitia. Choix de la référence au concret, au réel, à l'immédiat.

    Plus abstrait, gaudium implique un différentiel de temps, le temps nécessaire à l'effort éthique de cultiver la joie (fleur pas toujours précoce).

    Joie secondaire, raisonnée, médiatisée. Joie sublimée, dirait Freud.

    "Qui donc s'emploie à maîtriser ses affects et ses appétits par seul amour de la liberté s'efforcera, autant qu'il peut, de connaître les vertus et leurs causes, et de s'emplir l'âme du contentement (gaudium donc) qui naît de leur vraie connaissance ; mais (s'efforcera) de contempler très peu les vices des hommes, ou les dénigrer (…)

    Et qui observera cela diligemment (et en effet ce n'est pas difficile) (hilaritas made in Spinoza) et s'y exercera, celui-là, oui, en peu de temps il pourra diriger la plupart de ses actions sous l'empire de la raison." (P5 scol prop 10)

    "Risus, tout comme jocus est pure joie (laetitia)." (scol coroll 2 prop 45 P4)

    Risus, le rire, celui qui éclate, celui qui libère, qui voit l'absurdité du dérisoire et dit : mieux vaut en rire.

    Jocus, la plaisanterie, a donné le mot jeu. Il s'agit en effet de jouer avec les mots, grâce à eux de déjouer le mal et le malheur, la mort elle-même.

    De jouer à déjouer la fragilité de notre condition humaine, ainsi que le montre Freud dans son livre sur le Mot d'esprit dans son rapport avec l'inconscient. »

    *NB "éternité" : bloquez pas sur le mot, on y viendra, je prévois une entrée Temps.

     

  • Iris

     

    « Parmi ses écrits qui n'ont point été imprimés, un traité de l'Iris ou de l'Arc-en-ciel.

    Je connais à La Haye des personnes distinguées qui ont vu et lu cet ouvrage, mais n'ont pas conseillé à Spinoza de le donner au public ;

    ce qui peut être lui fit de la peine et le fit résoudre à jeter cet écrit au feu six mois avant sa mort » nous informe Colerus.

    Bien que distingués (ou parce que ? cf Fabricius) ces gens n'ont sans doute rien compris au livre.

    Vexés, plutôt que de l'avouer, ils ont dit : "c'est trop nul". Classique.

    On me dira : meuh non le conseil de ne pas publier c'était juste pour lui éviter des ennuis. Mettons, mais alors questions :

    a) Pourquoi que ça lui aurait fait de la peine qu'on se soucie de lui éviter des ennuis ?

    b) Vous arrivez à imaginer, vous, en quoi un traité sur l'arc-en-ciel peut s'attirer quelque foudre que ce soit ?

    c) Et quand bien même, pourquoi alors ne pas l'avoir caché quelque part, ou confié à des amis, avec mission de le publier après sa mort (comme il l'a fait pour Éthique) ?

    Peut être qu'avoir l'impression de passer son temps à jeter des perles aux pourceaux, ça finit par casser le moral, même au promoteur du conatus ?

    Car auto-autodafé égale plus ou moins suicide symbolique, oui ou non ?

    Divagations & psychologie de bistrot ? OK sans doute, mais imaginer la peine (même supposée) de Spinoza, j'y peux rien ça me fait de la peine aussi.

    « De ce que nous imaginons une chose semblable à nous affectée d'un certain affect, nous sommes par là-même affectés d'un affect semblable. »

    (Éthique 3 prop 27).

    C'est ce qu'il appelle dans le scolie qui suit "Imitation des affects".

    Attention ne me faites pas dire ce que je ne dis pas. Si je suis semblable à lui, c'est juste que Spinoza était un homme, et que moi je suis un homme comme les autres (quoique femme).

    Donc. CQFD.

    Mais c'est vrai. Humaine trop humaine sans doute, je me suis laissée entraîner.

    En fait la mention de ce traité m'est venue de l'idée suivante : pour faire le portrait de Spinoza il ne faudrait rien de moins que tout le spectre de l'arc-en-ciel.

    Et d'abord parce qu'il pense arc-en-ciel.

    « Analytique, obsessionnellement. Voir par exemple l'époustouflante combinatoire des paramètres déterminant les affects dans la partie 3 d'Éthique. Mais en même temps il fonctionne selon une vision intuitive, synthétique et multidimensionnelle.

    Il pense donc à la fois en nuances de couleurs dépliées en extension, et en lumière blanche, la lumière intensive, qu'on ne voit pas mais qui fait voir.

    Deux qualités rarement réunies à un tel degré, sauf génie naturellement. En fait Spinoza philosophe comme Bach cantate ou Einstein équationne, avec le même logiciel harmonique. »

    (auto citation encore, à l'AISI comme à l'AISI cf Humilité).

     

     

  • Herem

     

    Colerus consacre plusieurs pages au récit de l'exclusion de Spinoza par la Synagogue. On comprend que ça intéresse un pasteur luthérien pour raisons de boutique. Mais pour nous, que dit cet épisode ?

    Le fait massif est que Spinoza n'attachait pas vraiment d'importance à ces questions de communautés. Ni rejet hystérique ni besoin angoissé d'appartenance.

    Colerus note, avec dépit mais note quand même car il est honnête, que, prenant ses distances avec la Synagogue, Spinoza n'a pas pour autant

    « embrassé le Christianisme, ni reçu le saint baptême. Et quoi qu'il ait eu de fréquentes conversations avec quelques savants Mennonites, aussi bien qu'avec quelques personnes les plus éclairées des autres Sectes Chrétiennes, il ne s'est pourtant jamais déclaré pour aucune, & n'en a jamais fait profession. »

    Les chapelles (limite sectes au sens actuel) pullulaient comme des mouches autour de lui, suscitant j'imagine son intérêt entomologiste. Une mine à notes pour son TTP (cf Bible et Bornés & Bourrins).

    Quand il commença à dire sa façon personnelle de penser dans le cadre de la Synagogue, il y eut en gros deux réactions.

    1) « Tu dis comme nous ou on te casse ». Au figuré, s'entend. En fait, au propre aussi (si l'on peut dire) : un religieux genre allumé l'agressa genre horreur tu blasphèmes.

    Ah c'était pas une époque facile pour la liberté d'opinion. Heureusement qu'auj... euh ...

    2) « Les Juifs lui offrirent une pension peu de temps avant sa désertion pour l'engager à rester parmi eux, sans discontinuer de se faire voir de temps en temps dans leurs Synagogues. »

    Bon OK on te garde comme caution vu ton statut international d'intello, juste tu fais pas de vagues. Option pour renards malins. Pourquoi pas : il y a des points communs entre renards et araignées.

    Mais non.

    « Quand ils lui eussent offert dix fois autant, il n'eût pas accepté leurs offres, ni fréquenté leurs assemblées par un semblable motif ; parce qu'il n'était pas hypocrite, et ne recherchait que la Vérité ».

    Comme avec Fabricius. Mêmes causes mêmes effets.

    Cohérent avec sa devise Caute, pourvu d'un conatus comme vous et moi, Spinoza refusa de mettre en péril sa tranquillité voire sa vie, et tout autant sa liberté.

    Il s'éloigna donc sur la pointe des pieds, espérant qu'on lui lâcherait les baskets.

    « L'homme libre montre la même Vaillance ou présence d'esprit à choisir la fuite qu'à choisir le combat ». (Éthique Partie 4 corollaire prop 69)

    (A noter dans votre mémo SOS philo).

    Or les religieux détestant perdre la face et le pouvoir qui va avec, ce qui devait arriver arriva.

    « Il s'était à peine séparé des Juifs et de leur communion qu'ils le poursuivirent juridiquement selon leurs lois ecclésiastiques et l'excommunièrent ».

    On proposa l'exclusion temporaire (herem), avec possibilité de réintégration si amende honorable. On devine la réponse. Mais je vous rassure il resta poli.

    Ce fut donc le grand anathème, l'exclusion définitive. Il exprima ses regrets, toujours aussi poli.

    Et satisfit désormais son goût de la transparence par le moyen qui restait à sa portée, le polissage de lentilles.